STUDEBAKER AVANTI – Le testament automobile de Raymond Loewy.

En ce tout début des années soixante, la firme Studebaker a beau pouvoir s’enorgueillir d’être le doyen des constructeurs américains (ce dont elle ne se prive d’ailleurs pas de faire et dans ses brochures ainsi que ses campagnes publicitaires), il n’en reste pas moins que sa situation est loin d’être florissante, bien au contraire. Il n’est, même, pas exagéré de dire que la firme de South Bend (dans l’Indiana, où se trouve le siège de celle-ci depuis sa création en 1852, bien avant l’invention de l’automobile donc, à l’époque où elle était spécialisée dans la construction de chariots destinés aux pionniers du Far-West) se trouve alors, à la fois, sur une pente aussi raide que glissante, mais également presque au bord du gouffre.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle avait été (en dehors de Kaiser-Frazer, alors nouveau sur le marché automobile) le premier constructeur américain a présenté des modèles entièrement nouveaux dès le millésime 1947 (la plupart des autres constructeurs, qu’il s’agisse des différentes divisions des grands groupes de Detroit comme des autres firmes indépendantes, pour leur part, ne présenteront, en effet, leurs nouveaux modèles qu’un voire deux ans plus tard). Ce qui lui avait ainsi permis de prendre une longueur d’avance non négligeable sur un grand nombre de ses concurrents, la marque devant aussi une part importante du succès de ses modèles à leur style fort moderne innovant (les Studebaker représentant, avec ceux des nouvelles marques Kaiser et Frazer, les premières voitures américaines à adopter le nouveau style ponton), lesquels séduiront un public assez important, désireux d’afficher ainsi leur goût pour une certaine singularité.

Les voitures produites par le constructeur de South Bend revendiquant ainsi clairement une sorte de « droit à la différence » pour mieux se distinguer ainsi de la concurrence. Ce qui était, à l’origine, avant tout, un « simple choix de stratégie marketing » va toutefois rapidement devenir une nécessité afin de pouvoir assurer sa survie sur un marché où, à partir du début des années cinquante, la concurrence devient de plus en plus féroce, surtout de la part de ceux que l’on surnomme « les trois grands ». C’est-à-dire des trois grands groupes automobiles de Detroit qui dominent désormais l’industrie automobile américaine : General Motors, Ford et Chrysler.

Si, comme tous les constructeurs américains, Studebaker a largement pu profiter, durant la seconde moitié des années 1940, de la très forte demande en voitures neuves (afin de remplacer un parc automobile vieillissant qui avait souvent souffert du rationnement ainsi que des pénuries en tous genres qui ont affecté la vie de nombreux automobilistes aux Etats-Unis durant la guerre), malheureusement pour la doyenne des marques américaines, cette « période d’euphorie » ne durera qu’un temps et dès le début ou le milieu de la décennie suivante, les nuages vont alors commencer à s’amonceler dans le ciel, pour Studebaker ainsi que pour les autres constructeurs indépendants.

Si certains d’entre-eux, comprenant finalement qu’ils n’ont plus les moyens et donc plus de véritables chances d’assurer leur avenir en continuant de faire cavalier seul, décident (enfin) de s’unir, à l’image de Nash avec Hudson pour former le nouveau groupe AMC (American Motors Corporation), les débuts de celui-ci n’en seront pas moins assez tumultueux, mettant ainsi plusieurs années avant de devenir réellement bénéficiaires et de voir ainsi ses comptes revenir à nouveau dans le vert. Quant au mariage entre Studebaker et Packard (lui aussi décidé par raison et non par « amour », il laisse plus encore dubitatifs (pour ne pas dire franchement sceptiques) un certain nombre d’observateurs de la presse automobile qui y voient un peu l’union de deux malades en chaises roulantes.

