LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».
LINCOLN ZEPHYR COUPE SEDAN 1937

LINCOLN ZEPHYR – La première Lincoln « populaire ».

L’année 1934 voit apparaître, de manière presque simultanée (même s’il ne s’agit là, au final, que d’un simple hasard), des deux côtés de l’Atlantique, deux modèles qui vont révolutionner le monde et l’histoire de l’automobile : la Traction Avant chez Citroën en France et l’Airflow chez Chrysler aux Etats-Unis. Si la première deviendra la légende sur quatre roues que tout le monde connaît, avec une longévité (vingt-trois ans de carrière au total jusqu’en 1957) ainsi qu’un succès commercial (plus de 780 000 exemplaires, toutes versions confondues) qui n’aura été surpassé, dans l’histoire de la marque aux chevrons, que par la 2 CV.

La deuxième, en revanche, aura (malheureusement pour elle) beaucoup moins de chance, car elle sera un échec commercial cinglant sur toute la ligne, tant et si bien qu’elle quittera la scène, sans tambour ni trompette et même la tête basse ainsi que sur la pointe des pieds, à peine trois ans plus tard et reste, aujourd’hui encore, l’un des échecs les plus retentissants de l’histoire du troisième groupe automobile américain. Il n’y a qu’à observer ce que proposaient les autres constructions américains à la même époque (qu’il s’agisse des autres grands groupes, Ford et General Motors ou des firmes indépendantes) pour comprendre aisément que la « révolution sur roues » voulue par Walter Chrysler, le président et fondateur de la marque ainsi que du groupe portant son nom, ait pu choquer, de manière souvent assez profonde, l’automobiliste américain moyen. Si, comme ce dernier ainsi que les stylistes de son bureau d’études à l’origine de ses lignes aussi modernes que déroutantes, l’Airflow a bien marqué les esprits, malheureusement, là aussi, pour eux, ce ne fut pas dans le sens qu’ils espéraient.

Bien que (contrairement à une légende qui restera, pourtant, longtemps tenace) cet échec de l’Airflow n’ait pas mis Chrysler au bord de la faillite, elle marquera toutefois profondément les principaux cadres du groupe, parmi lesquels Kauffman Keller, qui prendra la succession de Walter Chrysler après le décès de ce dernier en 1949 et le rendra résolument réfractaire à toute résolution en matière de style. Sous sa direction, les modèles des différentes divisions du groupe (qu’il s’agisse des DeSoto, Dodge et Plymouth ainsi que des Chrysler) en restèrent donc, dans ce domaine, à une sorte de « clacissisme prudent ». Ce n’est qu’à partir de l’année-modèle 1955, avec l’arrivée de Virgil Exner avec son célèbre « 100 millions dollars look » pour voir le cadet des trois grands groupes américains (en terme de naissance comme de ventes sur le marché américain) que Chrysler reviendra sur le devant de la scène en matière d’esthétique.

Chrysler Airflow

Malgré le caractère, à la fois, trop radicale et imparfait de ses lignes ainsi que le fait qu’elle était trop en avance sur son temps, il n’y a pas que sur le public que la Chrysler Airflow aura un impact profond, sur les autres constructeurs aussi. Contrairement à ce que l’on pourrait pourtant croire, de prime abord, le désamour profond manifesté par la clientèle visée à l’égard de cette dernière n’incitera pas, pour autant, la plupart des rivaux de Chrysler de renoncer à commercialiser un modèle au style influencé par la nouvelle mode du streamlining, que ces derniers avaient sans doute déjà à l’étude au moment de la présentation de l’Airflow. Malgré les chiffres de vente assez médiocres de cette dernière, ils avaient, en effet, compris qu’elle indiquait la nouvelle voie à suivre en matière de style automobile. Un style nouveau qui leur permettrait ainsi de tourner la page des « caisses carrées » et des silhouettes qui, en cette première moitié des années 1930, rappelaient encore, assez fortement, les véhicules hippomobiles.

