HOTCHISS ANJOU et ANTHEOR – Crépuscule sur Saint Denis

Hotchkiss Anjou

S S : Standard Swallow ou Swallow Sidecar?

À l’image de la grande majorité des constructeurs français, de poids lourds notamment, lorsque s’achève la Seconde Guerre mondiale, les usines Hotchkiss peuvent enfin reprendre la production de leurs voitures de prestige, à Saint Denis, au nord de Paris. La marque présente alors, au Salon de Paris d’octobre 1946, une gamme identique, ou presque, à celle que les fidèles clients de Hotchkiss ont connu juste avant la guerre. « Presque » car, outre les difficultés d’approvisionnement en matières premières, elles ne sont plus vraiment dans « l’air du temps ». En cette période de reconstruction, où l’acquisition de la plus modeste voiture neuve reste un « luxe » inaccessible pour la grande majorité des Français, les versions décapotables et découvrables n’ont pas encore fait leur retour au sein du catalogue du constructeur. En effet, rouler en cabriolet évoque l’insouciance d’une période révolue, et d’être vue d’un mauvais œil par certains. La gamme reste ainsi, dans l’immédiat, réduite à un seul et unique modèle, le Type 686 20 CV à six cylindres, proposée uniquement en berline et en limousine.

Deux ans plus-tard, en 1948, la gamme s’élargie vers le bas avec l’apparition du Type 854 qui reçoit, lui, sous son capot, un quatre cylindres de 13 CV. Esthétiquement, qu’il s’agisse de ce dernier ou des modèles à 6 cylindres de haut de gamme, hormis de menus détails, rien ne différencie les Hotchkiss qui recommencent lentement à sortir des chaînes de St-Denis, de celles qui en sont sorties juste avant le déclenchement des hostilités en 1939. Une silhouette des plus classiques qui, si elle commence déjà à paraître quelque peu passée de mode, en cette seconde moitié des années 1940, face aux nouveaux modèles italiens et américains, Ford Vedette, ou même français comme la Renault 4 CV, la Peugeot 203, continue à plaire à la clientèle de la marque. Dans sa grande majorité, celle-ci reste assez conservatrice. En tout état de cause, en dehors de quelques exceptions notables, l’ensemble des constructeurs, en Europe comme en Amérique, se voient contraints, faute de mieux, à remettre en production leurs modèles d’avant-guerre, le temps que se poursuive la reconstruction, économique et industrielle, du pays. La direction de Hotchkiss juge donc que ses anciens modèles peuvent donc durer encore quelques années, le temps que la firme ait finie de panser ses plaies et que le bureau d’études ait élaboré un nouveau véhicule.

Hotchkiss Monte-Carlo de 1939

Dans les premières années de l’après-guerre, de nombreux modèles, notamment au sein de la production britannique, conservent d’ailleurs un style identique aux modèles produits avant le conflit. Un exemple assez illustratif est la Jaguar Mark IV, qui n’était, sur bien des points, rien d’autre qu’une pure et simple copie des SS – Standard Swallow – d’avant-guerre. La silhouette des Hotchkiss n’apparaissent alors pas plus démodée que celle de la plupart de ses concurrentes. Même au sein des modèles populaires de la production française, la plupart se voit obligé par leurs constructeurs (compte-tenu du contexte économique de l’après-guerre) à jouer les prolongations, durant une période encore assez longue parfois. L’un des meilleurs exemples en est certainement la Traction Avant Citroën, présentée en 1934 et qui conservera une allure quasiment inchangée jusqu’à la fin de sa production en 1957.

