CITROËN DYANE – Dans l’ombre de la « Deudeuche ».

Si, pour beaucoup, y compris au sein des amateurs d’automobiles françaises, l’année 1967 est, avant tout, une année noire, puisqu’elle marque la disparition du doyen des constructeurs français, Panhard (en tout cas en tant que constructeur automobile, le nom subsistera, en effet, sur des véhicules militaires jusqu’en 2018). Beaucoup l’ont (parfois, depuis longtemps déjà) oublié, mais cette année voit également le lancement par Citroën (celui-là même qui était devenu actionnaire majoritaire de Panhard à la fin des années 50, avant de racheter complètement la firme en 1965, avant de prononcer son « acte de décès » à peine deux ans plus tard) de celle dont la mission était, rien moins, que de remplacer, à court ou moyen terme, la célébrissime 2 CV.

Une véritable mission impossible, à tel point que contrairement à l’agent Jim Phelps au début de chaque épisode de la série télévisée culte du même nom, les hommes du bureau d’études du quai de Javel qui se virent proposé cette mission auraient probablement mieux fait de ne jamais l’accepter. (Mais avaient-ils seulement le choix ?).

Il est vrai qu’au milieu des années 60, la (déjà) vénérable « Deudeuche » s’apprête à souffler ses vingt bougies. Vingt ans de carrière pour une automobile, cela équivaut (au moins) à soixante (si pas à quatre-vingts) piges pour un être humain ! Autant dire qu’en dehors de rares exceptions notables (à l’image du Land Rover, commercialisé la même année), tous les autres modèles apparus sur le marché automobile (en France ou ailleurs) à la même époque que la 2 CV ont alors quitté la scène et pris une retraite bien méritée depuis belle lurette ! Ce dont l’état-major de la marque aux doubles chevrons et en particulier son PDG, Pierre Bercot, ont bien conscience. C’est pourquoi ils estiment utile (pour ne pas dire nécessaire) de mettre, au plus tôt, en chantier l’étude de sa remplaçante !

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

La clientèle de Citroën ainsi que le public qui la découvriront à la fin l’été 1967 ne seront nullement dépaysés en découvrant celle qui sera baptisée du nom de Dyane (avec un Y et non avec un I comme pour la déesse de l’Antiquité), tant ses lignes restent très (voire, même, trop) proches de celles de son illustre devancière. La raison « officielle » (ou principale) qui sera évoquée par la suite était que le bureau de style du constructeur avait, en quelque sorte, préféré jouer la carte du « changement dans la continuité ».

Toutefois, il est probable qu’une autre raison soit l’abandon, quasiment à la dernière minute, du trop complexe et ambitieux projet F. Pour ceux qui n’en auraient jamais entendu parler, celui-ci devait permettre à Citroën de s’inscrire, pour la première fois, sur le nouveau segment des berlines de taille moyenne. La direction de Citroën décidera toutefois (pour des raisons diverses et parfois assez complexes) d’annuler sa commercialisation. Alors que tout l’outillage nécessaire à sa production avait été commandé et une partie de celui-ci déjà installé sur les chaînes de production de l’usine de Rennes). Avec toutes les conséquences que cela ne manquerait pas d’engendrer, non seulement d’un point de vue commercial, mais aussi, et surtout sur le plan financier.

Si Citroën trouvera, pourtant, encore les ressources nécessaires, pour lancer, trois ans plus tard, celle qui succédera, trois ans plus tard, à ce projet « mort-né », la GS. Mais aussi de racheter Maserati, de commercialiser le coupé SM (doté d’un V6 conçu par la marque au trident) ainsi que d’acquérir auprès de NSU la licence de fabrication du moteur rotatif Wankel. Au vu de ce « tableau », il est clair que Pierre Bercot et les autres dirigeants du quai de Javel avaient, clairement, d’autres projets et d’autres priorités que la succession de la « Deux Pattes » (autre surnom, à la fois affectueux ou péjoratif, selon les uns ou les autres, donné à la 2 CV). Ce qui expliquerait, en grande partie, les raisons pour lesquelles la Dyane fut conçue à moindres frais, en recyclant la plateforme de cette dernière.

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

En tout état de cause, lorsqu’elle fait son entrée sur le marché français, son positionnement est déjà quelque peu « bancal », puisque la nouvelle Dyane vient s’intercaler entre la 2 CV et l’Ami 6. Une place dont le caractère plutôt « inconfortable » ne fera que s’accentuer avec le temps, car les dirigeants successifs de Citroën (Pierre Bercot quittant la présidence de la firme en 1970) hésiteront (avant, finalement, de renoncer) à la mettre à la retraite.

La Dyane peut, certes, se prévaloir de plusieurs améliorations fort appréciables par rapport à son aînée, notamment avec la cinquième porte (la Renault 4, l’une des principales rivales de la « Deudeuche », étant clairement en ligne de mire) ainsi que des glaces coulissantes, des surfaces vitrées de plus grande taille ainsi que de nouveaux espaces de rangement dans les portières avant (lesquelles bénéficient également d’accoudoirs) ainsi qu’une capote mieux manipulable que celle de la 2 CV. Ainsi que d’un physique (sensiblement) plus moderne avec ses phares intégrés dans les ailes. Un travail de modernisation de la silhouette de la « Deudeuche » que l’on doit au styliste Louis Bionier, auparavant directeur du bureau de style de Panhard et dont ce sera la dernière création avant son départ à la retraite, l’année même du lancement de la Dyane.