En l’espace de quelques années à peine, un grand nombre d’entre-eux, sur l’ancien comme sur le nouveau continent, vont ainsi s’engouffrer dans cette brèche, parmi lesquels, sur le premier cité, Peugeot avec sa célèbre série « Fuseau Sochaux », composée des modèles 402, 302 et 202, produite de 1935 à 1949 et, sur le second, la Lincoln Zephyr. Si cette dernière comme les précédentes sont bien issues du même courant esthétique, les circonstances qui ont présidé à leur naissance, comme dans le cas de la Chrysler Airflow, sont, toutefois, assez différentes. Pour Walter Percy Chrysler, il s’agissait, non seulement, de marquer un grand coup à l’occasion de la célébration du dixième anniversaire de la naissance de la marque ainsi que du groupe automobile qu’il avait fondé (en 1924 donc) mais aussi de prendre de vitesse General Motors, suite aux rumeurs selon lesquelles celui-ci s’apprêtait également à présenter un nouveau modèle à la ligne aérodynamique radicale (lesquelles s’avéreront, toutefois, finalement, infondées). En ce qui concerne la marque au lion, outre le fait de vouloir sans doute rattraper son retard sur son concurrent Citroën (lequel avait pris tous les autres constructeurs français de court avec sa révolutionnaire Traction, qui fut saluée non seulement pour l’avant-gardisme de sa fiche technique mais aussi l’élégance de ses lignes), en tout cas sur le plan esthétique (les modèles de la lignée Fuseau Sochaux continuant, en effet, sur bien des points, à faire appel à des solutions techniques simples et éprouvées).

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».

Dans le cas de Lincoln avec la Zephyr, la situation est encore (en grande partie) fort différente puisqu’en ce milieu des années 1930, ce n’est rien moins que l’avenir de la division de prestige de la Ford Motor Company qui se joue, la nouvelle Zephyr se voyant, en effet, confié (à elle seule) la mission, fort lourde et délicate de sauver la marque Lincoln. Le début des années 1930 voit l’Amérique ravagée par la Grande Dépression, ainsi que l’on nommera là-bas la crise économique engendrée par l’effondrement de la bourse de Wall Street à New York à l’automne 1929. Laquelle va provoquer des ravages profonds dans quasiment tous les secteurs de l’industrie américaine, en particulier au sein des constructeurs automobiles. Parmi ceux-ci, les premières et principales victimes seront (ce qui n’a, évidemment, rien d’étonnant) les marques spécialisées dans les modèles de prestige : Peerless baisse ainsi le rideau dès 1931, Marmon (qui fut le seul constructeur américain, en dehors de Cadillac, à produire en série un modèle équipé d’un moteur seize cylindres) en 1933, Duesenberg en 1937 et Pierce-Arrow l’année suivante (ceci, pour ne citer que les cas de figure les plus connus et les plus emblématiques).

S’il s’agit là de constructeurs indépendants, la situation des divisions de prestige au sein des grands groupes est à peine meilleure : Cadillac et Lincoln, tout comme Chrysler avec les modèles de sa série Imperial, voient rapidement leurs ventes fondent comme neige au soleil. Après avoir connu le succès et la renommée avec le Model L et, surtout, les séries KA et KB (ces dernières ayant cédé, elles aussi, à la mode des moteurs multicylindres, comme un grand nombre de constructeurs de voitures de prestige avant elles, aussi bien en Amérique qu’en Europe). Si la Lincoln KB, motorisée par un imposant moteur douze cylindres en V développant 150 chevaux (une puissance alors fort « confortable » et même non négligeable, lorsque l’on sait qu’en comparaison, sur le marché français, une Citroën Traction 11 CV n’en délivrait guère que 35 ch environ) peut s’enorgueillir d’être l’un des modèles les plus prisés de l’élite du monde politique comme de celui des affaires ainsi que des stars d’Hollywood, cela ne suffit toutefois pas à aider à faire remonter ses ventes, ni même à maintenir celle-ci à un niveau suffisant pour rentabiliser les chaînes d’assemblage.