Autant dire qu’en dépit des déclarations et de la « profession de foi » de James Nance et Paul Hoffmann*, les dirigeants respectifs de Packard et Studebaker, d’aucuns ne seraient guère prêts à miser plus d’une poignée de dollars (et encore) sur l’avenir de la Studebaker-Packard Corporation of America (pour reprendre son nom officiel, car, ils le savent sans doute bien, deux personnes en chaises roulantes mises ensemble ne font pas de celles-ci un bon coureur, loin de là. Il ne faudra d’ailleurs guère de temps pour que leur scepticisme se voie justifié et la suite des événements leur donnent raison : la production des dernières vraies Packard prenant fin en 1956 (l’usine historique d’East Grand Boulevard à Detroit fermant alors ses portes.

Les « nouvelles » Packard (les guillemets sont voulus, pour les raisons qui vont suivront) ne seront, en réalité, que des Studebaker hâtivement relookées (les unes comme les autres étant d’ailleurs produites sur les mêmes chaînes d’assemblage de l’usine de South Bend). Comme cela était probablement prévisible dès le départ, la sauce ne prendra d’ailleurs pas, celles-ci faisant même l’objet de vives critiques, tant de la part de la presse que du public, les uns comme les autres les considèrent, sans ambages, comme des modèles « bâtards ». La sauce ne prenant donc résolument, le sort de la Packard se retrouve alors scellé, celle-ci quittant la scène à peine deux ans plus tard (même si ce « décès » de ce qui était autrefois l’une des plus prestigieuses marques américaines ne sera officialisé que quatre ans plus tard, en 1962, lorsque son nom disparaîtra alors de la raison sociale du groupe).

Si Studebaker, de son côté, parviendra à retrouver (temporairement) un nouveau souffle avec le lancement, en 1959, de la compacte et populaire Lark, les dirigeants de la firme de South Bend savent toutefois qu’ils ne pourront pas tout nier ni vivre éternellement (voire même pendant très longtemps) sur les ventes de leur dernière-née, d’autant qu’ils se doutent fort bien que la concurrence (celle des grands groupes) ne va pas rester très longtemps sans réagir.

Si, en cette toute fin des années cinquante, le marché des voitures « compactes » (à l’échelle américaine s’entend) est encore à une échelle « embryonnaire » (la seule véritable concurrente de la Lark étant alors l’AMC Rambler, qui fut l’une des premières dans ce domaine), au vu du succès non négligeable remporté par la Lark et la Rambler, ils ont bien conscience que, tôt ou tard, GM, Ford et Chrysler ne manqueront pas de commercialiser, à leur tour, leurs propres modèles de voitures compactes, lesquelles (notamment avec la puissance commerciale qui est la leur) réussiront sans doute à leur ravir très rapidement une grande partie de la clientèle qui avait été séduite, quelques années auparavant, par les atouts de la Rambler et de la Lark.

En outre, l’autre modèle principal de la gamme Studebaker, le coupé Hawk, nouvelle (voir énième) version du coupé Starliner dessiné par Raymond Loewy et dont Brook Stevens fut chargé de la plupart des liftings, (les autres modèles de l’ancienne gamme, à l’image des séries Champion et President, ayant été supprimés du catalogue avec le lancement de la Lark, le constructeur préférant désormais concentré l’essentiel de ses efforts sur ce nouveau modèle. Ayant donc parfaitement conscience que le doyen des constructeurs se trouve à présent (ou ne va pas manquer de se retrouver très bientôt) au pied du mur. Si les hommes du bureau de style de Studebaker travaillent, évidemment, d’arrache-pied, sur une série de nouveaux projets pour les modèles destinés à être dévoilés au public à l’occasion de la présentation de la gamme du millésime 1962.

Nommé à la tête de la firme de South Bend à la fin de l’année 1960, le jeune, dynamique et charismatique Sherwood Egbert (il n’a que 38 ans à peine et, bien qu’ayant déjà fait la preuve, malgré son jeune âge, de ses talents de manager, ne possède toutefois aucun passé automobile puisqu’il travaillait auparavant chez Mc Culloch Motors, une entreprise spécialisée dans la fabrication de compresseurs et de tronçonneuses), se montre toutefois quelconque peu (voire fortement) dubitatif devant les proportions des stylistes « maison ». C’est pourquoi il décide alors de faire appel à un homme dont la réputation n’est, depuis longtemps déjà, plus à faire, en Amérique, mais aussi en Europe et qui a déjà admirablement fait la preuve de son talent, non seulement dans le domaine de l’automobile, mais également dans tout ce qui a trait au monde du design.

