Jaguar Type E

Jaguar Type E, Lyons sort les griffes et présente sa nouvelle Jaguar

Elle est synonyme de luxe et de pureté. Elle perd son âme à cause du marché américain, régit par trop de normes environnementales ou sécuritaires. Elle reste cependant la plus belle voiture jamais produite à ce jour. Avez-vous deviné de quel modèle il s’agit ? Bravo, de la Type E…

On l’appelle Type E en France, E-Type en Angleterre ou encore XK-E aux Etats-Unis, et elle reste dans la mémoire collective comme l’une des plus belles automobiles jamais construites. Elle incarne la classe anglaise, la beauté et la pureté des sixties. Elle a fait rêver des milliers de personnes, allant des stars du show-biz aux ados qui l’affichaient en poster dans leur chambre. Certains privilégiés l’ont conduite sur des routes ou des boulevards, d’autres l’ont fait en rêve. Quoi que l’on pense de ce joyau de l’automobile, personne ne reste indifférent face à ses courbes, à son design, à sa mécanique. Au plus haut niveau, l’automobile fait passer une émotion qui vous hante, et la Type E réussit à vous transpercer. Telle une œuvre d’art, le dandy ou la personne lambda restent bouche bée devant l’amour de cette perfection.

Jaguar Type E, Lyons sort les griffes et présente sa nouvelle Jaguar

Et d’ailleurs, la légende raconte qu’Enzo Ferrari a dit, lors de sa présentation au Salon de Genève 1961, qu’elle « était la plus belle voiture jamais construite. » Salvatore Dali, lui, dira d’elle « qu’elle est belle comme une femme. » Que de citations flatteuses pour la remplaçante de la série XK qui mérite amplement cette grande réputation.

INSPIRÉE DE LA TYPE D

Le 20 mars 1957 est signé le traité de Rome, texte fondateur de la Communauté Économique Européenne. Cette même année, William Lyons, créateur et patron de la marque Jaguar, se décide à remplacer la XK 150. Pourtant, le dossier de presse de l’époque stipule que la Type E ne la remplace en rien, les dirigeants étant probablement motivés à répandre l’intox en voyant le nombre d’exemplaires restants en stock. Il confie à Malcolm Sayer la responsabilité de plancher sur la nouvelle Jaguar.

Mais avant le modèle définitif, plusieurs prototypes voient le jour : l’XP11, l’E1A et l’E2A. Ces noms de code ne sont pas très sexy mais cela n’empêche pas cette dernière à taper dans l’œil de Briggs Cunningham. Ancien pilote automobile, il est ému par le magnifique profil de l’auto qui lui rappelle la mythique Jaguar Type D. Son enthousiasme et sa conviction réussissent à convaincre la marque de Coventry à engager la voiture aux 24 H du Mans pour défendre les couleurs de son écurie. Dans la compétition, elle défend sa place sous le numéro 6. Ce n’est pas le numéro 13 et pourtant, de nombreux soucis techniques poussent les décideurs à abandonner au milieu de l’épreuve. Dommage !

MALCOLM SAYER AU PLUS HAUT DE SON ART

En 1961, afin de promouvoir son nouveau modèle à Genève, William Lyons cherche un parrain pour incarner la jeunesse, le charme et la vitalité que suscite la Type E. Il contacte alors Jacques Charrier qui est l’une des plus grandes stars du moment. Deux ans auparavant, l’acteur rencontre Brigitte Bardot sur le film Babette s’en va-t-en guerre et les amoureux décident de se marier.

Ce qui plait au public, c’est sa conception faite à la manière d’un véhicule de compétition puis la longueur du capot qui abrite le 6-cylindres. Le travail de Malcolm Sayer et son bon coup de crayon sont alors récompensés. Lorsque l’on admire de plus près la pureté de la ligne, on ne s’étonne pas à ce qu’elle soit parfaite. En effet, ce designer de renom est un ancien ingénieur aéronautique qui a exercé durant la Seconde Guerre mondiale. A l’automobile, il a donc réussi à transmettre ses compétences en la matière. L’aérodynamicien n’a pas cherché à faire dans l’esthétisme mais plutôt dans l’efficacité. Il a pourtant réussi à rassembler de bons ingrédients : fluidité de la ligne mais aussi roues à rayons, fins pare-chocs chromés et carénage de phares qui apportent une touche de légèreté et de classicisme bienvenues.