Tout comme leurs concurrents nationaux, les silhouettes fort classiques des automobiles Hotchkiss sont à l’image de l’état d’esprit des dirigeants de la marque, c’est-à-dire fort conservatrices. Un conservatisme quasiment érigé au rang de vertu cardinale et qui ne concerne d’ailleurs pas que l’esthétique des voitures produites à Saint-Denis, mais aussi le domaine technique. Celles-ci restent ainsi fidèles à des freins à câbles et à un train avant rigide, alors que même les Peugeot (dont l’avant-gardisme technique n’a pourtant jamais été la caractéristique première) ont déjà adopté un système de freinage hydraulique et des roues avant indépendantes depuis le milieu des années 30. Si, pendant longtemps, ce conservatisme affiché et même revendiqué, sans doute parce qu’il était (en tout cas aux yeux de la clientèle) gage d’une grande robustesse, d’une solidité technique, fut l’une des raisons du succès des modèles Hotchkiss, il sera aussi, par la suite, l’une des causes de son déclin.

Une telle attitude peut sembler, en grande partie, assez logique en ce qui concerne les modèles de série. Il peut néanmoins paraître assez surprenant que Hotchkiss n’ait pas non plus fait preuve de plus d’audace pour ses voitures qui se sont illustrées en compétition. Ce qui est pourtant un secteur dont les ingénieurs et les stylistes se sont, dès l’avant-guerre, abondamment investis pour créer de nouvelles formes aérodynamiques. Mais il semble que, là aussi, les hommes du bureau d’études de l’usine de Saint-Denis (soit par manque d’audace ou sur ordre de la direction) ne s’y soient jamais aventurés. Même s’il est vrai aussi que ces expérimentations sur l’aérodynamique s’appliquaient surtout aux voitures qui couraient sur circuit. Or, le domaine de la course automobile dans lequel les voitures de la marque se sont le plus impliquées, et illustrées, sont les rallyes, où le travail des formes des carrosseries occupait évidement un rôle beaucoup moins important. Ainsi, sur le plan esthétique, les voitures qui s’illustreront dans les plus grandes épreuves de l’époque, comme celles qui remporteront à plusieurs reprises le rallye de Monte-Carlo, restent quasiment identiques aux modèles de série. Sans doute est-ce aussi parce que les Hotchkiss, tant par leur style que par leur comportement routier, affichent des personnalités moins exubérantes que leurs rivales (Delage, Delahaye ou Talbot) qu’elles ne suscitent guère l’intérêt auprès des grands carrossiers de l’époque.

Alors que la plupart des autres marques françaises de prestige ne vendent leurs modèles qu’en châssis nus, Hotchkiss est l’un des rares constructeurs (avec Talbot) à proposer à son catalogue des voitures entièrement carrossées et donc livrées « clés en main ». Le client qui souhaite toutefois pouvoir s’offrir une voiture personnalisée et unique a toutefois la possibilité de ne passer commande que pour un châssis et de faire livrer celui-ci au carrossier de son choix, lequel se chargera alors de le faire habiller de la carrosserie voulue par le client. Les carrossiers les plus renommés, comme Figoni, Franay, Letourneur & Marchand ou Saoutchik, préfèrent exercer leurs talents sur des châssis dont la mécanique ou la renommée de leurs constructeurs sont plus « flamboyantes ». Ils estiment qu’ils peuvent davantage exprimer leurs talents, comme la Delage D6, les Delahaye 135 et 175 (ainsi que les dérivés de cette dernière, les 178 et 180) ou encore les Talbot Lago Record et Grand Sport. Aussi, les Hotchkiss équipées de carrosseries hors-série ne représentent-elles qu’une faible part de la production de l’usine de Saint-Denis. Ces dernières se révèlent dignes d’intérêt, peu ont survécu. Parmi les carrossiers français les plus connus à avoir exercer ses talents sur les châssis de la marque fut Henri Chapron. Sans-doute parce que le style fort classique de ce carrossier (fondé en 1919 et installé à Levallois-Perret) s’accorde bien avec le classicisme des Hotchkiss. Ce qui ne l’empêche toutefois pas, sur certains des modèles qui passent par ses ateliers, de faire preuve de plus d’audace que de coutume, notamment avec un cabriolet dont les ailes avant reprennent le style « ponton » intégral. Il s’agit alors d’un nouveau courant esthétique venu des Etats-Unis, dont les Kaiser-Frazer et les Studebaker furent les premiers modèles de la production de Detroit à bénéficier. Si ce nouveau dessin des ailes avant contribue à lui donner un air de modernité assez bienvenue, la calandre verticale, dont le style traditionnel s’inspire de celle des Hotchkiss de série s’accorde mal avec celle du reste de la partie avant de la voiture.

