EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL VILLAGER STATION-WAGON 1958

EDSEL- Fiasco à l’américaine.

Au début des années cinquante, la direction du groupe Ford, devenu alors le deuxième groupe automobile mondial, derrière General Motors, est convaincu qu’une quatrième marque afin de compléter son catalogue et de lui permettre de couvrir ainsi toutes les catégories du marché américain, en proposant ainsi l’offre la plus large et la plus complète possible. Ford ne possédant alors, en effet, que trois marques (La marque éponyme, qui occupe le segment des voitures populaires, Mercury occupant la catégorie des voitures de gamme « intermédiaire » et Lincoln pour celle des voitures de luxe), contre cinq, à l’époque, pour le groupe GM (Buick, Cadillac, Chevrolet, Oldsmobile et Pontiac) et quatre pour Chrysler (La marque du même nom, ainsi que Dodge, Plymouth et DeSoto). Validé par Henry Ford Jr. (Petit-fils du fondateur, Henry Ford Senior, décédé en 1947 et qui avait cédé, deux ans auparavant, les rênes de l’entreprise à ce dernier), le projet est notamment soutenu auprès des actionnaires du groupe par Jack Reith, auparavant en charge du redressement de l’ancienne filiale française et de sa revente à Simca. L’époque semble alors particulièrement propice à la création d’une nouvelle filiale et à l’agrandissement du groupe, l’année 1955 voyant Ford atteindre son record de production de l’après-guerre et les ambitions que nourrissent les dirigeants de Ford pour cette nouvelle division sont grandes. Les objectifs établis prévoyant d’en vendre environ 200 000 exemplaires pour le premier millésime de production. Les moyens alloués pour le développement de celle qui est rapidement surnommée la « Division E » sont considérables, avec 250 millions de dollars de frais d’études. L’état-major de Ford est tellement sûr du succès que remportera la nouvelle marque dès son lancement que leur plan prévoit même, à terme, pas moins de cinq usines de montage à travers les Etats-Unis et un réseau de près de 1 200 concessionnaires exclusifs (Lorsque l’edsel arrivera sur le marché, ils seront environ 1 185 concessionnaires, sur tout le territoire américain, à représenter la marque Edsel). Ce qui portera alors, au moment de la commercialisation de l’Edsel, le nombre total de concessionnaire du groupe Ford à 10 000 (Chaque division possédant alors son propre réseau de détaillants et de revendeurs), mettant ainsi celui-ci à égalité avec le groupe Chrysler, même si cela restait en-dessous de celui de General Motors, qui pouvait alors se targuer d’un réseau d’environ 16 000 concessionnaires.

Henry Ford II

En ce qui concerne le nom dont sera baptisé cette nouvelle division, un choix aussi important que difficile, il ne sera révélé qu’en novembre 1956. Les responsables du service marketing comme la direction du groupe eux-mêmes semblent avoir du mal à faire un choix clair et définitif là-dessus. Il est vrai qu’au total, pas moins de 18 000 propositions de noms ont été rassemblés pour tenter de trouver un nom de baptême à celle qui est appelée à devenir la quatrième division du numéro deux des « big three » de Detroit. Ford ayant même été, pour cela, jusqu’ à consulter la poétesse Marianne Moore. Laquelle suggérera, entre autres patronymes « fantaisistes », Utopian Turtletop (Ce qui signifie, littéralement, « carapace utopique de tortue ») ou Intelligent Whale (« baleine intelligente ») ! Finalement, la direction de Ford décide, pour parvenir à trouver ce fameux nom, de recourir à une solution à la plus classique, consistant à faire appel à une agence publicitaire. C’ est à l’agence Foote, Cone & Belding que revient ce rôle. Bien que celle-ci soit alors l’une des plus grandes et réputées d’ Amérique, sa direction et ses cadres, probablement paralysés par l’enjeu et aussi par l’importance du client ou bien par la difficulté, eurent, en tout cas au départ, bien du mal à répondre à la mission que leur avait confié le groupe Ford. Finalement, après une présélection et un tri qui laissait encore tout de même un choix entre 6 000 appellations de toutes sortes, et après de longs temps de réflexions, d’ hésitations et de revirements, le nom retenu pour la nouvelle et quatrième division de Ford est celui d’Edsel. Fils unique du fondateur, Henry Ford Sr, décédé en 1943, à l’âge de 50 ans à peine, des suites d’un cancer de l’estomac, Edsel Ford, avait, notamment, été à l’origine du rachat de la marque Lincoln au début des années 20 et de la création, en 1939, de la marque Mercury, ainsi que du design de la plupart des modèles du groupe Ford jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Le problème est que, contrairement à son père, Edsel Ford, de son côté, s’il était connu et respecté au sein du milieu de l’ industrie automobile, était resté en grande partie inconnu du grand public. De plus, phonétiquement, Edsel est un nom qui ne sonne pas très bien en anglais. Deux raisons pour lesquelles il n’ avait pas vraiment de connotation valorisante pour une marque automobile. Sans compter que Henry Ford Jr lui-même s’était montré peu emballé et assez dubitatif, pour ne pas dire opposé à ce choix, comme la plupart des autres membres de la famille Ford d’ailleurs. Lui comme eux n’ ayant pas vraiment envie que le nom d’Edsel Ford soit accolé à des milliers de voitures. Pourtant, c’ est bien ce nom-là que sera choisit par le comité exécutif, contre l’avis du président en personne. Rien que cette genèse difficile était déjà mauvais signe.