L’homme en question n’étant autre (évidemment) que Raymond Loewy, un choix d’autant plus logique que s’est à lui que, depuis la série Champion de 1939 (premier modèle réalisé par ce génial designer qui, malgré la consonance de son nom et même s’il prendra plus tard la nationalité américaine est, en réalité, d’origine française) a créé la plupart des modèles à succès de la marque. Si, en faisant appel à lui, c’est, en premier lieu, pour qu’il examine et donc son avis sur les projets réalisés par le bureau de style du constructeur, Egbert a sans doute déjà, à ce moment-là, pris la décision, ou, en tout cas, dans l’idée de lui confier la direction du projet. Le jeune PDG de Studebaker sait qu’avec ce dernier, il mise sur le bon cheval : tous les modèles produits par la marque dus au crayon de Loewy ayant reçu des critiques très élogieuses de la part de la presse automobile et remportés les faveurs d’une grande partie du public, il n’y a donc aucune raison de penser que ce ne sera pas à nouveau le cas cette fois-ci.

Loewy débarque donc bientôt à South Bend avec l’un de ses principaux collaborateurs, John Ebstein et, après avoir tous deux examiné dans le détail les travaux du bureau de style de Studebaker, ils déclarent, sans détour, à Egbert que ceux-ci seront invendables. Un jugement, certes, lapidaire et sans appel, mais qui ne fait, finalement, que conforter le sentiment de ce dernier. Egbert comme Loewy étant convaincus qu’il leur faut faire table rase du passé et donc repartir d’une feuille blanche, tout au moins du passé et donc repartir d’une feuille blanche, tout au moins en ce qui concerne les lignes de cette nouvelle Studebaker, Sherwood Egbert lui précise, en effet, d’emblée qu’en ce qui concerne l’aspect technique, pour des raisons assez évidentes que ce dernier n’a sans doute guère besoin de lui préciser (Loewy étant bien au fait de la situation assez délicate, pour dire le moins, dans laquelle se trouve alors plongée le constructeur de South Bend) que ce nouveau modèle devra reprendre un maximum d’éléments déjà existants au sein de la « banque d’organes » du constructeur (qu’il s’agisse des motorisations ainsi que de l’ensemble des composants mécaniques et même le châssis, qui sera emprunté à la Lark décapotable).

STUDEBAKER AVANTI - Le testament automobile de Raymond Loewy.

De toute manière, quand bien même Loewy aurait ignoré l’état des finances de Studebaker que la faible épaisseur de l’enveloppe budgétaire allouée par la direction du constructeur le lui aurait laissé deviner. Si cette sollicitation pour le conception de ce nouveau modèle, qui doit prendre la forme d’un coupé sportif destiné à « dépoussiérer » et donc à rajeunir l’image de la marque, ne venait pas de la firme de South Bend, le célèbre designer l’aurait probablement refusé. Les tarifs généralement pratiqués par ce dernier (quelles que soient les activités de l’entreprise faisant appel à ses services) étant (bien évidemment) à la hauteur de sa notoriété et n’ayant, en outre, guère l’habitude, dans son travail, de jouer les philanthropes.

Si Raymond Loewy a, malgré ce budget fort serré, accepté la proposition de Studebaker, c’est, à la fois, par fidélité au doyen des constructeurs américains et aussi, d’une certaine façon, en forme de « remerciements » envers celui-ci. En dehors de Hupmobile (une autre marque automobile indépendante, disparue à la fin des années 30), Studebaker est, en effet, le seul constructeur américain a avoir fait appel à ses services. (Pour être tout à fait exact, Loewy avait aussi travaillé, avant la guerre, pour General Motors mais il s’agissait, dans ce cas-ci, de la conception des lignes du modèle haut de gamme de sa filiale allemande de l’époque, l’Opel Admiral).