Même du côté de chez Ford, pourtant, peut se vanter d’être toujours l’un des plus importants constructeurs américains (se partageant avec son éternel rival, Chevrolet, la première marche du podium), les effets de la crise se ressentent, là aussi. Les chiffres de production de la marque à l’ovale bleu parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : alors qu’au terme de l’année-modèle 1930 (la première année « complète » de la crise), celle-ci était encore parvenue à produire un peu plus de 1 155 000 exemplaires de son Model A (qui est alors le seul proposé au catalogue, Ford pratiquant alors depuis longtemps et déjà, avant cela, avec son Model T, la politique du modèle unique), celle chute de plus de moitié, avec seulement quelque 541 000 exemplaires sortis des chaînes d’assemblage des usines Ford, l’année suivante.

L’exercice du millésime 1932 sera plus mauvais encore puisque ceux-ci chuteront, au final, à un peu plus de 287 000 unités. (Ceci, malgré la présentation, à la fin du mois de mars de cette année-là de la nouvelle Ford V8, qui sera la première voiture américaine équipée d’un moteur huit cylindres destiné à une clientèle populaire, laquelle vient remplacer le Model A, qui, aura été produit à 485 000 exemplaires au total, entre 1927 et 1931). Si la production remonte progressivement à partir de 1933, avec près de 335 000 voitures produites durant ce millésime, presque 564 000 en 1934, pour, ensuite, presque doubler en 1935 en atteignant alors plus de 942 000 voitures, à l’image de ses concurrents ainsi que du reste des constructeurs américains, la firme de Dearborn (la localité de la banlieue de Detroit où se trouve installé le siège de la Ford Motor Company) mettra toutefois encore plusieurs années pour finir de penser complètement ses plaies.

Plus encore que la situation, commerciale et financière de Ford, c’est, avant tout et surtout, celle de la marque Lincoln qui s’avère préocuppante. Alors qu’en 1930 (qui sera la dernière année de production du Model L, dont la présentation remonte déjà, il est vrai, à près de dix ans, en 1922), la division de prestige de Ford était parvenue (malgré les effets de la Grande Dépression) à produire un peu plus de 3 500 voitures et qu’elle réussira encore à se maintenir à près de 3 600 exemplaires pour son nouveau Model K (lequel conserve le moteur V8 de sa devancière, même s’il se voit, bien évidemment, offrir une remise à niveau) en 1931 et encore près de 3 400 unités en 1932, à laquelle, en plus de sa version V8 originelle (rebaptisée, cette année-là, Model KA) se dédouble également dans une nouvelle version recevant sous son capot un imposant V12 de 7,3 litres. Au vu du niveau auquel se situe les tarifs (de 2 900 dollars pour le modèle le moins cher de la série KA jusqu’à 7 200 dollars pour la plus chère des Lincoln de la série KB en 1932), l’on peut néanmoins considérer d’un assez bon score.

En 1933, une « dégringolade » (certes encore assez « mesurée » en comparaison avec celle que connaissent, au même moment, d’autres constructeurs de voitures de haut de gamme, mais, néanmoins assez préoccupante aux yeux des responsables de la Ford Motor Company, dont Henry Ford lui-même) s’amorce pourtant, Lincoln parvenant, en effet, à peine à maintenir sa production au-dessus de la barre des 2 000 unités (avant de remonter à un peu plus de 3 000 voitures produites du cours de l’année-modèle 1934 mais pour baisser, à nouveau, à 2 370 durant le millésime 1935).

Si l’on ne peut donc pas véritablement parler d’une chute brutale de ses ventes, il n’en reste pas moins que la marque de prestige de Ford connaît alors une période assez tumultueuse. D’autant que, du côté de ses principaux rivaux, qui n’ont, pourtant, pas été épargnés, eux non plus, par la crise), ces derniers peuvent, souvent, se vanter de scores plus élevés : Ainsi, pour cette première moitié des années 1930, General Motors, la marque Cadillac produira un peu plus de 18 200 voitures, toutes séries confondues, en 1930 (son année la plus « forte » en termes de chiffres de vente) et un peu moins de 3 200 en 1933 (qui sera, sur ce plan, son année la plus faible). Quant à Packard (l’une des marques de prestige les plus emblématiques au sein des constructeurs dits indépendants), son année la plus mauvaise sera le millésime 1934, où elle ne parviendra à vendre qu’un peu plus de 6 000 voitures en tout (tous modèles et toutes séries confondues), alors qu’elle en produisait encore plus de 28 000 en 1930. (Cette situation décidera d’ailleurs les dirigeants de la firme à élargir leur gamme vers le bas, avec de nouveaux modèles proposés à des tarifs plus attractifs, une stratégie qui s’avérera rapidement payante et qui permettra alors à Packard d’atteindre des niveaux de vente que le constructeur n’avait encore jamais connu au cours de son histoire).