Entre 1955, date du lancement du projet, et sa présentation officielle à l’automne 1957, les membres du bureau d’études comme les services marketing de Ford vont travailler d’ arrache-pied pour mettre sur pied les modèles de la future gamme Edsel. Le plan élaboré par les « stratèges » marketing du groupe Ford étant, à terme, de supprimer les grosses Mercury et les Lincoln de taille moyenne. C’est entre ces deux marques que doit venir s’intercaler l’Edsel. Même si, au final, la stratégie sera légèrement repensée, la nouvelle division venant, au final, s’intercaler entre les gammes de Ford et celle de Mercury. Lorsque celle-ci est finalement dévoilée au public, le 4 septembre 1957, elle offre d’ ailleurs une gamme pléthorique, avec pas moins de dix-huit modèles au total, répartis en quatre gammes : Ranger, Pacer, Corsair et Citation, celles-ci allant, dans l’ordre, de la meilleure marché à la plus luxueuse. (Sans compter les breaks, ou station-wagons comme ils sont ainsi désignés dans le vocabulaire des constructeurs américains, baptisés Bermuda, Villager et Round-Up, classés dans une gamme à part). Un catalogue très exhaustif donc pour l’Edsel, avec des prix allant de 2 484 à 3 801 dollars. La gamme de Ford étant affichée, elle, à une fourchette de prix qui va de 1 977 à 3 138 $ et celle de Mercury, elle, de 2 547 à 4 118 $. Elle offre également un V8 en monte standard ainsi qu’un équipement plutôt généreux. Les modèles haut de gamme, Corsair et Citation, bénéficient même d’une transmission automatique avec commande par boutons « Teletouch » au centre du volant montée en série. Un système assez original mais qui, sur la plupart des voitures qui en seront équipé, montrera bien vite son manque de fiabilité. D’autres, comme le tachymètre sous loupe grossissante s’avéreront, eux, plus originaux que réellement pratiques.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL BERMUDA STATION-WAGON 1958

Si l’Edsel était considérée aux Etats-Unis comme une voiture de gamme « intermédiaire », au même niveau qu’une Pontiac ou une Oldsmobile chez GM ou une Dodge ou DeSoto chez Chrysler, en Europe, en revanche, comme quasi toutes les voitures américaines, elle était considérée comme une voiture de luxe. Ainsi, lors de sa première présentation européenne, au Salon de Paris en octobre 1957, le cabriolet Citation, le modèle haut de gamme de la marque, affichait 38 cv fiscaux (Ce qui occasionnait pour l’acheteur des taxes annuelles conséquentes, à une époque où la vignette venait tout juste d’ être instaurée) et coûtait la « bagatelle » de 4 000 000 d’ « anciens » francs, l’ équivalent de quatre fois le prix d’une Citroën DS ! Autant dire que, en France comme dans les autres pays européens, les acheteurs ne se bousculèrent pas vraiment pour en faire l’acquisition. D’autant que, chez nous aussi, tout comme dans son pays natal, cette fameuse calandre verticale en forme de « vagin » a du faire couler beaucoup d’encore lorsqu’elle a débarqué sur le Vieux Continent. Sans compter, également, que l’amateur d’américaines qui avait les moyens de signer un tel chèque avait alors l’embarras du choix.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL BERMUDA STATION-WAGON 1958