C’est donc assez « naturellement » que Raymond Loewy accepte donc ce sujet, même si Egbert pose, d’emblée, une condition impérative : la nouvelle Studebaker devant, impérativement, pouvoir être dévoilée au public au printemps 1962, au Salon International de l’Automobile qui doit se tenir à New York, le célèbre designer franco-américain va alors devoir travailler vite, très vite même. Puisque ce dernier va, en effet, devoir réaliser en un peu moins d’un an ce que les stylistes du bureau d’études des grands mettent entre deux ou trois ans minimum) à réaliser. Ce qui représente donc un très grand challenge à relever et constitue sans doute une raison supplémentaire pour laquelle Loewy a accepté de concevoir ce nouveau coupé pour Studebaker, car, comme tous les génies, Loewy aime relever les défis.

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Une autre condition sine qua non posée par le PDG de la firme de South Bend est que les premiers résultats des travaux de Raymond Loewy, sous la forme d’une maquette en glaise à l’échelle 1/8ème, puissent être présentés aux nombres de l’état-major de Studebaker dans les six prochaines semaines. Face à un délai aussi court, d’aucuns, y compris parmi les designers les plus talentueux et reconnus, auraient probablement renoncés, mais, une nouvelle fois, Loewy ne semble pas déstabiliser ni effrayer outre mesure parce qui s’apparente pourtant bien, sur certains points, à une sorte de « course contre la montre ».

S’il accepte donc les différentes conditions posées par Egbert, il n’en pose pas moins également les siennes. L’une d’elles étant de pouvoir travailler sur ses travaux préliminaires au sein de la résidence d’hiver qu’il possède à Palm Springs, en Californie, un lieu que Loewy a choisi, à la fois, car il apprécie grandement le climat (largement ensoleillé durant la majeure partie de l’année) de la Californie mais également parce qu’il se situe à plusieurs milliers de kilomètres (plus de 3 300 pour être plus précis). Pour lui, il est, en effet, d’emblée, exclu de réaliser les travaux de conception de la nouvelle Studebaker au sein des ateliers de l’usine du constructeur.

Il est vrai que même si les cadres de la firme savent ce que celle-ci doivent à ce personnage aussi atypique talentueux, dont le côté, à la fois, extravagant et flamboyant tranchait radicalement avec la plupart des cadres très « collets montés » (au sens propre comme au figuré) qui évoluent dans l’univers de l’industrie automobile, il n’en reste pas moins que Loewy ne s’est pas fait que des amis à South Bend et s’y est même attiré quelques solides inimitiés. Souhaitant rester entièrement libre et donc maître de sa création, le designer, ainsi que l’équipe qu’il a réunie autour de lui, sait que dans sa résidence californienne, il n’a aucune crainte de voir les cadres de Studebaker arrivés comme des cheveux sur la soupe et fourrer ainsi leur nez dans leurs affaires.

Outre John Ebstein, celle-ci se compose de Robert Andrews, un des anciens membres du bureau de style de Hudson (qui avait fusionné avec Nash pour former le groupe automobile American Motors en 1954) ainsi que Tom Kellogg, un jeune dessinateur diplômé de l’Art Center of Design de Los Angeles. Ces membres sont hébergés dans un bungalow situé non loin de la résidence de Loewy, laquelle leur servira également de lieu de travail. Un travail palpitant, mais aussi très intense puisque l’équipe y travaille, en moyenne, seize heures par jour, avec, donc, des nuits de sommeil assez courtes. Un travail acharné qui porte toutefois rapidement ses fruits, puisqu’à peine deux semaines plus tard, Loewy peut déjà se rendre à South Bend pour présenter à Sherwood Egbert les premiers résultats de leurs travaux.