Hotchkiss Monte-Carlo de 1939

Pendant que les anciennes Hotchkiss d’avant-guerre poursuivent une seconde carrière après le conflit, le bureau d’études de la firme, de son côté, travaille sur un nouveau projet important pour remodeler entièrement le style des Hotchkiss et les remettre ainsi au goût du jour. Aussi conservateurs qu’ils soient, les dirigeants ne peuvent maintenant plus ignorer que leurs clients demandent à présent de rouler dans des modèles qui s’affranchissent du style d’avant-guerre, qui apparaît maintenant franchement vieillot. Leurs phares externes par exemple, elles sont les seules à les conserver avec les Tractions Citroën. Lorsqu’elles quittent finalement la scène, au tout début des années 50, cette génération de modèles Hotchkiss affiche pas moins de dix-sept ans de carrière à son actif (en retirant les années de guerres) et qu’elle a clairement fait son temps.

Afin de s’inscrire dans l’air du temps et de rompre clairement avec la génération précédente, les stylistes de Hotchkiss conçoivent un prototype qui adopte le style « ponton » intégral cher aux constructeurs américains. Il s’agit d’un style auquel tous les modèles produits à Detroit ont déjà adhéré, et qui, à présent, commence à séduire les constructeurs européens. Par ses lignes, ce prototype de ce qui doit être la nouvelle génération des Hotchkiss des années cinquante (surnommée « New Look » en interne) n’est pas sans rappeler celles de la Renault Frégate ou de certains des nouveaux modèles de la production britannique comme la Rover P4. La calandre de cette nouvelle Hotchkiss, elle, demeure presque identique à celle de ses devancières, sans doute une volonté délibérée de la part de la direction de maintenir une filiation claire et évidente, aux yeux des clients de la marque comme du public, avec les anciens modèles. On ignore si ce projet d’une nouvelle génération de Hotchkiss portait aussi sur la partie technique, si la « New Look » aurait véritablement été une voiture entièrement nouvelle. Ce qui semble certain, en tout cas, c’est que ce nouveau modèle, tel qu’il se présentait sur le plan esthétique, aurait permis, s’il avait été commercialisé, d’apporter un vent de fraîcheur et de nouveauté fort bienvenu pour un constructeur dont l’image commençait sérieusement à jaunir et à prendre la poussière.

HOTCHKISS ANJOU et ANTHEOR – Crépuscule sur Saint Denis

Malheureusement pour la marque de Saint-Denis, il n’entrera finalement jamais en production. Ceci par un événement (plus ou moins) imprévu qui va venir se mettre en travers du chemin des hommes du bureau d’études de Hotchkiss et contrecarrer leurs plans : l’arrivée de l’ingénieur Jean-Albert Grégoire, venu soumettre à la direction de la firme de Saint-Denis le nouveau prototype qu’il vient de mettre au point. Celui de la Grégoire, qui se présente sous la forme d’une berline, dont les lignes, savamment étudiées en soufflerie, présentent alors une aérodynamique record pour l’époque. De plus, elle regroupe toutes les solutions techniques chères à l’ingénieur, comme la traction avant, les quatre roues indépendantes ainsi que la structure en alliage léger. Une voiture qui, sur bien des points, apparait aussi révolutionnaire que le fut, en son temps, la Traction Citroën ou que le sera, quelques années plus tard, un autre modèle emblématique de la marque aux chevrons, la DS.