Afin d’être sûr d’attirer l’attention du public et de sortir du rang au sein de l’offre pléthorique qui est proposée aux acheteurs, tant par Ford que par les autres constructeurs américains, l’Edsel se doit d’ afficher clairement sa différence. George Walker, le responsable du style du groupe Ford, confie la conception de la ligne de l’Edsel à son assistant Roy Brown, lequel décide, d’emblée, d’éliminer la calandre horizontale, omniprésente chez tous les constructeurs de Detroit, en faveur d’ une calandre verticale. Un parti-pris esthétique qui, jusqu’alors, était l’ apanage des constructeurs européens, comme Alfa Romeo ou BMW, des marques qui, dans les années 50, étaient encore peu connues et paraissaient bien « exotiques » pour l’automobiliste américain lambda. Alors qu’elle devait être l’un des atouts majeurs de l’Edsel, cette fameuse calandre sera, au contraire, pour elle, un handicap majeur et, dès son lancement, va susciter un grand nombre de jeux de mots, de quolibets et de critiques acerbes, tant de la part du public que des journalistes de la presse automobile. Beaucoup la comparant, au mieux, à un harnais à cheval, une lunette de WC, une bouche suçant un citron, voire même, au pire, à la partie la plus intime de l’ anatomie féminine ! Un handicap d’autant plus grand qu’à cette époque l’automobile vivait l’apogée de sa période « macho ». Cette fameuse calandre évoquant un vagin est d’ailleurs la seule vraie originalité du design de l’Edsel qui, en dehors de celle-ci, n’est finalement qu’un gros paquebot américain sur quatre roues parmi tant d’autres. Même les quatre phares (Apparus pour la première fois sur la Cadillac Eldorado Brougham en 1957 et qui, au cours de l’année-modèle 1958, s’est généralisée sur un certain nombre de modèles) ou les feux arrière en forme de boomerang ne sont plus vraiment des nouveautés.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL BERMUDA STATION-WAGON 1958

Alors que les dirigeants de Ford avaient déroulé le tapis rouge et n’avait pas lésiné si les cotillons et les feux d’artifice pour célébrer le lancement de sa nouvelle marque, le public et la presse, eux, une fois le moment de surprise passé, vont très vite déchanter et vont rapidement jeter des tomates voir carrément des pierres au visage de la nouvelle venue. Sans compter qu’il n’y a pas que le design qui suscite des commentaires acerbes. La qualité de construction et de nombreux détails de finition des Edsel sont aussi mis en cause, avec, notamment, les capots et les malles de coffre refusant de s’ouvrir ou de se fermer ainsi que de multiples fuites au niveaux des organes mécaniques. Contrairement au projet initial, l’Edsel n’ eut jamais de site de production qui lui fut entièrement dédié, sa production s’ effectuant sur les chaînes des usines Ford et Mercury, les séries d’ entrée de gamme, Ranger et Pacer, étant produites aux côtés des modèles Ford et celles de haut de gamme, Corsair et Citation, étant, de leur côté, assemblées sur les mêmes chaînes que les Mercury. Faire se côtoyer sur une même chaine de production des modèles de deux marques différentes s’avéra toutefois problématique, engendrant rapidement des difficultés dans l’ organisation des plannings de production ainsi que dans celui du travail des ouvriers. Ces derniers étant obligés, à chaque changement du modèle qu’ ils avaient devant eux, de changer les outils et les bacs de pièces. Le supplément de travail que représentait pour eux l’ assemblage des Edsel ne tenait d’ailleurs pas compte du travail qu’ ils avaient déjà effectuer pour l’ assemblage des modèles Ford et Mercury. Les ouvriers étant soumis, en ce qui concerne la production de ces dernières, à un quota horaire qui les obligeaient à assembler quotidiennement un nombre minium de voitures bien déterminé. Les ouvriers des usines Ford ne pouvant, dès lors, s’occuper de l’ assemblage des modèles Edsel que sur leur « temps libre », une fois leur travail sur les Ford et Mercury terminé. Ce qui explique pourquoi un certain nombre de voitures arrivaient chez les concessionnaires encore inachevées. Certaines voitures quittant même les chaînes de production alors que certaines pièces d’accastillage ou certains composants mécaniques, essentiels ou non, n’avaient même pas encore été installés dessus, les pièces en question étant simplement emballées et placées dans le coffre, à charge pour les concessionnaires de les installer une fois les voitures livrées. Quand ils avaient, toutefois, toutes les pièces sous la main, certains vendeurs n’ ayant même pas reçus, lors de la livraison des voitures, les pièces manquantes pour pouvoir ainsi terminer les voitures qu’ ils recevaient lorsqu’ elles étaient incomplètes. La réputation de la piètre fiabilité mécanique (Notamment au niveau de la direction assistée ou le compteur kilométrique indiquant moins de kilomètres parcourus qu’ en réalité) qui va bien vite collée à la peau des Edsel était telle que le nom Edsel sera rapidement transformé en anagramme : « EveryDay Something Else Leaks » (« Chaque jour, une nouvelle fuite ») !