Une comparaison illustrant assez bien l’inconfort de la position dans laquelle se trouve Lincoln, d’autant plus inconfortable que les rumeurs sur une suppression, pure et simple, de la marque commencent alors à courir, de plus en plus, au sein des bureaux et des couloirs du siège de Ford à Dearborn et auxquelles le vieil Henry Ford ne fait d’ailleurs rien pour s’opposer à leur propagation, bien au contraire.

Si ce dernier a toujours eu (entre autres) la réputation de détester les comptables (ce qui mettra d’ailleurs, par la suite d’une gestion parfois assez chaotique de sa part, le groupe qu’il avait lui-même fondé dans de grandes difficultés financières. Lesquelles finiront par conduire, rien de moins, qu’à son éviction au sortir de la Seconde Guerre mondiale), cela ne l’empêche toutefois pas de constater clairement et par lui-même, en comparant le bilan des chiffres de vente de Lincoln avec ceux de la marque portant son nom et, surtout, le chiffre d’affaires de cette dernière avec les pertes qu’enregistre ce constructeur dont l’image, tout comme le caractère élitiste de ses productions, sont aux antipodes de ses conceptions en matière d’automobile. Il n’y a qu’à observer dans le détail la célèbre Ford T pour s’en convaincre, la grande austérité de son aspect étant à l’image de celle de son créateur).

L’initiative du rachat de Lincoln n’est d’ailleurs pas à mettre à son crédit mais à celui de son fils Edsel, ce dernier nourrissant, dès son plus jeune page, la même passion que son père pour l’automobile mais avec, toutefois, une approche beaucoup plus ouverte et moderne. S’il est bien conscient que le Model T a largement contribué à démocratiser l’automobile auprès d’un grand nombre d’Américains, l’héritier de la Ford Motor Company n’en voit pas moins en elle une vieille machine toussotante (un regard qui ne fera que s’accentuer au fil du temps). C’est pourquoi, lorsqu’il apprend la mise en vente de la marque, il s’emploie alors à convaincre son père, non seulement, de la racheter mais aussi de lui en laisser la direction. Au vu du caractère « entêté » (pour ne pas dire plus) d’Henry Ford, cela n’a toutefois pas dû être une mince affaire et s’est sans doute bien parce qu’il s’agissait de son propre fils qu’il a consenti à ce rachat.

En ce qui concerne le fait de laisser à un jeune homme de 29 ans à peine les rênes d’une entreprise de production d’automobiles (a fortiori de voitures de prestige), Henry Ford ne fera toutefois guère de difficultés. Non seulement parce qu’il y voit une sorte d’expérience ou de test sur les capacités de manager de son fils avant de lui confier, un jour, ceux de la marque portant son nom (ce qu’il fera, finalement, en 1931) mais aussi (ou surtout ?) parce que les voitures de prestige représentent un monde qui ne l’intéresse guère. A ses yeux, les bénéfices, dans l’industrie automobile, se trouvaient ailleurs. Bien qu’Edsel Ford, ainsi que l’espérait son père, ait largement fait ses preuves dans ce domaine, il n’en aura pas moins besoin d’user sans doute de tous ses talents de persuasion pour convaincre, plus tard, celui qui était, à la fois, son géniteur mais aussi (ou surtout ?) son patron de lui laisser carte blanche afin de mener à bien un projet sur lequel travaille alors le bureau d’études.

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».
LINCOLN ZEPHYR COUPE SEDAN 1937

Celui d’un nouveau modèle au style plus moderne et d’un positionnement de gamme moins élitiste que l’imposant Model K. Si Edsel Ford peut, légitimement, être considéré, à bien des égards, comme le principal « père », ou concepteur, de la Lincoln Zephyr, étant donné qu’il en a étroitement supervisé le projet depuis sa genèse jusqu’à son aboutissement, l’autre « géniteur » (ou créateur) de la nouvelle Lincoln « populaire » est le styliste John Tjaarda. Ce dernier ne travaille toutefois pas au sein du bureau de style de Ford mais de celui de la Briggs Body Company, l’un des plus grands carrossiers industriels d’Amérique et qui travaille en sous-traitance pour de nombreux constructeurs de Detroit, dont Ford fait évidemment partie.