Pour le reste, toutefois, en fait de véritable « nouveau » modèle, la Dyane reste, avant tout et sur bien des points, une simple version améliorée de la 2 CV ! A l’intérieur, là aussi, l’on reste en terrain tout à fait connu. Différencier l’habitacle d’une Dyane de celui de la 2 CV étant un peu comme jouer au jeu des sept erreurs. Il n’y a, guère, en effet, que le dessin du mobilier et des contre-portes qui distingue celui-ci de celle de « Mamy Deudeuche ». Pour ce qui est de la fiche technique, là aussi, « l’ADN » de la 2 CV saute aux yeux dès que l’on soulève le capot : c’est, en effet, le même bicylindre de 425 cc et 21 ch que l’on retrouve sur les versions contemporaines de la 2 CV. Avec (assez logiquement) des performances très similaires.

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

Autant dire que, sans aller jusqu’à parler (loin s’en faut) d’un quelconque bide commercial (car, en dépit du peu de différence avec sa devancière, la Dyane parviendra, sans trop de difficultés, à trouver son public), cette « super 2 CV » (en tout cas, telle qu’elle fut présentée, d’une certaine façon, à son lancement, par son constructeur) ne passionne pas, pour autant, les foules. En outre, certains (aussi bien parmi les clients qu’au sein de la presse automobile) lui reprochant, très vite, ses performances insuffisantes (et, surtout, trop proches de la « Deudeuche »). La marque prendra, toutefois, en compte ces réclamations et critiques en proposant, dès l’année suivante, la Dyane avec deux nouvelles versions du bicylindre à plat : 435 cc et 24 ch sur la Dyane 4 ainsi que 602 cc et 25 chevaux sur la Dyna D6.

La gamme s’élargit aussi au niveau des finitions, le modèle étant désormais disponible en finition Luxe et Confort ainsi que dans une version utilitaire, baptisée Commerciale. Cette dernière se distinguant par sa banquette arrière rabattable ainsi qu’un plancher entièrement plat. Au début de l’automne 1968, la version D6 reçoit la nouvelle appellation de Dyane 6 et voit sa puissance portée à 28,5 chevaux. La version originelle équipée du 425 cc, devenue, par la suite, celle d’entrée de gamme de la Dyane, disparaît du catalogue au début de l’année 1969.

A l’autre extrémité de celle-ci, la Dyane 6 reçoit, elle, un nouveau carburateur à double corps, permettant de porter sa puissance à 32 chevaux. S’agissant de l’aspect esthétique, l’année-modèle 1970 verra l’apparition (sur toutes les versions de la Dyane) d’une troisième vitre latérale, qui, outre le fait d’augmenter (sensiblement) la luminosité dans l’habitacle, permet aussi (ou surtout) d’améliorer la visibilité vers l’arrière et de réduire au maximum les angles morts ainsi que le montage en série de ceintures de sécurité à l’avant.

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

Malgré une carrière assez longue (même si elle le sera beaucoup moins que celle de son illustre aînée), la Citroën Dyane ne connaîtra, au final, que peu d’évolutions du point de vue esthétique, que ce soit en ce qui concerne l’habitacle comme pour la carrosserie. Tout juste verra-t-elle ses poignées de porte métalliques remplacées par de nouveaux modèles en plastique gris à l’automne 72 ; une nouvelle calandre en plastique ainsi que des pare-chocs élargis, équipés d’un jonc en caoutchouc noir, fin 1974 ; une calandre ainsi que les poignées sur les portières devenant de couleur gris foncé à partir de fin 77 ; un tableau de bord redessiné pour 1981 ainsi que la suppression du volet d’aération sous le pare-brise et des pare-chocs peints de la couleur de la carrosserie sur les derniers exemplaires produits à partir de juillet 1982.

Concernant le reste des changements que connaîtront les différentes versions (du point de vue de la motorisation ou sur le plan technique en général ainsi que des finitions), la Dyane 4 sera, à son tour, supprimée du catalogue à l’été 75, la Dyane 6 restant, à présent, seule au catalogue (elle représentera d’ailleurs, au final, près de 90 % de la production totale du modèle). Le freinage sera grandement amélioré avec le montage de disques sur les roues avant fin 1977. Depuis son lancement, la Dyane était équipée en série de deux banquettes, à l’avant ainsi qu’à l’arrière, bien que celle à l’avant pouvait être remplacée, en option, par deux sièges séparés. Ceux-ci étant, finalement, montés d’office à compter de l’été 79. La Dyane 6 voyant, au même moment, sa puissance redescendre légèrement à 30 chevaux par le montage d’un nouveau carburateur.