Alors que la production de l’Edsel, qui avait démarrée en juillet 1957 sur les chaines de montage de Ford et Mercury, avait atteinte, au mois d’ août, un pic de 19 876 exemplaires afin de constituer les stocks pour les concessionnaires, elle va devoir rapidement être réduite à 2 138 unités dès le mois de décembre, au vu de la médiocrité des ventes. Au total, alors que Ford espérait vendre environ 200 000 Edsel, à la fin de l’ année-modèle 1958, un peu plus de 68 000 exemplaires seulement auront été vendus (63 110 voitures vendues aux USA et 4 935 au Canada). Certaines versions n’ atteindront même pas le millier d’ exemplaires produits (892 pour le Bermuda, le modèle haut de gamme des breaks) et seuls deux modèles de la gamme, les Pacer coupé hard-top et sedan « classique » dépasseront la barre des 6 000 unités. Un manque de succès de la plupart des modèles proposés au catalogue qui est aussi dû à la trop grande complexité de la gamme, guère compréhensible ni très cohérente, tant pour les clients que pour les concessionnaires.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL CITATION BERLINE HARDTOP 1958

Une autre raison de l’ accueil plus que mitigé (pour dire le moins) qu’ a reçu l’Edsel de la part du public visé est que ceux-ci ont eu, d’une certaine façon, l’ impression d’ avoir été trompés sur la marchandise. Ford avait l’ intention de frapper un grand coup pour marquer le lancement de sa nouvelle marquer et réussir à l’ imposer rapidement sur le marché automobile américain. Pas moins de 50 millions de dollars avaient ainsi été dépensés pour en assurer la publicité. Avant même la présentation officielle de la voiture, le service marketing du groupe avait régulièrement alimenter la presse avec des nouvelles sur l’ état d’ avancement du projet ainsi que des « indices » ou des informations partielles sur ce que serait la nouvelle Edsel. Les informations que le groupe laissait filtrer dans la presse laissant présager au public une voiture révolutionnaire, ce qui, évidemment, ne va pas manquer d’ engendrer rapidement une attente importante au sein du public. Ce qui explique d’ ailleurs que, en septembre 1957, lorsque les modèles de la gamme Edsel seront dévoilés, pas moins de 2,7 millions de personnes se rendront chez les concessionnaires pour découvrir ces nouvelles voitures dont la publicité propagée par Ford affirmait qu’ elle était le fruit de dix ans de recherches. On comprend, dès lors, assez bien que beaucoup, au sein des clients potentiels, soient quelque peu restés sur leur faim ou ont même été franchement déçus. Tant du point de vue du style que sur le plan technique, il faut, en effet, bien avoués que les Edsel ne sont, au final, pas si révolutionnaires que cela.