C’est en découvrant un projet de voiture aérodynamique conçu par Tjaarda, inspiré à ce dernier par la révolutionnaire Tatra 77, produite à l’époque en Tchécoslovaquie, qu’Edsel Ford demandera au styliste d’origine néerlandais (dont le fils deviendra également designer automobile et signera, entre autres, les lignes de la Fiat 124 Spider des années 60 et 70, de la première génération de la Ford Fiesta et, surtout, de la DeTomaso Pantera) de concevoir, à partir de celui-ci, en collaboration avec Eugene Gregorie, le directeur du bureau de style de Ford, les lignes du nouveau modèle qui doit ainsi permettre de sortir Lincoln de l’ornière et de la remettre sur les rails (si ce dernier s’occupera surtout du dessin de la proue ainsi que des différentes pièces d’accastillage, le dessin des lignes générales de la future Lincoln Zephyr revient bien à Tjaarda).

Si le styliste du carrossier Briggs a poussé l’inspiration sur la Tatra jusqu’à en reprendre, sur son projet d’origine, l’architecture mécanique avec le moteur qui se trouvait donc placé à l’arrière de la voiture, Edsel Ford (bien qu’il ait lui-même demandé, dans un premier temps, à John Tjaarda, qui était, depuis les années 1920, un partisan convaincu du moteur arrière, de poursuivre ses travaux en ce sens) décidera finalement. (Par pragmatisme, aussi bien sur le plan commercial qu’industriel, se doutant que, comme le montrera l’exemple de l’Airflow, la grande majorité du public américain n’était pas prête à accepter une voiture aussi révolutionnaire, même si l’on peut aussi y voir probablement y voir l’influence de Henry Ford, qui a certainement fini par avoir vent du projet et a faire connaître son opposition claire et ferme à celui-ci (ce qui n’est guère étonnant, au vu de la méfiance, voire de l’hostilité qu’il a souvent manifesté envers les innovations techniques, surtout lorsqu’elles lui paraissaient trop radicales) d’y renoncer en faveur de la solution, beaucoup plus classique mais néanmoins plus sûre, à bien des égards, du moteur à l’avant.

Outre ses lignes issues du même courant esthétique, la nouvelle Zephyr partage également plusieurs autres points communs importants avec l’Airflow de Chrysler : à savoir une structure monocoque ainsi qu’un pavillon entièrement tôlé. Lesquelles, en plus de conférer une meilleure rigidité structurelle à la voiture, offrent aussi l’avantage non négligeable d’une production beaucoup plus simplifiée (et donc plus rapide et moins coûteuse), notamment lors de l’assemblage de la caisse, permettant ainsi, au final, de réduire également le prix de vente auquel était proposée la voiture. (Ce qui, évidemment, était un tout important, pour ne pas dire un impératif indispensable, s’agissant d’un « modèle de crise », dont la mission principale était de sauver son constructeur d’une disparition qui était alors sérieusement envisagée).

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».

Dévoilée au public en novembre 1935 (même si la production des premiers exemplaires a débuté, en réalité, au mois de juin de la même année afin de pouvoir ainsi constitué des stocks suffisants pour les principaux concessionnaires aux quatre coins de l’Amérique, Edsel Ford ainsi que ses principaux collaborateurs étant persuadés, cela va sans dire, que cette nouvelle Lincoln « d’entrée de gamme » n’aura aucun mal à trouver son public). Lorsque l’on compare le style de la Zephyr avec cela, de l’Airflow, si les similitudes dans les grandes lignes des deux modèles sont frappantes, cette comparaison n’est pas vraiment à l’avantage de cette dernière. Surtout en ce qui concerne (comme il a été évoqué précédemment) le dessin de sa partie avant : la Zephyr arbore une proue en forme « d’étrave », similaire (surtout vue des 2/3 avant, de profil ainsi que du dessus) à celle d’un navire. Avec une calandre qui n’est pas sans évoquer (vue sous les mêmes angles) un masque d’escrime, avec des ailes avant aux galbes parfaitement dessinés, au sommet desquelles se trouvent placés des phares de forme ovale (un dessin qui sera jugé si réussi qu’il influencera d’ailleurs fortement celui des Ford de la fin des années 30).

