TALBOT TAGORA - Un nom difficile à porter.
TALBOT TAGORA

TALBOT TAGORA – Un nom difficile à porter.

Lorsqu’à l’été 1970, le groupe américain Chrysler, déjà actionnaire de Simca depuis la seconde moitié des années 50, rachète les dernières parts encore en possession de Fiat et en devient le seul propriétaire, celui-ci rebaptise alors le constructeur de Poissy du nom de Chrysler France. Un changement de raison sociale qui illustre bien qu’une page vient de se tourner dans l’histoire d’un constructeur qui, durant les deux décennies précédentes, avait pourtant été l’un des plus importants du marché français, faisant ainsi jeu égal avec Citroën, Peugeot et Renault. Occupant même, certaines années, la deuxième place du podium en termes de chiffres de vente.

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Une fois devenu entièrement maître à bord au sein de l’usine de Poissy, Chrysler impose très vite sa propre vision de l’automobile. A l’époque, au sein de la plupart des constructeurs européens devenus des filiales des géants américains, le style des modèles s’inspire étroitement de celui des voitures américaines. Il en est ainsi des filiales allemandes et anglaises de Ford ainsi que, dans ces mêmes pays, d’Opel et de Vauxhall pour General Motors.

Il semble donc logique, aux yeux des dirigeants de Chrysler, d’en faire de même avec les nouveaux modèles de leur filiale française. Ils confient alors à Royden « Roy » Axe, le chef du bureau de design de leur filiale anglaise – le groupe Rootes, racheté peu de temps auparavant – la mission de tracer les lignes de la nouvelle berline destinée à prendre la succession des Simca 1300 et 1500.

Simca 1300

Dévoilées cette même année 1970, les Chrysler 160 et 180 – bientôt épaulées par une nouvelle version haut de gamme, la 2 Litres – ne reçoit toutefois qu’un accueil assez tiède – voire carrément froid – de la part du public, pour qui, par rapport à des devancières – ainsi qu’aux autres modèles de la gamme – qui avaient toujours conservés une identité latine très marquée, cet « ersatz » d’américaine, que l’on pourrait d’ailleurs confondre avec la génération contemporaine de la Ford Taunus, apparaît presque comme une sorte « d’enfant illégitime ». Si elle restera en production durant toute la décennie son échec commercial n’en sera pas moins évident. Puisque, lorsque les compteurs s’arrêteront, en 1980, il en aura été produit, au total, 275 000, alors que Chrysler espérait, au départ, en vendre 100 000 par an.

Face à ce ratage cuisant et pour – véritablement – remplacer les anciennes Simca – qui, face au « désamour » subit par les Chrysler françaises, furent contraintes de jouer les prolongations, sous les nouvelles dénominations de 1301 et 1501 -, les Américains décident alors de laisser les coudées franches au bureau d’études de Poissy pour concevoir un modèle entièrement nouveau qui permettra à la marque de renouer avec le succès. Il est vrai qu’en plus de la récession économique, due à la crise pétrolière, qui frappe alors le marché français, le constructeur souffre également d’une gamme vieillissante. En dehors de la 1100, dévoilée en 1967, tous datent, en effet d’avant l’ère Chrysler – c’est-à-dire au début des années 60.

Les ingénieurs et les stylistes de Poissy vont, en réalité, mettre à l’étude deux projets d’envergure destinés à remplacer les Chrysler 160, 180 et 2 Litres. Le premier, recevant le nom de code C6, doit venir prendre la succession des deux premières. Le second projet, baptisé C9, se montre, quant à lui, beaucoup plus ambitieux, puisque, outre la succession de la 2 Litres, elle doit aussi venir concurrencer les nouveaux hauts de gamme français que sont la Renault 30 et la Peugeot 604. Pourtant, cela faisait un certain temps déjà que Simca et l’usine de Poissy n’avaient plus produits de modèles de cette catégorie. Depuis la disparition des modèles de la gamme Vedette au début des années soixante – ceux-ci, outre l’usine de Poissy, constituent « l’héritage » céder par Ford lors de la vente de sa filiale française à Simca en 1954.