Comme si tout cela ne suffisait pas, un autre élément va venir noircir encore un peu plus le tableau. Lorsque l’Edsel arrive sur le marché américain, les Etats-Unis commencent à subir une récession assez importante de son économie. Si cette crise est, évidemment, sans commune mesure avec celle qui a éclatée suite au krach boursier de 1929, dans ces effets globales comme dans sa durée, cette récession va néanmoins, elle aussi, affecter, de manière rapide et profonde, les constructeurs américains, en particulier les ventes de leurs modèles full-size. De tous les constructeurs américains, seuls Lincoln et (Rambler (American Motors) ont réussis à vendre plus de voitures en 1958 par rapport à l’ année précédente.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL CITATION CONVERTIBLE 1958

Devant cet accueil assez tiède, tant de la part des clients que de la presse spécialisée, la direction de Ford se voit très vite obligée, alors que l’Edsel vient tout juste de débuter sa carrière et ne figure sur le marché automobile que depuis quelques mois à peine, de rectifier le tir et de revoir une grande partie de la stratégie qu’ elle avait si ardemment et longuement préparée pour la Division « E » du groupe Ford. Les objectifs du programme se voient alors, évidemment, nettement revus à la baisse. Dès janvier 1958, la division Edsel, qui jouissait jusqu’ ici, depuis sa création, en novembre 1956, d’un statut indépendant et à part au sein du groupe, se voit intégrée au sein de la division Lincoln-Mercury (Elle est alors rebaptisée MEL, pour Mercury-Edsel-Lincoln). La nouvelle gamme du millésime 1959 se trouve, elle aussi, avec la surpression des séries Pacer et Citation, ne laissant plus au catalogue que les séries Ranger et Corsair, l’offre pour les breaks, elle, se trouvant réduite au seul modèle Villager. Autres modèles « emblématiques » de la gamme Edsel 1958 à faire les frais de cette réorganisation et de cette campagne de « dégraissage », le très beaux et luxueux break Bermuda, qui bénéficiait, notamment, de décoration en bois véritable sur ses flancs. L’Edsel n’est maintenant plus produite que dans une seule usine, à Louisville, dans le Kentucky. Parmi les mesures d’économie prises suite au revers subi pat la première génération de l’Edsel, il est décidé d’ utiliser un maximum d’éléments provenant des autres modèles du groupe Ford, tant en ce qui concerne les pièces d’ accastillage que les composants mécaniques. A l’ instar des modèles proposés au catalogue, l’offre en matière de motorisations s’est également réduite. Le V8 361 ci « de base », qui était spécifique à l’Edsel l’année précédente, n’est désormais plus qu’ en option. Si le catalogue de l’ année-modèle 58 ne comportait que des V8, le modèle Ranger de base est maintenant disponible avec un moteur six cylindres. Cette seconde génération de l’Edsel a aussi perdue une grande partie de son identité sur le plan esthétique. La fameuse calandre verticale, tant décriée à son lancement mais qui lui conférait cependant toute sa singularité, n’ est désormais plus qu’ un motif décoratif secondaire placée au centre d’ une calandre horizontale classique, qui intègre également les phares. L’ arrière, quant à lui, reçoit des feux provenant des Ford 1958. L’ intérieur, lui aussi, se fait plus classique et consensuel, perdant la loupe placée devant le tachymètre ainsi que les boutons poussoirs au centre du volant qui commandaient la boîte de vitesses. Malheureusement pour l’ état-major de Ford, cette nouvelle orientation vers plus de classicisme n’ aura pas les effets espérés. En dépit (Ou, peut-être, au contraire, à cause) de cette banalisation de ses lignes, les ventes de l’Edsel continuent de chuter. Au total, un peu moins de 47 400 exemplaires des modèles du millésime 1959 seront ainsi écoulés (44 891 aux Etats-Unis et 2 505 au Canada).