A coté de la nouvelle Lincoln, les Chrysler et DeSoto Airflow, avec leur capot plongeant dont l’imposante calandre constituée de longues barrettes chromées qui voulaient, à l’origine, évoquer le filet d’eau d’une cascade mais qui fait, toutefois, davantage penser aux fanions de la gueule ouverte d’une baleine et la double paire de phares circulaires qui encadrent celle-ci à des paires de boules de crème glacée qui seraient tombées de leurs cornets. Sans compter que ses ailes avant conservent un dessin encore étroitement de celui des modèles du début de la décennie ainsi qu’une ceinture de caisse assez haute et (sur tous les types de carrosseries) un pavillon fort abaissé, avec pour résultat des surfaces vitrées assez réduites, notamment au niveau des glaces latérales. S’il est vrai que, concernant ce dernier point, quasiment tous les modèles issus du courant « streamline » présenteront des vitres sensiblement plus réduites que leurs devancières à caisses carrées (du fait, justement, d’un pavillon de toit d’une hauteur moins prononcée que sur ces dernières), la Zephyr fait, toutefois, nettement mieux que l’Airflow.

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».

S’il semble qu’Edsel Ford ait envisagé, à l’origine, de reprendre le V8 Ford (comme sur les prototypes développés par Briggs, dans une version, toutefois, « optimisée », qui aurait donc vu sa cylindrée ainsi que sa puissance augmentée, même si ce dernier et les ingénieurs qui travaillaient à ses côtés misaient avant tout sur l’aérodynamisme de la carrosserie afin d’obtenir des performances optimales), le fils de Henry Ford décide finalement d’opter, pour sa nouvelle Lincoln « populaire », en faveur de la même architecture mécanique que sur l’imposant Model K (la production, malgré le lancement de la Zephyr, qui tiendra, désormais le devant de la scène, continuera jusqu’à la fin de l’année-modèle 1939).

A l’image de ce dernier, la nouvelle Lincoln héritera donc, elle aussi, d’un moteur douze cylindres en V, mais qui ne sera toutefois pas dérivé de celui du Model K mais du V8 Ford, Edsel Ford ainsi que les ingénieurs du groupe ayant estimé, en effet, que pour obtenir une mécanique motorisation disposant, à la fois, d’une image prestigieuse tout en étant peu coûteux à produire et le plus économe possible en carburant, ceci s’avérerait une meilleure option que de reprendre le V12 de la Lincoln K pour en réaliser une nouvelle version dont la cylindrée aurait simplement été réduite (le coût de fabrication fort bas du V8 Ford pouvant laisser escompter que celui d’un V12 extrapolé de celui-ci serait à peine plus élevé).

Malgré cette opération de chirurgie mécanique à l’issue de laquelle il se voit greffer quatre cylindres supplémentaires, ce nouveau 12 cylindres en V très proche et sur bien des points du 8 cylindres (elles aussi disposées en forme de V) dont il est dérivé et il faut également avoyé que, malgré l’augmentation de la cylindrée (consécutive à celle du nombre de cylindres), il n’y a toutefois pas gagné grand-chose en terme de puissance. Le moteur de la Lincoln Zephyr affichant, en effet, une puissance de 110 chevaux pour une cylindrée de 4 376 cc, soit un rapport ch/l assez décevant, puisqu’en comparaison, le v que l’on retrouve sur les modèles de la gamme Ford atteignant, de son côté, 3,6 l et 85 ch. S’il avait conservé le même nombre de cylindres que sur le moteur Ford, celui de la « petite » Lincoln aurait d’ailleurs sans doute développé une puissance comparable (le calcul cylindrée/puissance révélant même que le rendement de ce nouveau V12 est inférieur à celui du V8 dont il est extrapolé ; avec un rapport de 39 pour le premier contre 42 pour le second.