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

Lorsque la Dyane (tout du moins, s’agissant de la berline) quitte finalement la scène à l’été 1983 (la version fourgonnette Acadiane, présentée en 1978, soit dix ans après la version tourisme, qui remplacera la version utilitaire de la 2 CV, continuant, quant à elle, sa carrière jusqu’en 1987), près de 1 443 600 exemplaires (toutes versions confondues) en auront été produits. Sa célèbre aînée, la 2 CV (qui venait alors de souffler ses trente-cinq bougies) perdurera, de son côté (comme chacun le sait) au catalogue Citroën jusqu’en 1990 (soit, au total, près de quarante-deux ans de bons et loyaux services au compteur !).

Contrairement à son aînée, qui eut droit (même si cela ne concerne que la dernière partie de sa carrière) à un assez grand nombre de séries limitées, la Dyane, quant à elle, n’en connaîtra (semble-t-il) qu’une seule : la Caban. Dévoilée en mai 1977 et produite, en tout, à 1 500 exemplaires, elle se reconnaît d’une Dyane « standard » par sa carrosserie de teinte bleu marine, les autocollants blancs apposés sur celle-ci ainsi que sa sellerie de type « pied de poule ».

Au sein de la gamme Citroën de l’époque, la Dyane fut aussi vis-à-vis de la 2 CV ce qu’avait été la R6 par rapport à la R4 au sein du catalogue Renault. A savoir une version plus (ou moins) évoluée et donc plus moderne, à la fois sur le plan technique et (ou, surtout) esthétique et qui entendait séduire les propriétaires de 2 CV (ou R4) qui souhaitaient échanger leur voiture au profit d’un modèle plus « dans l’air du temps ». Malheureusement pour elles, l’une comme l’autre se verront, rapidement, condamnées à vivre (ou, plutôt, « survivre ») dans l’ombre de leurs aînées. Alors que la Dyane devait (à terme) succéder à la « vénérable » 2 CV, contre toutes attentes, c’est finalement cette dernière qui enterrera sa (malheureuse et infortunée) cadette.

Un cas de figure qui est d’ailleurs plus courant que l’on ne le croit dans l’histoire de l’automobile européenne. Un autre « cas d’école » dans ce domaine étant sans doute celle, au Royaume-Uni, de l’Austin (mais aussi MG et Rover) Metro, laquelle, à son lancement en 1980, devait remplacer, à terme, la célèbre Austin Mini. (L’appellation originelle de la Metro à son lancement étant d’ailleurs celle de Mini Metro, preuve que son constructeur, British Leyland, entendait bien établir une filiation claire entre les deux modèles).

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

Cette histoire constituant un exemple assez illustratif de la difficulté qu’ont souvent rencontré de nombreux constructeurs après avoir créé un modèle culte lorsque vient l’heure de le remplacer. Le fait que la Dyane ait échoué dans l’objectif pour lequel elle avait, pourtant, été conçue au départ, celui de remplacer la 2 CV, ayant bien montré que les icônes sont souvent difficile à détrôner et ne se laissent pas facilement mettre à la retraite.

Il y a, certes, le fait que les dirigeants successifs de la marque aient mis pas moins de vingt-trois ans, après le lancement de la Dyane, pour mettre la « Deudeuche » à la retraite (même si c’est le fait que son bicylindre ne répondait plus aux nouvelles normes antipollution qui a, finalement, mis fin à sa très longue carrière). Qu’elle soit donc toujours présente au catalogue de la marque durant toute la carrière de la Dyane n’a sans doute pas manqué (en dépit du réel succès commercial remporté par cette dernière) de « plomber » ou « d’assombrir » quelque peu (voire fortement) la carrière de cette dernière.

Mais le tort de la Dyane fut, justement (même si c’est bien par la faute de son constructeur), lequel n’a pas su ou voulu faire de la Dyane un modèle qui soit autre chose qu’une 2 CV légèrement plus évoluée (sans doute par crainte de perdre une part trop importante de la clientèle de celle-ci). Réalisant (mais un peu trop tardivement) qu’une partie tout aussi importante du public ne pourrait sans doute voir en elle autre chose qu’une simple évolution de la 2 CV.

CITROËN DYANE - Dans l'ombre de la « Deudeuche ».

En conséquence, d’une certaine façon, son sort était probablement scellé dès son lancement. Pourtant, même si cela est (en grande partie) vrai, ce membre de la famille de ce que l’on appelle, communément, les « Citrons boudés » mérite (à l’image, sans doute, de l’ensemble de ces derniers) bine mieux que les quolibets ou l’oubli. Ne serait-ce que par ses chiffres de vente, somme toute, fort honorables. Il en est, parfois, en matière d’automobiles comme pour les fruits à l’étalage des magasins : ce n’est pas parce qu’ils ont (au premier abord) mauvais aspect qu’ils ont forcément mauvais goût ! Pouvant même, au contraire, se révéler plus délicieux qu’on ne le croit !

Philippe ROCHE

Photos Wheelsage

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=uH-dH-TSjyQ&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles

Une autre Citroën https://www.retropassionautomobiles.fr/2024/03/citroen-projet-f-la-grande-occasion-manquee/

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