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SIMCA-CHRYSLER 2 LITRES

En dépit d’un contexte qui semble peu favorable aux voitures de grosses cylindrées, la direction de Chrysler est convaincue, tout comme les marques au lion et au losange, qu’il y a là un marché à prendre. Si la conception du style de celle qui doit devenir la nouvelle Chrysler européenne de haut de gamme est, à nouveau, confiée au Centre de style du groupe Chrysler qui se trouve au Royaume-Uni, les Anglais, ayant sans doute retenu les leçons de l’échec des Chrysler 160, 180 et 2 Litres, a fait en sorte, cette fois, mais de ne pas créer une sorte « d’américaine en réduction » mais un modèle à l’esthétique bien européenne.

Si les lignes du projet C9 présentent un caractère à la fois moderne et sobre, ainsi que très « consensuel » – comme souvent pour les modèles de cette catégorie, la clientèle des berlines grandes routières demeurant, dans son ensemble, assez conservatrice. Voire peut-être même un peu trop « classique », lorsque l’on compare le modèle de série avec les premières esquisses du projet C9, dont certaines ne sont pas sans évoquer une sorte de Citroën BX à trois volumes – bien que celle-ci ne sera commercialisée qu’en 1982 – ou une CX au style cunéiforme. Ayant voulu prendre, presque en tous points, le contre-pied de ce qu’ils avaient fait pour les Chrysler françaises et ayant également cherché – un peu à l’image de ce qu’ils avaient fait pour leurs modèles populaires – à concevoir une grande berline dont les lignes plairaient à un public le plus large possible, les stylistes de Chrysler UK vont, au final, accoucher d’un haut de gamme au style très « passe-partout ». Certes, bien dans les goûts de l’époque, où, sur la plupart des modèles de ce temps – populaires ou plus luxueux – les lignes tracées à la règle et à l’équerre étaient la norme masquent qui a, malgré tout, assez bien du mal à se distinguer de ses rivales nationales comme étrangères.

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TALBOT 1510

Sur le plan technique, l’état-major de Chrysler a fait le choix, pour la structure, du principe de la caisse autoporteuse et, pour la motorisation, de reprendre celle de la Chrysler 180 – dans une version toutefois sensiblement évoluée. A l’origine, la « Chrysler C9 » ne devait donc être commercialisée qu’avec un moteur quatre cylindres. L’adjonction d’une version équipée du V6 Rootes avait, un moment, été envisagé mais cette option sera finalement abandonnée car cette mécanique sera jugée en bout de développement.

Au milieu des années 70, la situation commence toutefois à se détériorer de plus en plus pour le groupe Chrysler. Non seulement en ce qui concerne ses filiales européennes, qui, victimes de gammes dont la plupart des modèles se révèlent techniquement obsolètes – notamment, sur le marché français, avec la Simca 1000 qui demeure, obstinément, attachée à l’architecture du « tout à l’arrière » et qui atteint alors ses quinze ans d’âge – et parfois même aussi esthétiquement désuets. Il est vrai que les filiales anglaise et française ont souvent été, à bien des égards, les « parents pauvres » d’un groupe dont la direction se souciait plus de son marché intérieur – bien plus vaste et donc bien plus lucratif à ses yeux que ceux de la France et du Royaume-Uni, qui, même réunies, ne devait guère être supérieures, en terme de volumes de ventes et de chiffre d’affaire, à celui de l’Etat américain du Maine.