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».
LINCOLN ZEPHYR COUPE 1939

Comme il était mentionné auparavant, Henry Ford avait, véritablement et sur de nombreux points érigé l’orthodoxie (pour ne pas dire le conservatisme) technique en vertu cardinale, qu’il s’agisse de la marque portant son nom comme de sa division spécialisée dans le haut de gamme. Si le « vieux Henry » (ainsi qu’il était surnommé en coulisse, un surnom qui avait, comme l’on peut s’en douter, une connotation plus péjorative, voire méprisante, qu’affectueuse) tenait tant à conserver des procédés techniques qui, en ce milieu des années 1930, commençait pourtant déjà à apparaître quelque peu obsolètes, ce n’est pas seulement parce que les nouveaux perfectionnements techniques en tous genres que connaissaient, à cette époque, le monde de l’automobile allaient à l’encontre de ses conceptions (très rigides, comme mentionné plus haut) dans ce domaine ainsi que parce qu’il insistait pour que les voitures qu’il construisait puissent être entretenues et réparées par n’importe quel apprenti mécanicien dans les bourgades du fin fond de la campagne américaine.

Mais aussi, dans certains cas, car un certain nombre des perfectionnements techniques en question étaient l’oeuvre de firmes extérieures et que l’utilisation des systèmes concernés par les constructeurs automobiles impliquait évidemment le paiement de royalties aux firmes que les avaient créées. Ce à quoi Henry Ford rechignait profondément (lui qui, entre autres défauts, était souvent réputé pour faire preuve d’une avarice digne de celle d’Harpagon). Ce qui aura, entre autres, pour conséquence que les Ford ainsi que les Lincoln devront attendre l’année-modèle 1939 (fin 1938 donc) pour voir ainsi les archaïques freins à câbles soient enfin remplacés par le nouveau système hydraulique mis au point par Lockheed (leur maintien sur les modèles du constructeur de Dearborn paraissant d’autant plus anachronique que Chrysler, de son côté, équipait déjà ses voitures de freins hydrauliques depuis 1925).

Pour en revenir à la motorisation que l’on retrouve sous le capot de la Lincoln Zephyr, outre le fait qu’il conserve une culasse équipée de soupapes latérales. Même si ce dernier point n’était pas vraiment un anachronisme, car, au sein de la production américaine, cette architecture mécanique restait alors la norme, aussi bien sur les voitures de prestige que sur les modèles populaires. Il faut, néanmoins, mentionner que, parmi les grands groupes de Detroit, Ford sera le dernier à convertir ses moteurs à la distribution par soupapes en tête : en 1954, alors que General Motors et Chrysler, de leur côté, l’avaient déjà fait, respectivement, en 1949 et 1951. (Preuve, sans doute, que même après son départ de l’entreprise qu’il avait fondé et sa disparition, en 1947, l’ombre de Henry Ford continuera encore, durant un certain temps, à planer sur les usines de Dearborn), le V12 de cette dernière reçoit un vilebrequin ne comportant que quatre paliers et son alimentation n’est assurée que par un seul carburateur. Malgré tout, l’on peut, néanmoins, remarquer plusieurs touches de modernisme ainsi que d’autres particularités techniques (sans doute plus à mettre au crédit d’Edsel Ford et des ingénieurs qui ont travaillé à ses côtés que de son père Henry), comme la culasse dotée de poussoirs hydrauliques et les deux pompes à eau qui assurent le refroidissement du moteur.

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».
LINCOLN ZEPHYR COUPE 1939

En ce qui concerne le reste du châssis, cela reste du Ford typique des modèles à l’ovale bleu de ces années-là, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de plus classique : avec un essieu rigide, à l’avant comme à l’arrière, combiné avec un ressort à lames transversal et des amortisseurs hydrauliques (tout de même) ainsi qu’une direction faisant encore appel à un système à vis et secteur (bien moins précis que celui, plus moderne, à crémaillère).