Hotchkiss Grégoire

Toutefois, ce n’est pas à Hotchkiss que Grégoire soumet d’abord le projet de la berline R, mais à Peugeot, qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était devenu l’un des principaux actionnaires de la marque. Ces derniers se sont vus proposer par Jean-Albert Grégoire son projet de « voiture révolutionnaire », qui, mieux que tout autre, doit alors incarner la nouvelle berline française de l’ère moderne. La direction de Sochaux n’est, dès le départ, guère intéressée par ce modèle ; l’avant-gardisme trop « radical » à leurs yeux ne correspond guère à la philosophie, assez conservatrice et pragmatique, de la marque au lion. Celle-ci ne veut néanmoins pas non plus prendre le risque de se mettre à dos le célèbre ingénieur : ce dernier jouit d’un grand pouvoir d’influence au sein de l’Aluminium Français. Cette entreprise, qui possède à l’époque un quasi-monopole sur la fabrication de l’alliage léger, fournit par exemple de nombreuses pièces en Alpax pour la 203. Les dirigeants de Peugeot ont alors une idée assez « habile » pour se débarrasser du problème : conseiller à Grégoire d’aller présenter son projet à Hotchkiss. En plus de ses talents d’ingénieur, il faut croire que ce dernier possède aussi un fort pouvoir de conviction. Il n’a d’ailleurs guère de difficulté à convaincre le PDG de Hotchkiss, Maurice de Gary, de donner son aval à la production en série de la berline R sur les chaînes de l’usine de Saint-Denis. Ce véhicule se voit alors rebaptisé Hotchkiss-Grégoire. Le moins que l’on puisse dire est que, au sein des cadres comme des hommes du bureau d’études, nombreux furent ceux qui ne se réjouissent pas vraiment à l’annonce de l’accord signé entre la direction de Saint-Denis et le célèbre ingénieur sur le projet de l’Amilcar Compound (un constructeur spécialisé dans les petites voitures de sport populaires, qui fut racheté par Hotchkiss au milieu des années 30), ne leur avait pas laissé que de bons souvenirs et, d’autre part, parce qu’ils avaient bien conscience que, étant donné les finances de la firme, celle-ci n’aurait sans doute pas la possibilité de mener à bien et de front deux projets de grande envergure comme ceux de la « New Look » et de la Grégoire. Il leur fallait donc faire un choix ; opter pour la mise en production de seulement un des deux projets. C’est finalement – et malheureusement pour la firme de Saint-Denis – la deuxième option qui fut choisie.

Hotchkiss Grégoire

Malheureusement, car, comme l’avenir le montrera, l’Hotchkiss-Grégoire ne remportera pas le succès espéré. Ce sera même un échec commercial retentissant. Outre que l’ingénieur Grégoire n’a vraisemblablement pas manqué d’user de sa force de persuasion (ainsi, probablement, que de son pouvoir de pression, par son soutien au sein de l’Aluminium Français), les dirigeants de la firme, sans doute conscients de l’image surannée dont elle commence à souffrir, sont rapidement convaincus que la nouvelle berline Grégoire peut permettre de dépoussiérer l’image du constructeur, et attirer (ou faire revenir) une clientèle désintéressée par une marque à l’allure désuète et aux techniques archaïques. Dans ce contexte, et au vu de cette situation financière assez précaire, l’état-major de Hotchkiss, accorde la priorité à la transformation et au rajeunissement de son image. Il lance de fait l’industrialisation et la mise en production de la Grégoire R. Ils décident alors de ne pas abandonner le projet de la New Look, mais « simplement » de le mettre en stand-by. Convaincue (en tout cas, au départ) du succès que ne manquera pas de remporter ce nouveau modèle avant-gardiste, la direction de Saint-Denis estime certainement que les ventes de la berline Grégoire permettront de mettre rapidement en production la New Look. Elle se présentera comme un modèle d’allure et de technique plus classique (bien que modernisé par rapport aux modèles de l’ancienne génération) et donc plus apte à séduire la frange la plus « traditionaliste » de la clientèle de la marque, trop réfractaire au côté avant-gardiste de la Grégoire.