Sur le marché américain, justement, plus encore peut-être que ses autres concurrents, Chrysler doit faire face à la montée en puissance des constructeurs japonais, dont les modèles, plus économiques, moins polluants et mieux construits que la plupart des voitures américaines de l’époque, séduisent de plus en plus les citoyens de la classe moyenne. Lesquels ne veulent désormais plus s’afficher au volant de grosses berlines, coupés ou breaks dont l’esthétique « baroque », comme la consommation moyenne de quinze ou vingt litres, apparaissent désormais « politiquement incorrecte ». Face à ce « désamour » qui frappe à présent les américaines « old school », les stocks de véhicules invendus commencent à s’accumuler de plus en plus sur les parkings des usines du groupe. La récession économique engendrée par la crise pétrolière aggravant encore la situation, en particulier sur le Vieux Continent. Chrysler, qui se retrouve bientôt au bord de la faillite, décide finalement de procéder à la revente de l’ensemble de ses filiales européennes qui comprennent non seulement Simca/Chrysler France mais aussi l’ex-groupe Rootes – Chrysler UK – ainsi que Barreiros en Espagne. Ceux-ci sont alors rachetés par un seul et même acheteur : Peugeot.

Un achat dont l’importance témoigne bien, alors, de la bonne santé financière de la marque au lion – surtout que celle-ci venait de racheter Citroën à peine quatre ans plus tôt. Ou, peut-être aussi, d’une volonté farouche de conserver son indépendance, hors de toute atteinte de l’influence de l’Etat. – Même si c’était toutefois suite à « l’appel du pied » de celui-ci que le constructeur de Sochaux avait racheté la marque aux chevrons. Dans le cas de Simca, ce rachat offrait surtout la possibilité à Peugeot de faire d’une pierre deux coups : d’abord en augmentant ainsi ses capacités de production grâce à celles de l’usine de Poissy et, d’autre part, en se « débarrassant » ainsi d’un constructeur qui avait toujours représenté un concurrent gênant.

Au moment où le groupe PSA se porte acquéreur de l’ancienne filiale française du groupe Chrysler, le projet C9 se trouve déjà à un stade assez avancé et c’est sans doute que l’état-major de la marque au lion décidera finalement de mener à terme son développement et de ne pas le remiser dans les tiroirs comme il avait initialement envisagé. Car ce que la direction du groupe craignait, c’est que cette nouvelle grande berline risquait, que ce soit dès son lancement ou même à court ou moyen terme, de poser un problème de concurrence interne. La présence du groupe PSA au sein de la catégorie des berlines grandes routières étant, en effet, déjà largement assurée, d’un côté, par la Citroën CX et, de l’autre, par la Peugeot 604. Chacune ayant d’ailleurs, au sein de ce segment, une clientèle bien ciblée : la première s’adressant aux amateurs férus d’originalité – aussi bien sur le plan technique qu’esthétique, alors que la seconde, de son côté, beaucoup plus conventionnelle dans les deux cas, s’adressait à une clientèle bien plus conservatrice, ou, en tout cas, conformiste. Avec ces deux modèles, produits toutes deux par des marques à la réputation déjà bien établie, PSA pouvait donc couvrir l’ensemble de la clientèle potentielle qui existait alors sur ce marché et n’avait donc guère sans doute guère besoin d’un « troisième larron ». Lequel, en plus d’avoir du mal à trouver sa place face à ces deux références et à être sans doute contraint de faire, en grande partie, de la figuration en vivant dans leur ombre, présentait, dès le départ, un handicap assez important – pour ne pas dire rédhibitoire – pour une voiture de cette catégorie : l’absence d’une véritable image de marque !

Après le rachat de Simca/Chrysler-France par Peugeot, celui-ci avait, en effet, décidé d’abandonner définitivement le nom de Simca – qu’il jugeait sans doute « désuet », ou, en tout cas, trop rattaché au passé – et, se rendant alors compte qu’en rachetant celle-ci, le constructeur de Sochaux était également devenu propriétaire de Talbot. Dans les années 1930, sous l’impulsion de l’Italien Anthony Lago – ce dernier avait racheté la filiale française de ce constructeur britannique, lequel, victime de la crise économique de 1929, avait décidé de fermer celle-ci -, Talbot était rapidement devenu l’une des références françaises dans le domaine des voitures de sport et de prestige. Malheureusement, à l’image des modèles des autres constructeurs français de haut de gamme, les Talbot-Lago, devenues trop chères à fabriquer, finiront par être dépassées par des concurrentes étrangères – anglaises, italiennes et américaines – présentant un bien meilleur rapport prix/performances. La marque cessera alors la production de ces voitures de luxe après son rachat par Simca en 1958… Lorsque, une vingtaine d’années plus tard, celle-ci est alors ressuscitée par Peugeot pour rebaptiser les anciens modèles Simca et Chrysler-France.