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L’idée initiale de ce dernier était de réaliser une sportive au caractère assez radical, destinée à rivaliser avec la Corvette et qui, à l’image de cette dernière, n’offrirait que deux places. Sans doute eut-il l’occasion d’en discuter avec Loewy et son équipe, car Bob Andrews travaillera sur un projet dans ce sens, alors que son collègue Tom Kellogg, de son côté, imagine plutôt la nouvelle Studebaker sous la forme d’un coupé doté de quatre vraies places aux dimensions sensiblement plus imposantes. (Sans doute ce dernier avait-il sans doute dans l’idée que celle-ci prenne ainsi la succession de la Hawk (alors arrivé clairement en fin de carrière).

En tout état de cause, le projet de Kellogg pour le coupé Studebaker rejoint, incidemment, les vues de Gene Hardig, l’ingénieur en chef du constructeur. Celui-ci n’a, en effet, pas manqué de remarquer le succès remporté par la Ford Thunderbird (laquelle, depuis le lancement de sa seconde génération, en 1958, a donné naissance à un nouveau segment, celui des Personal Luxury Cars (dans lequel l’on retrouvera également la plupart des GT européennes) et il semble convaincu, ainsi qu’Egbert, qu’un modèle de ce genre séduira une clientèle bien plus large qu’une rivale de la Corvette. (La comparaison entre les chiffres de production de cette dernière et celle de la Thunderbird donnant clairement l’avantage à « l’oiseau du tonnerre » de Ford).

Un changement de programme qui ne nécessitera toutefois pas de changements radicaux dans la version initiale projetée par l’équipe de Loewy, en dehors d’un allongement sensible de l’empattement ainsi qu’un léger rehaussement du pavillon de toit. En ce qui concerne le nom du nouveau coupé de Studebaker, le designer devra, cette fois-ci, comparer avec les hommes du management de Studebaker, impliquant de devoir participer à une série de longues discussions, sans doute parfois assez âpres. Au terme de celles-ci, c’est finalement le nom d’Avanti qui est retenu, sans doute en raison de sa consonance latine (Avanti signifiant « en avant » en italien). Une fois la maquette au 1/8ème approuvée par l’état-major de la firme de South Bend, il ne faudra qu’un peu plus d’un an (quatorze mois exactement) pour que celle-ci aboutisse à un prototype roulant.

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1963 Studebaker Avanti with 4-speed in white 10of12

Ceci, grâce, à nouveau, au travail acharné de Loewy et de son équipe qui, une fois encore, n’ont pas compté les heures passées devant la planche à dessin ainsi que sur les résolutions des maquettes grandeur nature ainsi que des différents prototypes qui seront testés sur la piste d’essais du constructeur. Même s’il est vrai que toute la partie ingénierie et mécanique fut traitée de manière assez rapide, étant donné que, comme mentionné précédemment, la quasi-totalité des composants techniques sont des éléments déjà existants provenant de la banque d’organes de la firme. Ce qui a donc grandement facilité la tâche de ce point de vue et explique aussi, en grande partie, que malgré les délais très serrés imposés par la direction de Studebaker, la nouvelle Avanti pourra être terminée dans les temps.

C’est donc avec un grand ravissement que le public ainsi que les représentants de la presse automobile découvrent le nouveau coupé Avanti lors du Salon de New York. Si les uns comme les autres (ainsi que les actionnaires du constructeur) exprimaient, depuis longtemps (et de plus en plus vivement au fil du temps) de voir un véritable vent de renouveau à South Bend, ils peuvent s’estimer fortement comblés. D’autant que ce superbe coupé tranche radicalement avec la grande majorité des modèles de la production américaine de l’époque et ne ressemble même à rien (ou pas grand-chose) de connu parmi les voitures de série en ce début des années soixante.

Alors que les productions de Detroit (qu’il s’agisse de General Motors, Ford et Chrysler) se caractérisent encore par un accastillage chromé fort abondant, le nouveau coupé Studebaker se caractérise par sa silhouette fort épurée, aux lignes tendues qui évoquent assez fortement, sous certains angles, un avion sans les ailes. (Ce qui n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que Sherwood Egbert, le PDG de Studebaker, est un grand passionné d’aviation, ainsi que Robert Andrews, l’un des principaux collaborateurs de Loewy).