Hotchkiss Anjou

À leurs yeux, la « nouvelle » génération des Hotchkiss, présentée à l’occasion du Salon automobile d’octobre 1950, et baptisée Anjou, n’est destinée qu’à être un modèle de transition, à faire patienter la clientèle (en tout cas, les clients les plus traditionnels) en attendant la commercialisation « prochaine » de la New Look. Dans ces conditions, il n’est donc pas vraiment surprenant qu’en fait de « nouvelle » génération, la berline Anjou ne soit, en réalité, qu’un simple lifting, somme toute assez léger, des anciens modèles. Il n’y a, en effet, qu’à comparer des photos de l’Anjou avec celles de ses devancières pour s’en rendre compte. Ce lifting s’est principalement concentré sur la face avant. La proue se voyant à présent équipée de phares intégrés de plus grand diamètre, lesquels surmontent une paire d’optiques longue portée, destinées sans doute à offrir, de nuit, un éclairage optimal au conducteur. Les ailes avant sont plus enveloppantes et allongées, débordant sur les portières avant. L’Anjou profite également de ce rajeunissement pour abandonner le capot-moteur en deux parties, un héritage des modèles d’avant-guerre, que les Traction Citroën 11 et 15 CV, de leur côté, conserveront pourtant jusqu’à la fin de leur production, en 1957. Le nouveau capot déborde moins sur les côtés et, surtout, il est maintenant constitué d’une seule pièce.

Malgré ce rajeunissement bienvenu, l’Anjou conserve certains anachronismes : l’étroit pare-brise en deux parties, par exemple, alors que la plus grande partie des modèles de la production française avaient déjà adoptés des pares-brises courbes constitués d’une seule pièce. De plus, aussi réussi qu’il soit, ce rajeunissement de lignes reste toutefois insuffisant pour parvenir à masquer les rides d’un modèle qui peine de plus en plus à masquer son âge, sa conception de plus de quinze ans d’âge. À l’intérieur, le tableau de bord conserve, lui aussi, un aspect et un charme délicieusement suranné. Il ne contribue pas vraiment, là non plus, à rajeunir l’image des Hotchkiss : le volant, notamment, dont le dessin, au diamètre imposant, demeure quasi identique à celui des modèles produits avant la guerre. Néanmoins, il est vrai qu’un certain nombre de ses concurrentes, notamment parmi les constructeurs britanniques, présentent, elles aussi, une planche de bord et un habitacle dont le style évoque fortement celui des vieilles demeures bourgeoises d’antan et que, sur ce point, l’Anjou n’apparait, finalement, pas plus « démodée » qu’une autre. En tout état de cause, si elle parait encore « acceptable » ou dans « l’air du temps » au moment où elle fut dévoilée au public, la ligne de l’Anjou est cependant, dès le départ, condamnée à vieillir très vite et elle passera, en effet, comme démodée et anachronique lorsqu’elle quittera la scène, quatre ans plus tard.

Au début des années cinquante, sans doute parce que la photographie couleur ne s’était pas encore généralisée, la couleur apportant de la gaieté et de l’attractivité à leurs catalogues (ce qui est important pour une voiture qui se voulait un modèle de prestige), la firme de Saint-Denis, tout comme ses concurrents, fait appel à des illustrateurs spécialisés dans l’automobile. Ces derniers travaillent alors aussi bien pour les constructeurs que pour les carrossiers ou des magazines spécialisés. Depuis le milieu des années 30, Hotchkiss s’est adjoint les services d’Alexis Kow, qui est alors chargé par le département publicitaire de la marque de concevoir les illustrations destinées, non seulement, aux catalogues mais aussi aux différents prospectus et affiches publicitaires de la marque. Il est alors déjà un illustrateur fort réputé pour la virtuosité de son coup de crayon. Plusieurs autres grands constructeurs français, comme Panhard, font également appel à ses services. Si ses travaux peuvent, à juste titre, être considérés comme de véritables œuvres d’art, ils ont aussi contribué à la renommée des modèles de la marque, ils ne sont, toutefois, pas toujours entièrement fidèles à la réalité et donnent parfois même une vision idéalisée des modèles qu’ils représentent. Cette habitude qui avait cours à l’époque de recourir aux illustrateurs plutôt qu’aux photographies était aussi parfois une manière, habile ou facile, de vendre à la clientèle des voitures dont les lignes ne correspondaient pas entièrement (parfois assez peu) aux dessins figurant dans les catalogues. Dans certains cas, des modèles qui paraissent dotés de lignes élégantes sur les illustrations, ont, dans la réalité, une allure assez gauche, étriquée et mal équilibrée. Aujourd’hui, une telle pratique serait qualifiée de tromperie sur la marchandise. Dans les années 50, cela reste encore une pratique assez courante, sans doute en partie, bien acceptée, ou tolérée, par la grande majorité du public et de la clientèle.