DEUX FOIS MOINS CHÈRE QU’UNE FERRARI

A cette époque, la Type E est sans doute la voiture la plus moderne du monde. Son architecture novatrice, inspirée de la Type D, y est pour quelque chose. En effet, elle est équipée d’une caisse arrière monocoque sur laquelle vient s’ajouter un treillis tubulaire. Cette « tour Eiffel » supporte les trains roulants, la boîte de vitesses et le moteur. Un long capot la recouvre, élément qui constitue une partie de la carrosserie en acier. La solution tout alu, envisagé dans un premier temps par les prototypes E1A et E2A, n’a pas été retenue afin que l’auto se vende moins chère. En effet à son lancement, la belle vaut 40 000 francs « à peine », alors qu’une Ferrari 365 GTB4 vaut plus du double ! Cendrillon ne s’endettera pas si elle décide de mettre son vieux carrosse à la casse.

Un capot sculpturale

BLOC 6-CYLINDRES 3.8 LITRES ET 4 FREINS A DISQUE

Côté mécanique, le bloc XK 6-cylindres de 3.8 litres règne en maître. Celui qui développe 265 ch SAE est entré pour la première fois en service en 1948 sous le capot de la XK 120. Pour l’époque, les performances sont honorables avec un 0 à 100 km/h en 7.2 secondes et une vitesse de pointe de 240 km/h.

Malheureusement, la boîte Moss 4-vitesses accouplée à ce moteur, fait débat. Pour certains, elle a mauvaise réputation car ils la juge trop lente, rendant la conduite désagréable. Cependant, les performances ne sont pas affectées, ce qui est préférable pour un coupé ou un roadster. Ces deux types de carrosseries furent proposés dès le lancement et il aurait été navrant qu’un manque de performances ne vienne écorner l’image sportive de Jaguar. Le second clan défend la boîte dans son maniement. A l’inverse, il explique que celle-ci s’avère agréable après un temps d’adaptation et cela, malgré une première vitesse non-synchronisée et difficile à passer. Pour ses défenseurs, cette transmission est virile, fiable et irremplaçable. Le meilleur moyen de forger sa propre opinion est de l’essayer grandeur-nature mais encore faut-il faire partie des chanceux.

A présent, si l’on se penche vers l’avant afin d’observer les suspensions, on remarque la présence d’une barre de torsion, système qui ressemble à l’ancienne X 150. La modernité équipe quant à elle le train arrière avec des roues indépendantes. Mais ce qui marque le plus les esprits est l’adoption de freins à disque sur les quatre roues. Frederick William Lanchester est le père de cette invention et l’a pensé dès 1902. Mais elle n’a jamais été appliqué sur les véhicules en grande série. Et ce, jusqu’à ce que la firme de Coventry, en collaboration avec des ingénieurs de chez Dunlop, développe à partir des années 1950 cette technique de freinage pour sa Type C.

POIDS PLUME

En 1963, le premier hypermarché de France ouvre ses portes à Sainte-Geneviève-des-Bois. La société de consommation a ouvert son temple. La même année, c’est un produit beaucoup plus confidentiel, réservé aux seuls chevronnés, qui fait son apparition : la Type E Lightweight. Le modèle respire la compétition et le chahut sur les pistes promet d’être virulent. Face au bolide de Coventry s’oppose la Ferrari 250 GT. Et pour parvenir à la contrer, Jaguar mise sur la carrosserie tout alu. Mécaniquement parlant, la base du 6-cylindres 3.8 litres de la voiture de série est repris, à la seule différence que le bloc est en alu et non en fonte. Du moins, dans un premier temps ! Car le moteur manque de fiabilité et il faut repasser au bloc de fonte, poussé cette fois à 300 ch. Des pilotes illustres ont conduit ce chef-d’œuvre sur roues : Graham Hill, double champion du monde de F1 et vainqueur du Mans en 1972, et Bob Jane qui gagne à son volant le championnat de GT australien. De quoi faire encore rêver près de soixante ans plus tard !

Tous fans de Type-E

2 + 2 = 90 KG SUPPLÉMENTAIRES

Pour le millésime 1964, le marché US demande plusieurs modifications. Le bloc 6-cylindres passe de 3.8 litres à 4.2 litres sans pour autant augmenter la puissance du moteur. Par contre, le couple évolue de 35.9 à 39.1 mkg dès 4 000 tr/mn. En ce qui concerne la transmission, la boîte Moss disparaît en fin d’année pour être remplacée par une boîte maison bien plus efficace. Ouf !