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Si la mécanique que l’on retrouve sous le capot de l’Avanti n’a, elle, rien de vraiment inédit, étant donné que sa conception remonte au début des années cinquante, le V8 Studebaker présente l’avantage (non négligeable) d’être robuste ainsi que de pouvoir supporter des taux de compression assez élevés. En outre, grâce à sa course supérieure à l’alésage, il offre des montées en régime plus élevées et plus rapides que sur la plupart des moteurs « classiques ». Tirant parti de cette robustesse, les ingénieurs de Studebaker décident alors d’optimiser le potentiel de cette motorisation en jouant la carte de la suralimentation (laquelle a déjà fait ses preuves sur les modèles de la firme de South Bend, puisque le coupé Golden Hawk avait bénéficié, dès 1957, du montage d’un compresseur Paxton, permettant de faire grimper sa puissance à 275 chevaux). Recevant l’appellation Jet Thrust dans sa version que l’on retrouve sous le capot de l’Avanti (d’une cylindrée de 4,7 litres), il développe 240 ch dans sa version atmosphérique (alimentée par un carburateur quadruple corps Carter) et jusqu’à 285 chevaux grâce à l’adjonction du compresseur Paxton.

En ce qui concerne la transmission, ce ne sont pas moins de trois boîtes de vitesses différentes qui sont proposées sur l’Avanti : manuelle à trois rapports (avec ou sans overdrive), manuelle à quatre vitesses ou automatique à trois rapports d’origine Borg-Warner. Comme ce fut le cas s’agissant de sa conception, les ressources financières de Studebaker pour l’industrialisation et donc la mise en production de l’Avanti étant, là aussi, assez limitées, le choix d’une carrosserie « classique » en acier est rapidement écarté (car il nécessitait, en effet, la conception et la réalisation de nouvelles motrices pour les différents éléments de carrosserie ainsi que d’équiper les chaînes d’assemblage de nouvelles machines-outils, ce dont la firme de South Bend n’a, malheureusement, plus les moyens.

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C’est pourquoi il est alors décidé de recourir à une autre solution, bien moins coûteuse : la carrosserie en matériau composite, plus exactement en fibre de verre (ou « Glass Reinfored Plastic » en anglais). L’entreprise choisie pour cette mission, Moldes Fiberglass Products, s’est déjà fait un nom dans ce domaine en réalisant pour General Motors les carrosseries de la Chevrolet Corvette, faire appel à ses services apparaissait donc, aux yeux de la direction de Studebaker, tout à fait logique.

Malheureusement toutefois pour celle-ci, la qualité des panneaux de carrosserie réalisés par l’entreprise MFP ainsi que leur assemblage se révéla, assez rapidement, largement inférieure au résultat escompté. Avec, entre autres, le moulage des panneaux en question dont la qualité laissait à désirer, avec, parfois même, des formes distordues engendrant de nombreux problèmes quant à leur ajustage (lorsqu’ils ne nécessiteraient pas, purement et simplement, d’être remplacés), sans compte, la peinture posant de sérieux problèmes d’accrochage en surface et qui finissait rapidement par ternir.

Au vu du prix de vente assez conséquent auquel était affiché le coupé Avanti (4 400 dollars tout de même, pour la version de base, soit 400 $ de plus qu’un coupé Ford Thunderbird et 200 de plus qu’une Corvette Sting Ray), il va sans dire que les clients ne se privèrent pas de se plaindre. Beaucoup d’entre-eux choisissant même, assez rapidement, de délaisser leur Avanti au profit d’un des modèles de la concurrence, tandis que d’autres, face aux rumeurs touchant, non seulement, à la qualité de fabrication de la nouvelle Studebaker mais à la santé financière fort précaire du constructeur.