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL CITATION CONVERTIBLE 1958

Bien qu’ elles soient démenties par Henry Ford Jr. Lui-même, les rumeurs sur la suppression pure et simple de la marque commencent alors à courir au sein du siège de Ford comme dans les rédactions de la presse automobile. L’ avenir de l’Edsel apparaît donc de plus en plus compromis, certains, au sein de Ford comme dans la presse, l’ ayant, manifestement, déjà enterrée. Si, désormais, beaucoup ne se soucient plus guère de son sort, considérant que tous les efforts que pourra déployer le groupe de Dearborn pour tenter de sauver la marque sont, de toute façon, voués à l’échec, cela n’empêche toutefois pas certains d’ attendre les futures Edsel au tournant. En dépit du fait que la plupart des observateurs ne la considèrent déjà plus que comme une « morte en sursis » et des rumeurs de toutes sortes qui circulent de plus en plus sur son abandon qui, beaucoup l’affirment, est déjà programmée, le service commercial de Ford annonce pourtant bien que les Edsel figureront bien au programme de production du millésime 1960. Le groupe ayant déjà annoncé que les modèles de la gamme Ford seront redessinées dans un style entièrement nouveau, certains sont donc assez impatients de voir à quoi ressembleront les nouvelles Edsel, qui, beaucoup en sont d’ores et déjà convaincus, seront sans doute les dernières. La suite des évènements va d’ailleurs très vite leur donner raison. Lorsque la gamme Edsel 1960, désormais réduite au seul modèle de base Ranger et au break Villager, est dévoilée au public, le 15 octobre 1959, celle-ci n’est, en réalité, qu’une Ford Galaxie à peine déguisée, qui ne se distingue de cette dernière que par un motif de calandre en « X », une moulure chromée de forme courbe décorant les flancs ainsi que des feux arrière verticaux. Comme on pouvait alors s’ en douter, la réaction du public ne se fera pas attendre et elle sera brutale et sans appel. Alors que la production avait commencée en septembre, celle-ci est arrêtée moins de trois mois plus tard, le 19 novembre, avant même le début de l’ année calendaire. Un arrêt qui marque la fin, claire et définitive, de la carrière de la marque Edsel. Au total, il n’aura été produit, en tout et pour tout, que 2 846 exemplaires des dernières Edsel, dont seulement 275 breaks et 76 cabriolets !

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EDSEL CORSAIR CONVERTIBLE 1959

Un nouveau modèle, destiné à élargir l’offre de la gamme vers le bas (Ce qui aurait toutefois eu pour effet de la faire entrer, encore plus, en concurrence avec les modèles de Ford) était en préparation, la Comet. La disparition de la marque Edsel, décidée par l’état-major du groupe Ford dès le début du mois de novembre 1959, n’ empêchera pourtant pas sa commercialisation. Diffusée par l’intermédiaire du réseau de la marque Mercury, elle sera toutefois vendue sans nom de marque, en étant baptisée simplement Comet tout court. Ce n’ est qu’ en 1963 qu’ elle sera officiellement intégrée à la gamme de la division intermédiaire du groupe Ford et qu’ elle en portera le logo. Ses origines et ses débuts de carrière ne l’empêcheront pourtant pas de connaître un beau succès commercial. Ce qui lui aura permis de réussir, là où l’Edsel avait échouée, elle est qu’ elle répondait, tout simplement, mieux aux attentes du marché : Mieux positionnée au sein de l’ ensemble de la gamme du groupe Ford, de taille plus compacte et vendue à un prix plus attractif. Il est à se dire qu’ avec ses atouts, la Comet, si, comme il avait été prévu à l’ origine, commercialisée sous la marque Edsel, aurait probablement pu sauver celle-ci d’ une disparition programmée. Néanmoins, son succès qu’ elle a remportée auprès du public, bien qu’ elle ait été vendue sans aucun nom de marque durant les premières années de sa commercialisation, a aussi prouver, au final, que, contrairement à ce dont les dirigeants de Ford était convaincu au début des années 50, une quatrième marque n’ était sans doute pas nécessaire au groupe Ford pour lutter à armes égales contre ses concurrents, General Motors et Chrysler et augmenter ses parts de marché. Les sommes énormes qui avaient été investies dans l’ étude et le lancement de la marque Edsel aurait certainement mieux servis à renforcer Mercury et Lincoln dans leurs segments de marché respectifs, à savoir le milieu et le haut de gamme.