En Europe, bien qu’elle était alors officiellement importée en France (ainsi que dans plusieurs autres pays du Vieux Continent), les modèles de la marque Lincoln n’y connaîtront (ainsi que l’on peut s’en douter) qu’une carrière assez confidentielle (non seulement du fait que les constructeurs français) spécialisées dans les modèles de prestige étaient encore assez nombreux à l’époque mais aussi car les voitures américaines, comme l’ensemble de celles importées de l’étranger étaient alors frappées de lourdes taxes d’importation). En tout état de cause, certains des automobilistes français qui en ont fait l’acquisition ainsi que des essayeurs de la presse spécialisée de l’époque qui, eux aussi, ont eu l’opportunité d’en prendre le volant ont probablement dû quelque peu regretter que la modernité de cette nouvelle Lincoln « populaire » se soit, dans l’ensemble, limitée aux lignes de sa carrosserie. Il est vrai que sur le parcours d’une route sinueuse (et plus encore s’il s’agit d’une route de montagne), en dépit de la puissance « suffisante » de cette dernière et qu’elle surpasse nettement celle des Traction Avant de chez Citroën, il n’est toutefois pas certain que ce seul élément, bien qu’important, suffise véritablement à faire la différence. Et permettre ainsi à la belle américaine de surpasser la dernière création d’André Citroën en termes de tenue de route.

LINCOLN ZEPHYR - La première Lincoln « populaire ».

A l’image de l’élitiste Model K, la Lincoln Zephyr n’a toutefois aucune vocation sportive (dans l’Amérique du milieu des années 1930, les modèles destinés à la conduite sportive et, plus encore, les constructeurs spécialisés dans ce créneau ne se comptent guère que sur les doigts des deux mains, la plupart d’entre-eux, à l’image d’Auburn, Duesenberg ou Stutz, disparaîtront d’ailleurs à la même époque que la présentation de la Zephyr, ou peu de temps après). Sur le plan du comportement routier, elle n’était sans doute, dans l’ensemble ou sur bien des points, ni meilleure ni plus mauvaise non plus que la plupart de ses concurrentes et ce n’est d’ailleurs pas dans ce domaine que cette « petite » Lincoln entendait faire la différence mais bien par son style extérieur ainsi que son positionnement sur le marché automobile, inédit jusqu’ici dans l’histoire de la marque Lincoln.

Un pari osé (et sans doute aussi assez risqué) pour Edsel Ford et son équipe mais qui s’avérera rapidement payant : pour sa première année-modèle de production, plus de 13 600 exemplaires de la Lincoln Zephyr sortiront ainsi des chaînes de production des usines Ford (en comparaison, seuls un peu plus de 1 500 exemplaires du Model K seront produits durant ce millésime). S’il est vrai qu’en comparaison avec les modèles de la gamme Ford, la Zephyr n’est pas véritablement ce que l’on pourrait appeler une voiture « bon marché » (le modèle le moins cher, la Sedan 2 portes, est affiché à 1 275 dollars, alors qu’une Ford V8 en carrosserie coupé est venue 570 dollars à peine), le progrès en matière d’accessibilité à un plus large public est indéniable. Surtout lorsque l’on compare les prix d la Zephyr avec ceux auxquels sont proposées les différentes carrosseries disponibles sur le Model K, dont certaines dépassent les 6 500 dollars. C’est en ce sens que l’on peut véritablement dire que la nouvelle Zephyr est vraiment une Lincoln « populaire ».

Son succès ne se démentira d’ailleurs pas et se poursuivra jusqu’à la fin de sa production, lors de l’entrée en guerre des Etats-Unis contre le Japon et l’Allemagne nazie en 1941. Ce seront, ainsi, au final, plus de 136 000 exemplaires (tous millésimes et carrosseries confondues) qui auront ainsi été produits en sept ans de carrière. Si, en vérité, celle-ci se poursuivra après la fin de la guerre, jusqu’en 1948, ce sera, toutefois, sous la nouvelle dénomination de série 66H (pour les millésimes 1946 et 47) et ensuite 876H (pour son ultime année-modèle, celle de 1948). Les anciens modèles (l’ex-Zephyr ainsi que la Continental de haut de gamme) seront alors remplacés par de nouvelles voitures qui seront ainsi les premières nouvelles Lincoln de l’après-guerre.

Maxime DUBREUIL

Photos Wheelsage

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=STKYa6EsrIo&ab_channel=spudsgarage

Une autre américaine https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/05/willys-cj2-jeepster-jeep-en-tenue-de-plage/

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