La raison du choix de Talbot comme nouveau patronyme s’explique par le fait que – en dehors des pays voisins dépourvus d’industrie automobile – Simca n’avait jamais vraiment pris la peine de se faire connaître à l’étranger – le marché français apparaissant alors sans doute suffisamment grand pour que la marque ait besoin de se développer ses exportations. Or, non seulement, le directoire de PSA veut donner à sa nouvelle filiale une véritable stature de « constructeur européen » mais a également pris la décision – dans une soucis de rationalisation de la nouvelle organisation du groupe comme des coûts de production et de développement des modèles – de fusionner l’ex-Simca et l’ex-groupe Rootes en une seule et même entité. Avec pour effet que les modèles vendues sur le marché britannique comme dans les autres pays d’Europe seront les mêmes et seront aussi produits sous un même nom. Si la « maison-mère » de la marque Talbot – qui produisait des modèles officiant dans la même catégorie que les Talbot françaises -, de son côté, avait cessé ses activités à la fin des années 1930, le nom était, malgré tout, resté populaire au Royaume-Uni.

C’est pourquoi les dirigeants du groupe PSA avait jugé que celui-ci était le plus approprié – parmi tous les noms de firmes automobiles dont il s’était retrouvé propriétaire, au fil des rachats et des alliances – afin d’offrir une nouvelle identité aux modèles de sa nouvelle filiale… En oubliant toutefois que, si le nom de Talbot était toujours vivant dans l’esprit du public anglais, ce n’était, en revanche, plus vraiment le cas en ce qui concerne le public français. Au sein de la « jeune génération » de l’époque – c’est-à-dire ceux de moins de 35 ou 40 ans – le nom de Talbot n’évoquait sans doute plus rien. Quant aux « anciens » – ceux qui avait, notamment, eu, autrefois, l’occasion d’admirer les superbes Talbot-Lago lors des différents Salons automobile de Paris – ce « revival » orchestré par PSA apparaissait comme une sorte de « trahison » ou de « dégradation » d’un nom jadis parmi les plus prestigieux des constructeurs français. Encore qu’en ce qui concerne la grande berline Tagora, cette dernière était sans doute le modèle qui – avec le coupé Murena développé par Matra, commercialisé sous le nom de Talbot-Matra – la plus digne de porter ce nom. On ne peut pas vraiment en dire autant – c’est le moins que l’on puisse dire ! – de l’Horizon – développée sous l’ère Chrysler et qui sera vendue aux USA sous les noms de Chrysler Horizon et Dodge Omni – ou de la Samba – basée sur une version rallongée de la plateforme de la Peugeot 104 -, sans même parler de la fourgonnette VF2, dérivée de la Simca 1100 et apparue elle aussi en 1967 !

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TALBOT HORIZON

Par rapport à la version originelle du projet C9 étudié avant le rachat de Chrysler-France par Peugeot, celle qui est étudiée par la marque au lion – et simplement rebaptisé Projet C9 phase II – reprend – là aussi afin de rationaliser et d’abaisser les coûts de la production – reprendra, autant que possible, un grand nombr d’éléments issus de la banque d’organes du groupe PSA et qui équipent donc déjà une grande partie des autres modèles Peugeot et Citroën. La plateforme est ainsi modifiée et reçoit de nouveaux soubassements afin de s’adapter aux trains roulants empruntés à la Peugeot 604.

En ce qui concerne les motorisations, alors que, à l’origine, elle ne devait reçevoir – en tout cas, à son lancement – qu’une seule motorisation – le quatre cylindres Chrysler produit à Poissy -, il est, finalement, décidé d’élargir l’offre en matière de motorisations. En plus du moteur 2,2 litres de la Chrysler 2 Litres déjà prévu au départ viennent alors s’ajouter le V6 PRV – développé en collaboration entre Peugeot et Renault en France ainsi que Volvo en Suède et qui équipe déjà les versions les plus cossues de la Renault 30 ainsi que de la Peugeot 604 – ainsi qu’un moteur Turbo-Diesel.