Concernant les dessins d’Alexis Kow, s’ils font souvent paraître les modèles Hotchkiss plus bas et élancés qu’ils ne le sont en réalité, les carrosseries montées sur les voitures qui sortent des usines de Saint-Denis en restent toutefois assez proches. Les œuvres du dessinateur vont toutefois être tellement appréciées du public, et de la clientèle de la marque, qu’elles vont bientôt avoir une influence directe sur le style des nouveaux modèles du constructeur. Tout comme ses clients, le président de Hotchkiss, Henry Mann Ainsworth, apprécie aussi le travail de l’artiste, mais trouve fort dommage, voire agaçant, que les modèles de la gamme ne présentent pas des lignes qui soient le plus fidèle possible aux illustrations des catalogues. C’est pourquoi il demande alors d’intervenir sur le style des nouvelles Hotchkiss. S’il ne fera jamais officiellement partie de l’équipe du bureau de style de la marque, n’étant que consultant extérieur, son influence sur l’esthétique des nouvelles voitures du constructeur sera alors indéniable.

Publicité de Hotchkiss, dessin d’Alexis Kow

Dès le début de l’automobile, l’une des meilleures publicités pour les constructeurs a toujours été la compétition. Qu’il s’agisse des rallyes ou des courses sur circuits, elle a toujours représenté un excellent moyen pour les marques de prouver les performances, la solidité et la fiabilité de leurs modèles. Hotchkiss, comme beaucoup d’autres constructeurs, l’a d’ailleurs bien compris. Dans l’entre-deux-guerres, l’entreprise a mis en place un vaste programme de compétition. Si certains de ses concurrents s’illustrent sur tous les fronts, d’autres privilégient les engagements sur circuit. Hotchkiss, de son côté, décide de concentrer ses efforts sur une autre catégorie de la compétition automobile : les rallyes. Notamment parce que les voitures qui y sont engagées, contrairement à celles qui courent sur les circuits, restent (le plus souvent), assez proches des modèles de série. La firme de Saint-Denis s’y taillera d’ailleurs rapidement une solide réputation, en particulier au sein du rallye de Monte-Carlo. Créé en 1911, celui-ci va très vite devenir l’une des épreuves de référence dans le monde des rallyes. Réussir à hisser ses pilotes sur le podium constituant évidemment une publicité inégalable pour un constructeur de voitures de sport. Parmi tous ceux qui s’illustreront dans cette épreuve mythique, Hotchkiss sera certainement l’une des plus titrées, puisque la marque remportera à quatre reprises le rallye de Monte-Carlo dans les années trente : en 1932, 1933, 1934 et 1939. Une fois la guerre terminée et la compétition relancée, Hotchkiss ne manquera évidemment pas d’y faire son retour et remportera à nouveau l’épreuve en 1949 et 1950.

Sur ce terrain, le conservatisme technique, auquel les Hotchkiss restent attachées, semble d’ailleurs être souvent un avantage sur ce genre de compétitions qui se courent à travers toute l’Europe, sur des routes souvent loin d’être en bon état, parfois perdues au milieu de nulle part, où tous les organes mécaniques sont souvent soumis à rude épreuve. Dans ces conditions, le recours à des solutions techniques simples et largement éprouvées constitue souvent un gage de fiabilité et de facilité de réparation.