Deux ans plus tard, la France quitte l’OTAN et le coupé 2 + 2 fait son entrée. Ce dernier prend de l’embonpoint : + 90 kg ! Et pour cause, le plancher est abaissé et gagne en longueur (+ 29 cm). Le toit est également relevé, le pare-brise plus haut de 4 cm, tandis que l’ouverture des portes est augmentée de 22 cm. Face à ces transformations, la tenue de route reste honorable. Le point positif concerne l’assise plus haute qui procure une meilleure visibilité.

DÉNATURÉE PAR LE MARCHÉ AMÉRICAIN… LA SÉRIE 2 EST POURTANT PLUS FIABLE.

Les États-Unis sont le premier marché de la Type E, à tel point que Coventry accède à toutes les requêtes d’outre-Atlantique pour être en accord avec la règlementation du pays.

Les carénages de phares, qui lui donnent une si forte personnalité, disparaissent en 1967. L’habitacle perd les basculeurs type « aviation » et sont remplacés par de vulgaires boutons en plastique noir. C’est dans l’époque ! Officieusement, on appelle cette version « 1.5 ».

Mais ces changements ne sont qu’une amorce puisqu’arrive, dès 1968, une Série 2. La boucherie continue, et la finesse est sacrifiée au nom de la norme sécuritaire. Car en effet, les pare-chocs sont placés plus haut, de gros feux carrés remplacent les anciens plus fins tandis qu’une calandre plus grosse et plus laide améliore le refroidissement du moteur. C’est pour la bonne cause me direz-vous…

Pourtant, ne soyons pas de mauvaise foi. De bonnes choses se dégagent de cette nouvelle mouture comme par exemple, la direction assistée ou la climatisation disponible en option. Côté freinage, le bon point vient des étriers qui donnent plus de mordant. De plus, la fiabilité est en hausse par rapport à la Série 1. Hélas, les normes antipollution assombrissent le tableau car la puissance de l’auto chute drastiquement sur le marché nord-américain. Alors, serez-vous de ceux dont le cœur penche pour la fiabilité de la Série 2 ou pour la classe anglaise de la première génération ? Quoi qu’il en soit, la réglementation US fait perdre à la belle anglaise tout espoir de sportivité et sacrifie l’élégance de l’auto. Quel dommage !

HASSAN ET MUNDY DEVELOPPENT LE V12

Jim Morrison rejoint le Club des 27 en 1971 alors que la Série 3 fait son apparition. « Light My Fire » résonne dans les esprits et tous ont envie d’allumer le feu du nouveau V12 Type E. Contact, prêt, partez !

Conçu par Walter Hassan et Harry Mundy, ce magnifique V12 de 5.3 litres développe 272 ch DIN. Le bloc perd 50 kg du fait de sa conception en alliage léger. A cette innovation s’ajoute l’allumage transistorisé Lucas, réservé jusqu’alors à la compétition. Cependant, le mélange technologie nouvelle et ancienne peut sembler surprenant puisque l’on retrouve également une distribution par chaîne ou un arbre à cames par rangée de cylindres, solutions peu originales qui ont déjà fait leurs preuves par le passé. Grâce à cette stratégie, la Type E est la moins chère des V12. Il faut débourser 60 000 F en 1971 pour acquérir ce modèle.

Après treize ans de bon et loyaux services, Jaguar met fin à la production de la Type E. La firme anglaise écoule les derniers exemplaires sur la fin de l’année 1974 puis sur l’année 1975. Au total, entre 1961 et 1964, 7 815 roadsters et 7 767 coupés de la Série 1 seront produits. Entre 1964 et 1968, 9 548 roadsters, 7 770 coupés et 5 599 2 + 2 seront écoulés. Entre 1968 et 1971, 8 628 roadsters, 4 901 coupés et 5 325 2 + 2 de la Série 2 verront le jour. Enfin, entre 1970 et 1973, 15 290 Type E Série 3 seront fabriqués, portant le nombre total à plus de 72 000 exemplaires produits. Une sacrée réussite pour une GT de luxe qui a réussi à se rendre accessible à des acheteurs qui n’avaient pas le porte-monnaie pour s’acheter une Ferrari. L’histoire s’achève et une autre commence puisque la XJS pointe le bout de son nez à partir de 1975. Elle n’aura pas le même aura que sa devancière mais une nouvelle passion va naître dans le cœur des hommes…

Romain Orry

Photos :

Xavier Blanchet @lesbagnolardsdudimanche

Vincent Toussaint @living_with_an_etype

Vincent Delfosse

D’autres anglaises https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/06/jaguar-mark-x/

Nos vidéos https://www.youtube.com/watch?v=p0oc8AijIXY&t=23s&ab_channel=R%C3%A9troPassionAutomobiles

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