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EDSEL CORSAIR CONVERTIBLE 1959

En plus de tout cela, l’étude et le lancement d’ une nouvelle division n’a jamais fait l’unanimité et a même suscité de vives controverses et des divisions profondes au sein de l’état-major du groupe Ford. Notamment Robert McNamara, qui n’ avait jamais caché, dès le départ, son opposition au projet et qui avait d’ ailleurs prédit que celui-ci risquait fort d’ être voué à l’échec. Comme on peut s’en douter, il se montra fort désappointé (pour dire le moins) de ne pas avoir été écouté et il n est pas surprenant qu’ une fois l’Edsel commercialisée et le fiasco commercial qui s’ ensuivit, il fera tout ce qui était en son pouvoir pour convaincre Henry Ford Jr. De mettre au plus vitre un terme à cette expérience désastreuse, tant sur le plan financier que pour l’image du groupe Ford.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL VILLAGER STATION-WAGON 1958

Sur le plan financier, l’ aventure de l’Edsel aura coûté, à l’époque, pas moins de 350 millions de dollars à Ford, soit l’ équivalent de 2,9 milliards de dollars actuels ! Au total, sur ses trois millésimes (ou vingt-sept mois) de production, seuls 118 287 exemplaires de l’Edsel auront été construits (dont 7 440 produit dans l’ usine d’ Ontario, au Canada), tous modèles et carrosseries confondus. Pour rappel, lors de son lancement, la direction de Ford escomptait vendre environ 200 000 unités durant son premier millésime de production (et sans doute plus encore les années suivantes). Le lendemain même de l’ arrêt de la production de l’Edsel, une fois cette annonce rendue publique, cela entraîna, inévitablement, une baisse significative et immédiate de la valeur de ces voitures sur le marché, qu’ il s’ agisse des modèles neufs qui venait de sortir d’ usine et qui attendait encore d’ être vendus chez les concessionnaires, comme des voitures déjà vendues ou qui se trouvaient sur le marché de l’ occasion. Une baisse dont le montant variait en fonction de leur âge et de leur état, mais qui, en moyenne, atteignait environ 400 dollars. En conséquence, de nombreux concessionnaires s’ empressèrent alors de renégocier (avec la plus forte baisse possible) les contrats publicitaires qu’ ils avaient passé dans les journaux locaux pour la promotion des Edsel de l’année-modèle 1960. Certains d’entre eux annulant purement et simplement les contrats en question et cessant ainsi toute promotion du modèle. Bien que Ford leur accorda des réductions assez importantes afin de leur permettre de parvenir à écouler les stocks de véhicules encore invendus ou qui leur furent livrés après l’ annonce de l’abandon de la marque Edsel. Malgré cela, certains concessionnaires décidèrent de retirer les voitures qui leur avaient déjà été livrées de leurs stocks et de leurs show-rooms et les réexpédiant à l’ usine en déclarant qu’étant donné la décision du groupe de supprimer la marque, ces modèles étaient devenus invendables. Dans sa volonté de tourner au plus vite la page de l’ aventure de l’Edsel, Ford distribuera à tous les clients qui s’ étaient déjà porté acquéreurs d’une Edsel 1960 de bons d’ une valeur de 300 à 400 dollars afin de compenser la perte de valeur de ces modèles. Dans un premier temps, une fois que Ford eut fait ses comptes et ait fini de faire le calcul de l’étendue des pertes causées par le désastre de l’Edsel, le groupe de Dearborn en resta groggy et mettra plusieurs années à s’ en remettre. Ford sera bien content de pouvoir compter, dans un premier temps, sur la populaire Falcon (imaginée par McNamara), qui s’ est vendue à plus de 400 000 exemplaires au cours de sa première année, ainsi que, à l’ autre extrémité de la gamme, sur la nouvelle génération de la Lincoln Continental, qui, elles, seront toutes deux plébiscitées par le public et, surtout, à partir du printemps 1964, sur l’immense succès remporté par la nouvelle Mustang pour effacer, assez rapidement, cette énorme ardoise.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL CORSAIR COUPE HARDTOP 1958