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Il est vrai que, avec le contexte de chasse au gaspillage de carburant né suite aux deux crises pétrolières qui ont secoué les années 70 -, plus aucun constructeur européen ne peut plus se dispenser de proposer une – et, souvent même, plusieurs motorisations – fonctionnant au gazole. Qu’il s’agisse des grandes berlines comme des berlines familiales ou compactes, ainsi que des tout-terrains, la consommation moyenne était désormais l’un des critères de sélection prioritaires des acheteurs lors de l’achat d’une nouvelle voiture. La mécanique en question étant déjà bien connue des propriétaires de Peugeot, puisque l’on la retrouve sous le capot de la 604. Il s’agit d’un quatre cylindres de 2,3 l équipé d’un compresseur Garrett, lequel, s’il ne lui permet pas encore de faire jeu égal moteurs à essence, lui permet, en tout cas, d’offrir des performances qui, avec 80 ch et une vitesse de pointe de plus de 150 km/h, dignes de ce qu’on attend d’une grande berline de ce genre.

Celle équipée du quatre cylindres à essence, mentionné précédemment, de son côté, revendique 115 ch et 170 km/h. La version V6, quant à elle, est – logiquement – celle qui affiche la plus forte puissance et les meilleures performances. Avec une puissance de 185 chevaux, elle a d’ailleurs le privilège de proposer la version la plus puissante du moteur PRV à l’époque, s’offrant ainsi le luxe d’offrir vingt-et-un chevaux de plus que la Peugeot 604 et même – « cerise sur le gâteau – quinze de plus que l’Alpine A310 ! Pour atteindre cette puissance, le V6 a, évidemment, reçu une importante remise à niveau, comprenant une nouvelle culasse spécifique, avec des soupapes ainsi que des pistons retravaillés, tout comme les arbres à cames. L’alimentation, de son côté, étant confiée à deux carburateurs triple-corps. En dépit de ses dimensions ainsi que d’un poids assez « respectable », la Talbot Tagora V6 peut ainsi approcher de la barre, aussi importante que symbolique, des 200 km/h. Ce qui fait ainsi d’elle la plus puissante et la plus rapide des berlines françaises de l’époque !

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TALBOT TAGORA

Si le public la découvre pour la première fois à l’occasion du Salon de l’automobile de Paris qui ouvre ses portes en octobre 1980, ce n’est toutefois que plus de quatre mois plus tard, en février 1981, qu’elle est effectivement commercialisée et que les premiers exemplaires sont donc livrés aux clients. Encore cette date de commercialisation ne concerne-t-elle que les versions quatre cylindres essence et diesel, celle équipée du V6 PRV n’étant elle, pas disponible, avant le mois de juillet – bien que celui-ci ne débute officiellement qu’en octobre, les premières Tagora V6 seront néanmoins vendues comme voitures du millésime 82.

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TALBOT TAGORA

Lors de sa genèse, Chrysler-France et après lui PSA semblaient véritablement convaincus du potentiel de la Talbot Tagora face à des rivales teutonnes comme l’Audi 200, la BMW Série 5 et la Mercedes W123. Si les grandes berlines du groupe – la CX et, surtout, la 604 – étaient déjà très prisées des élites politiques françaises, jusqu’au sommet de l’Etat. La direction de PSA semble avoir pourtant été convaincue – l’espace d’une courte période – qu’avec la Tagora, elle pourrait définitivement supplanter Renault au sein des garages de l’Elysée. Au Salon de Francfort de 1981 fut ainsi présentée une version haut de gamme dont le nom trahissait la vocation première à laquelle elle était destinée : la Tagora Présidence. Celle-ci se distinguait de la version SX – sur laquelle elle était basée – par une présentation ainsi qu’un équipement intérieur encore revu à la hausse : une sellerie mariant le cuir souple et le tissu pure laine, une planche de bord gainé de cuir, un plafonnier arrière à éclairage séparé, des rideaux permettant d’occulter les vitres ainsi que la lunette arrière, une télévision combinée à un magnétoscope, une chaîne hi-fi équipée d’un amplificateur 110 W et de quatre haut-parleurs, un dictaphone à cassette ainsi qu’un double système de radio-téléphone. Selon certaines sources – qui n’ont, cependant, jamais pu être vérifiées avec certitudes – que le président français de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing, aurait suggérer la réalisation de cette « version d’élite ». Malheureusement pour Talbot et pour la Tagora, l’arrivée au pouvoir de François Mitterand, lors des élections de 1981, mettra – malheureusement – un terme à ce projet, faisant de la voiture exposée au Salon de Francfort un exemplaire unique.