Hotchkiss Anjou décapotable

Si le six cylindres que l’on retrouve sous le capot de la berline Anjou, ainsi que dans l’Anthéor, présentée en 1951, conserve ainsi un arbre à cames latéral (c’est-à-dire qui ne se trouve pas placé en haut de la culasse mais sur le côté du moteur), la distribution s’effectue néanmoins par l’intermédiaire de soupapes en tête (une architecture mécanique plus moderne et assurant un meilleur rendement que les soupapes latérales, dont sont encore équipées certains modèles de la production française, comme ceux de la filiale française de Ford). Avec une puissance de 100 chevaux (130 sur la version Grand Sport) pour une cylindrée de 3 485 cc, le moteur Hotchkiss présente toutefois un rendement et un rapport ch/litre qui reste dans la moyenne des mécaniques de l’époque. Les moteurs qui équipent alors la plupart de ses concurrentes ne sont souvent guère plus puissants. Seuls les V8 de la production américaine offrent alors une puissance supérieure. Tout comme la berline Anjou, le cabriolet Anthéor est, lui aussi, proposé en deux motorisations : le six-cylindres, mentionné plus haut, et le quatre-cylindres « d’entrée de gamme » (hérité du type 864, qui constitue le modèle de base de la gamme Hotchkiss d’avant-guerre), affichent une cylindrée de 2 312 cc et une puissance de 70 chevaux. Le six-cylindres a été inauguré sur le modèle Paris-Nice 20 CV, dans les années 30.

Tableau de bord de la Hotchkiss Anjou décapotable

Parmi tous les constructeurs de voitures de prestige encore en activité en France après la Seconde Guerre mondiale, Hotchkiss est, en dehors de Salmson et de Talbot, l’un des rares qui construit et propose à son catalogue des voitures entièrement carrossées à l’usine et livrées « clés en main ». Delage et Delahaye, de leur côté, ne vendent toujours leurs modèles qu’en châssis nus, les clients devant se charger de les faire habiller par un carrossier extérieur. Que ce soit pour les berlines, limousines, coupés, cabriolets ou coachs proposés à son catalogue, la firme de Saint-Denis a toujours aimé donner des noms évocateurs à ses modèles. Sans doute afin de mieux souligner la vocation des modèles de la marque : celle des grandes routières destinées à parcourir de longues distances sur les nationales françaises, avec la Nationale 7, par exemple, qui est la plus célèbre, emmenant autrefois les vacanciers sur leur lieu de villégiature sur la Côte d’Azur. Le constructeur les a ainsi, à chaque fois, baptisés de noms de villes ou de provinces françaises. On retrouve chaque appellation désignant un type de carrosserie bien précis aussi bien sur les séries à moteurs de quatre ou six cylindres.

Au sein de la gamme du millésime 1939 (le dernier produit avant la Seconde Guerre mondiale), la berline reçoit ainsi le nom de Cabourg, le coach celui de Côte d’Azur, le coach décapotable recevant, lui, une appellation fort évocatrice et même à la connotation fort prestigieuse : celle de Monte-Carlo. Ce nom rend ainsi hommage, de manière assumée, aux nombreuses victoires remportées par la marque. La conduite intérieure (ou limousine, comme on l’appellerait aujourd’hui, même si la séparation intérieure entre le chauffeur et les passagers n’était montée que sur demande) reçoit, elle, celle de Vichy ou Chantilly selon la version choisie par le client. Quant à la version décapotable, elle aussi, est baptisée d’un nom évoquant les villégiatures estivales : Biarritz. Lorsqu’elles sont montées sur le châssis à empattement court de la version Grand Sport, il reçoit l’appellation de Riviera, le coach recevant, lui, celle de Modane.