Après avoir été « euthanasiée » et enterrée dans la précipitation, sans tambours ni trompettes et sans même que son constructeur n’ ait daigné déposer le moindre « bouquet » ni aucune « couronne de fleurs » sur sa tombe en forme de regrets, au cours des années 60, la marque Edsel sombrera progressivement dans l’ oubli, « aidée » en cela, à la fois, par le groupe Ford qui, avec acharnement, cherchera à effacer toutes les traces trop visibles de cette désastreuse aventure ainsi que d’ une grande partie des acheteurs. La plupart d’ entre eux, qui, en dépit des commentaires acerbes publiés dans la presse automobile lors de sa présentation, des quolibets adressés par leurs contemporains, s’ étaient pourtant laissé convaincre de se porter acquéreur d’une Edsel, finirent sans doute pourtant par se fatiguer des moqueries de toutes sortes qu’ ils eurent à subir au quotidien. Ainsi, également, que des problèmes de fiabilité et de finition, sans parler du manque d’aide et d’ empressement que le réseau manifestera souvent à entretenir ces voitures mal-aimées et reniées. Après tout cela, on ne s’étonnera donc sans doute pas d’apprendre qu’il ne subsiste plus aujourd’hui qu’environ 10 000 Edsel dans le monde, soit moins du dixième de la production totale. Après une longue période de purgatoire, l’Edsel a finalement pris sa revanche et est aujourd’hui devenue un modèle culte parmi les américaines des années 50. Même si, de prime abord, cela peu sembler étrange à certains, un grand nombre de modèles, de toutes sortes et de toutes époques, qui ont été des échecs commerciaux suscitent de nos jours un grand intérêt auprès des collectionneurs. Il est, pourtant, assez aisé de comprendre les raisons pour lesquelles attire tant la convoitise et la curiosité auprès des amateurs comme du grand public : Un style singulier, une genèse mouvementée et une carrière commerciale complètement ratée. Car l’échec commercial et donc un faible nombre d’ exemplaires construits implique souvent une grande rareté, ce qui, évidemment, ne fait qu’ ajouter un intérêt supplémentaire auprès des amateurs de voitures anciennes. Les Edsel des premières séries, celles de l’année-modèle 1958, étant évidemment les plus prisées car possédant le style avec la plus forte personnalité. De nos jours, l’un des modèles haut de gamme comme le cabriolet Citation, en état « concours », peut facilement atteindre les 100 000 dollars. Quant au modèle le plus rare de la gamme Edsel, le cabriolet Ranger de l’année-modèle 1960, sur les 76 exemplaires construits, il n’en subsisterait plus que 25 aujourd’hui. Ce qui en fait une rareté absolue ainsi sans doute que le graal pour tout fan de l’ Edsel.

EDSEL- Fiasco à l'américaine.
EDSEL RANGER BERLINE 1960

Longtemps encore après sa disparition, l’ Edsel demeura un sujet tabou dans les couloirs et les bureaux du siège du groupe Ford, et qu’aujourd’hui encore son nom est resté synonyme, au sein des historiens de l’ automobile comme de tous ceux qui, au sein du grand public, connaissent son histoire, d’ échec commercial par excellence. Si elle reste sans doute le plus grand fiasco de l’ histoire du groupe Ford, le monde des collectionneurs lui a maintenant offert la réhabilitation qu’ elle méritait ainsi que le succès qu’ elle n’ a jamais connue à son époque. Elle a, en tout cas, gagnée depuis longtemps sa place au « paradis des losers magnifiques », tout comme la Chrysler Airflow, la Tucker et la Chevrolet Corvair. Des modèles qui, eux aussi, ont connu, dès leur lancement, ou, pour la dernière citée, dans la seconde partie de leur carrière, par la faute d’ une campagne calomnieuse, le rejet de la part du public et, souvent, se sont vu aussi très vite renié par leur constructeur. Pourtant, tout comme celles-ci, en dehors du succès qu’elle et son constructeur, Ford, estimaient lui revenir, l’Edsel ne demandait, au final, qu’ une chose, assez légitime : Celle de pouvoir revendiquer et faire jouer son droit à la différence.

Maxime DUBREUIL

Photos via Wheelsage

D’autres américaines https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/05/cadillac-4/

En vidéo https://youtu.be/UDx0Opwl8CY

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