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Comme les commerciaux ainsi que l’état-major du groupe PSA le craignaient – dès le départ -, la Talbot Tagora, qui a pour elle l’attrait de la nouveauté, ne va pas manquer de gêner, assez fortement, la carrière de la Peugeot 604. S’il est vrai que celle-ci, depuis son lancement, en 1975, n’était toujours parvenue à mener, dans l’ensemble, qu’une carrière en demi-teinte – notamment à cause du manque d’image de la marque au lion dans le segment des berlines grandes routières ainsi qu’à un moteur V6 au fonctionnement assez bancal et un peu trop gourmand en carburant -, l’arrivée sur le marché de la grande Talbot ne va clairement pas lui faciliter la tâche !

Si les ventes connaissent un assez bon démarrage en début de carrière, avec plus de 15 000 voitures en 1981, celles-ci vont – malheureusement – s’effondrer assez rapidement, puisqu’elles n’atteignent plus que 2 500 exemplaires à peine l’année suivante.

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Outre, comme il a été évoqué plus haut, le souvenir et, avec lui, l’image de la marque Talbot s’était déjà, en grande partie, effacé de la mémoire collective, cette absence d’image de marque au sein d’une part importante du public du début des années 80, d’autres raisons sont toutefois à « incriminer » et expliquent, elles aussi, l’échec de la Tagora auprès de la clientèle visée. Là aussi comme il avait été mentionné précédemment, un style certes conforme aux canons esthétiques de l’époque mais manquant peut-être quelque peu de personnalité ; une qualité de finition – pour les matériaux employés comme pour l’assemblage – bien en-deçà de ce qu’offraient les références du segment – c’est-à-dire les berlines allemandes – et aussi la mauvaise volonté des concessionnaires Peugeot, peu enclins à promouvoir une rivale de leur propre haut de gamme, la 604 – dont les ventes n’étaient jamais vraiment arrivées à décoller – dans leurs propres show-rooms.

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TALBOT TAGORA

A peu près au même moment où avait lieu le lancement de la Tagora, sans doute afin de rationaliser l’organisation du groupe PSA, l’ancien réseau Simca/Chrysler-France est fusionner avec celui de Peugeot. Anciens concurrents et parfois même rivaux acharnés, il semblait pourtant à craindre – pour ne pas dire prévisible dès le départ – que la cohabitation promettait, pour la plupart d’entre-eux d’être assez difficile. Les concessionnaires Peugeot n’étant guère disposés – c’est le moins que l’on puisse dire – à devoir vendre les anciennes Simca-Chrysler en plus des modèles de la marque au lion. D’autant qu’il leur était souvent assez difficile d’expliquer à leurs clients pourquoi ils devraient ainsi se laisser tenter par une Talbot Samba ou Horizon plutôt qu’une Peugeot 104, alors que ces modèles, en plus de jouer dans la même catégorie, affichaient un rapport prix/performances/équipement fort comparable l’un et l’autre. Une grande partie des anciens concessionnaires Simca – et ensuite Chrysler-France – préférant, pour certains, mettre la clé sous la porte ou, pour la plupart d’entre-eux, passer tout simplement à la concurrence.