Lors de la reprise de la production automobile, en 1946, étant donné le contexte économique et social fort difficile, et même si le coach et le cabriolet se retrouvent, officiellement, inscrits au catalogue, dans la réalité, seules la berline et la limousine sont, dans un premier temps, disponibles. Le client qui souhaite disposer d’une voiture équipée d’une carrosserie à deux portes doit alors faire l’acquisition d’un châssis « nu » pour le faire ensuite habiller par un carrossier extérieur. Ce n’est qu’à partir du courant de l’année 1948 que les coachs Côte d’Azur et Modane, ainsi que les cabriolets Biarritz et Riviera seront à nouveau disponibles. À l’occasion de la présentation des modèles du millésime 1949 (au salon de Paris d’octobre 1948), les Hotchkiss recevront de nouvelles appellations : Artois pour la berline, Roussillon pour le coach, Antibes pour le coach décapotable, Provence pour le cabriolet, Touraine pour la limousine et Champagne pour le coach Grand Sport. Lors de la présentation au public de la gamme pour l’année-modèle 1951, outre la berline Anjou et le cabriolet Anthéor, une limousine (baptisée Saint-Germain) ainsi que le coach Champagne pour la version Grand Sport, sont également disponibles au catalogue. La version décapotable n’entre toutefois en production qu’en 1952, un an après les autres modèles de la gamme.

Hotchkiss Anthéor

Étant donné que ces modèles, qui représentent l’ultime génération des Hotchkiss « classiques » ne connaissent qu’une existence courte (trois ans à peine), ils ne voient pratiquement aucune évolution, ni même de changements significatifs jusqu’à la fin de leur production, en 1954. Tout comme la (très) avant-gardiste et (trop) chère Hotchkiss-Grégoire, les Anjou et Anthéor, ainsi que tous les autres modèles dérivés représenteront le chant du cygne de la marque. Si plusieurs personnalités du show-business, ainsi que des figures du monde politique français de l’époque, en font leur monture favorite, notamment le cabriolet Anthéor qui sert de voiture de fonction à Jacques Godet, le patron du Tour de France de l’époque, cette « publicité gratuite » qui était ainsi offerte à la marque n’a toutefois aucun effet positif ou concret sur la courbe des ventes. En dehors de la berline Anjou (qui ne connait d’ailleurs guère plus qu’un succès d’estime), les autres modèles de la gamme n’ont qu’une carrière assez confidentielle. Le cabriolet Anthéor n’est ainsi produit, en tout et pour tout, qu’à une vingtaine d’exemplaires seulement (tous réalisés dans les ateliers de Henri Chapron à Levallois-Perret) : quatorze avec le moteur quatre cylindres et six autres en version six cylindres. Quant à la limousine Saint-Germain, sa production est, elle aussi, des plus symboliques : huit exemplaires à peine. Seul la version Grand Sport peut revendiquer un score supérieur, avec trente-six exemplaires sortis de l’usine de Saint-Denis.

Hotchkiss Monceau

Ayant jeté ses dernières forces dans l’industrialisation de la Grégoire (la production, toutes versions confondues, n’atteint pas les 250 exemplaires), Hotchkiss se retrouve alors avec des caisses entièrement vides. Sa réputation, déjà plutôt flétrie au moment de la présentation des modèles Anjou, a achevé de complètement se détériorer lorsque le constructeur jette l’éponge et se résigne à abandonner la production de ses voitures de luxe. Les dernières Hotchkiss à moteur six cylindres quittant les ateliers de l’usine de Saint-Denis à l’automne 1953 et celle des modèles d’entrée de gamme à moteur quatre cylindres en mars de l’année suivante. Si Hotchkiss fera une ultime apparition au Salon d’octobre 1954, avec un « nouveau » modèle baptisé Monceau (une berline Anjou aux lignes modernisées), la nouvelle direction du constructeur n’y présente cette voiture qu’en forme de message et « cadeau » d’adieu. Elle vient de conclure, à l’été de la même année, une alliance avec la firme Delahaye qui aboutit à la fusion des deux marques. Elles auront un stand commun au Grand-Palais. La firme de St-Denis a, en effet, décidé de tourner définitivement la page. Une page qui représente pourtant l’un des plus importants chapitre, long quasiment d’un demi-siècle, dans la riche histoire du constructeur. Celui-ci se recentre alors sur son activité première, le secteur de l’armement, ainsi que celui des véhicules militaires (notamment la Jeep inspirée des modèles de la firme américaine Willys-Overland, qui seront construites sous licence au sein des usines de Saint-Denis jusqu’à la fin des années soixante).

Hotchkiss Jeep

Juan Moreno

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