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Une situation que la grande majorité du public américain n’ignore désormais plus depuis la diffusion, en mai 1962, sur la chaîne NBC, d’un documentaire dont le titre illustrait d’ailleurs bien l’état de celle-ci : « Studebaker, la lutte pour la survie ». Laquelle décrivait dans le détail la « dégringolade » que connaissait alors la firme de South Bend depuis près d’une dizaine d’années, tant en ce qui concerne les ventes du constructeur et (en conséquence, de son chiffre d’affaires) que la dégradation de son image de marque, ainsi que l’écart important existant entre la gamme Studebaker et celle de ses principaux concurrents. Si l’intention des journalistes et responsables de NBC avec ce reportage n’était probablement pas de ruiner la carrière de l’Avanti et, encore moins, de couler Studebaker, c’est pourtant bien à ce résultat que celui-ci contribuera à terme.

Sans compter que, même s’il fut salué par beaucoup lors de sa présentation, le style très (voir peut-être trop) atypique de l’Avanti avait de quoi dérouter une partie de la clientèle visée (laquelle demeurait, en effet, plutôt conservatrice). Ce à quoi l’on peut ajouter un service après-vente ne se montrant guère à la hauteur, la plupart des concessionnaires Studebaker ne possédant, en effet, ni l’équipement adéquat ni le personnel qualifié pour entretenir et encore moins remédier aux défauts de fabrication de la carrosserie en fibre de verre. En comparaison, celui des constructeurs comme Ford (pour la Thunderbird) ou Buick (pour la nouvelle Riviera), en plus de pouvoir se prévaloir d’un réseau bien plus dense sur tout le territoire américain, se montre beaucoup mieux former dans la manière de traiter la clientèle d’une voiture de luxe.

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Alors que Sherwood Egbert se montrait convaincu, au printemps 1962, de pouvoir vendre environ 20 000 exemplaires de son superbe et futuriste coupé Avanti chaque année. Un score que celui-ci n’atteindra toutefois jamais durant sa (très) courte carrière au sein de la firme de South Bend : lorsque la production de l’Avanti est finalement arrêtée, à la fin du mois de décembre 1963, à peine plus de 3 800 exemplaires seulement sont parvenus à trouver preneurs depuis l’automne de l’année précédente. Si un peu plus de 800 exemplaires du coupé Avanti seront encore vendus l’année suivante, il ne s’agissait toutefois que de voitures produites en 1963 et restées invendues jusqu’ici. Ces ultimes Studebaker Avanti se reconnaissant à leur face avant sensiblement redessinée, avec un motif rectangulaire chromé entourant les optiques circulaires de la version originelle (afin de tenter, un peu maladroitement, de conférer un caractère plus « consensuel » à la face avant).

Un mois (jour pour jour) avant la fermeture de l’usine historique de South Bend (là où l’entreprise avait débuté ses activités comme fabricant de chariots pour les pionniers partant à la conquête de l’Ouest américain), Sherwood Egbert, l’homme qui, avec Raymond Loewy, avait été à l’origine de l’Avanti, s’était vu contraint de quitter son poste en raison de graves problèmes de santé, à l’époque, par le cancer qui finira par l’emporter en 1969, à l’âge de 49 ans à peine.

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Si la production de la compacte Lark (dans une version restylée, une nouvelle fois, par Brook Stevens et avec de nouvelles appellations) se poursuit dans l’usine de Hamilton, dans la province d’Ontario, au Canada, pour le doyen des constructeurs américains, ce ne sera toutefois qu’un sursis, car, bien que le seuil de rentabilité ait été estimé à environ 20 000 exemplaires par an, l’usine canadienne ne parviendra, malheureusement, jamais à atteindre ce seuil et se verra contrainte de fermer ses portes à son tour en mars 1966. Si la Studebaker Corporation cesse alors toutes activités dans le domaine automobile, l’entreprise s’était, toutefois et entretemps, diversifiée dans diverses activités souvent assez éloignées de la production de voitures particulières ainsi que de celle des véhicules utilitaires.