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TALBOT TAGORA

Au vu de ce contexte assez délétère, il n’est d’ailleurs pas exagéré de dire que, pour la Tagora, le ver était sans doute déjà dans le fruit, non seulement, dès sa commercialisation, mais aussi, probablement, à l’époque où PSA, après son rachat de Chrysler-France, avait décidé de poursuivre et de mener à terme le projet C9. Autant la Citroën CX et la Peugeot 604, bien qu’appartenant toutes deux à la catégorie des berlines grandes routières, ne se sont, dans l’ensemble, jamais vraiment faites concurrence car elles affichaient – d’un point de vue technique comme esthétique – deux personnalités diamétralement opposées et ne s’adressaient donc pas vraiment au même genre de clientèle. Autant le haut de gamme de la marque au lion et la Talbot Tagora avaient sans doute toutes les chances de se livrer une guerre intestine aussi féroce que stérile et même, à terme, néfaste pour leurs constructeur et pour le groupe PSA car, sur ces deux critères, elles présentaient, justement, des personnalités par trop similaires l’une et l’autre. Un problème de concurrence interne qui avait déjà commencé à se faire jour dès le rachat de l’ancienne division française de Chrysler et était, finalement, devenu flagrant – pour le public comme pour les agents du réseau Peugeot-Talbot ainsi que l’état-major de PSA – à l’époque où les premiers exemplaires de la Tagora commençaient à peine à circuler sur les routes françaises.

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Avec autant de casserole,  que la grande Talbot traînait véritablement comme des boulets dès son lancement, il n’est guère étonnant que sa carrière se soit brutalement achevée à la fin de l’année 1983 après seulement trois ans et environ un peu plus de 20 000 exemplaires produits, toutes versions confondues – 1 500 exemplaires à peine ayant trouvé preneurs durant sa dernière année de production.

A cette époque, sa « cousine » – et néanmoins rivale -, la Peugeot 604 amorce d’ailleurs le crépuscule de sa carrière, n’étant jamais parvenue, malgré les efforts de son constructeur, à remplir pleinement les espoirs qui avait été mis en elle et à devenir, comme elle le prétendait à sa sortie, la « Mercedes française ». Si sa carrière ne s’arrêtera qu’à l’automne 1985, deux ans après la Tagora, Peugeot semble pourtant l’avoir déjà enterré elle aussi. Si PSA n’a alors pas – encore – abandonné l’idée de concevoir et de pouvoir proposer un jour un (ou des) modèle(s) qui puisse(nt) soutenir sans rougir la comparaison face à ses rivales d’outre-Rhin – mais sans jamais vraiment y parvenir, comme le montrera, dans les années 90, les carrières en « demi-teinte » de la Citroën XM et de la Peugeot 605.

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En tout état de cause, lorsque la Tagora quitte la scène,  ce n’est rien moins que l’ensemble des modèles de la gamme Talbot qui se retrouvent d’ailleurs sur la selette, les membres du directoire du groupe PSA ayant, en effet, décidé de la suppression pure et simple de la marque. Celle-ci intervenant trois ans plus tard, en 1986, avec la fin de la commercialisation des dernières versions de la Samba, de l’Horizon et de la Solara – la version tricorps des anciennes Simca 1307 et 1308. Tout du moins sur le marché français, celles-ci restant en production sur les chaînes de l’usine espagnole de Villaverde, près de Madrid, où leur production avait été transférée l’année précédente, les chaînes d’assemblage de l’usine de Poissy étant désormais presque exclusivement dévolues à la production des modèles de la gamme Peugeot.

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TALBOT SOLARA

Le marché espagnol ne leur offrira toutefois qu’un faible sursis, leur production étant définitivement arrêtée un an plus tard, la marque Talbot ayant alors vécu et appartenant, définitivement cette fois. Le dernier projet à avoir été étudié pour la gamme Talbot, qui était destiné à remplacer l’horizon et devait être commercialisé sous le nom d’Arizona, ne sera toutefois pas, pour autant, jeté aux oubliettes. Intégré à la gamme Peugeot, elle fera son apparition sur le marché sous l’appellation 309.

Joachim SAINT-CLAIR

Photos DR

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