Pour en revenir au magnifique coupé Avanti créé par Raymond Loewy, l’arrêt de sa production à South Bend, fin 1963, ne sera, toutefois, que la fin de sa première vie. Deux anciens concessionnaires de la marque et grands admirateurs du modèle, Leo Newman et Nathan Altman, réussiront alors à négocier, auprès de la direction du constructeur, le rachat des droits de propriété de l’Avanti afin d’en reprendre la production.

Si ce rachat incluait également les moules nécessaires à la fabrication des carrosseries en fibre de verre ainsi que l’ensemble des stocks de pièces existants, en ce qui concerne les motorisations ainsi que le reste des organes mécaniques, en revanche, Studebaker ayant cessé la production d’une grande partie d’entre-eux, en particulier celle du V8 Jet Thrust qui équipait l’Avanti, avec la disparition de cette dernière, ils décident alors de se trouver vers General Motors, lequel acceptera de leur fournir ses V8 Chevrolet de 5,35 l et 5,73 litres (développant jusqu’à 304 chevaux s’agissant de ce dernier).

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Après avoir envisagé, dans un premier temps, de faire produire cette nouvelle Avanti au sein des usines du constructeur Checker (spécialisé dans la production de taxis), lequel refusera toutefois la proposition, au prétexte qu’ils jugeaient la voiture trop laide (!), les deux associés rachètent alors une partie des bâtiments de l’ancienne usine Studebaker de South Bend.

La société Avanti Motor Corporation est ainsi créée en juillet 1964 et la production des premières Avanti débute en août de l’année suivante. Bien que produite de manière beaucoup plus artisanale que du temps de Studebaker (chaque voiture nécessitant, en effet, pas moins de six semaines de fabrication), cette nouvelle Avanti bénéficie cependant d’une haute qualité de finition, meilleure encore que dans sa version initiale. Au vu des hautes exigences de Newman et Altman sur les matériaux employés ainsi que sur leur assemblage, ainsi (rançon de méthodes de travail plus proches de celle en vigueur chez Jaguar ou même Rolls-Royce que des grands constructeurs de Detroit) que du prix de vente digne de ceux des coupés des grands constructeurs de Detroit) que du prix de vente digne de ceux des coupés de grand tourisme européen, la production ne dépasse guère, durant ses meilleures années, les 200 exemplaires annuels. La nouvelle Avanti s’adressant véritablement (plus encore qu’à l’époque de Studebaker) à une clientèle d’élite, désireuse d’afficher son goût de l’originalité et de la différence. Raymond Loewy « adoubera » cette nouvelle version de la dernière voiture produite en série qu’il avait créée en faisant l’acquisition d’une Avanti II en 1972. (Qu’il conservera jusqu’à sa mort, en 1986, à l’âge de 93 ans).

STUDEBAKER AVANTI - Le testament automobile de Raymond Loewy.

Après le décès des deux hommes ayant permis la résurrection de l’Avanti, dans la seconde moitié des années 70, l’entreprise changera alors plusieurs fois de mains, l’Avanti connaissant, en parallèle, plusieurs évolutions assez importantes, aussi bien en ce qui concerne la gamme proposée au catalogue (laquelle, en plus du coupé originel, s’élargira également avec un cabriolet ainsi même qu’une berline, une version qui avait déjà été étudiée par Loewy à l’époque de la conception de l’Avanti, au début des années soixante, mais la santé financière déjà fort précaire de Studebaker ne lui permit alors pas de voir le jour) ainsi que l’esthétique fait à partir des années 80 (comme l’abandon progressif de l’accastillage chromé au profit d’accessoires peints en noir ou de la couleur de la carrosserie) ne soient pas toujours des plus heureux.

Après plusieurs péripéties (entre autres l’arrestation de son dernier propriétaire par le FBI pour cause de malversations financières), la production de l’ultime version de l’Avanti s’arrêtera finalement en 2006, même si la firme ne sera finalement mise en liquidation que cinq ans plus tard, en 2011.

Maxime DUBREUIL

Photos WIKIMEDIA

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=fkiCCKMYRSk&t=1s&ab_channel=Lunaris2142

D’autres US cars https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/07/amc-hornet-et-concord-des-americaines-bien-tranquilles/

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