AUSTIN ATLANTIC - Erreur de casting à l'anglaise

AUSTIN ATLANTIC – Erreur de casting à l’anglaise.

A l’exception notable des Etats-Unis, pour tous les pays qui se sont retrouvés impliqués dans la Seconde Guerre mondiale, ce conflit aura été désastreux non seulement sur le plan humain mais aussi sur le plan économique. Si, contrairement à la plupart des autres pays de l’Europe continentale, le Royaume-Uni n’eut pas à souffrir des pillages d’une grande partie de son outil industriel par les forces d’Occupation, tout comme eux, elle n’échappa pas aux destructions engendrées par les bombardements ennemis. Après six années d’un conflit sanglant, la Grande-Bretagne se retrouve ainsi économiquement exsangue et la priorité numéro un du gouvernement britannique va donc être de solliciter sur les constructeurs automobiles pour que ceux-ci réservent la plus grande partie de leur production à destination du marché américain.

Les Etats-Unis étant alors la seule nation occidentale qui ne soit pas sortie sinistrée à l’issue du conflit. Au contraire, au sortir du conflit, ceux affichent une prospérité économique retrouvée, qu’ils n’avaient plus connu depuis la crise économique de 1929 et représente donc, dans l’immédiat, pour les firmes européennes, le plus grand mais aussi le seul véritable débouché commercial suffisant pour leur permettre de se refaire une santé.

Se disputant, avec son principal et éternel rival Morris, le titre de premier des constructeurs britanniques et spécialisé, tout comme ce dernier, dans les voitures populaires, Austin ne peut évidemment rester indifférent face à la perspective de ce nouvel Eldorado, d’autant que ce fabuleux gâteau, de l’autre côté de l’Atlantique, apparaît suffisant grand pour que la marque fondée par Sir Herbert Austin puisse espérer, elle aussi, en croquer sa part. Le seul problème est que les voitures anglaises qui sont les plus prisées auprès des Américains sont, soit, les berlines de prestige ou les coupés et cabriolet de grand tourisme ou les petites sportives.

Or, malheureusement pour elle, au sein de sa nouvelle gamme des premières années d’après-guerre, Austin ne propose ni l’un ni l’autre. Si le constructeur propose bien, à partir de 1948, une nouvelle berline haut de gamme à son catalogue, la Princess*, celle-ci, bien que d’aspect plutôt flatteur, est avant tout destiné à concurrencer les voitures de prestige de gamme « intermédiaire » telles que les Humber et est donc loin d’avoir la carrure d’une Bentley ou d’une Rolls-Royce. Quant aux roadsters sportifs, Austin ne peut quasiment se prévaloir d’aucune expérience dans ce domaine. Autre difficulté, dans les deux cas, bien que situé aux extrémités de l’éventail du marché automobile britannique de la fin des années 1940, les unes comme les autres peuvent se prévaloir d’un certain cachet « exotique » ainsi que de lignes ou d’un aspect suggestif qui reflète bien leur vocation. Le « hic » de ce côté est que le mot « glamour » n’a jamais vraiment figuré au sein du dictionnaire de la marque Austin, celle-ci, qu’il s’agit de ses petites voitures populaires ou de ses berlines de plus grosse cylindrée, ayant, au contraire, plutôt érigée l’austérité en vertu cardinale.

Celle-ci est cependant convaincue, comme beaucoup d’autres au Royaume-Uni, que l’Amérique représente un marché d’exportation non négligeable et même vital pour assurer sa prospérité et même, tout simplement, sa pérennité. La direction du constructeur se décide donc  à concevoir et à commercialiser un modèle présentant une allure totalement inédite qui permettra de dépoussiérer grandement l’image de la marque, non seulement sur sa terre natale ainsi qu’au sein du marché européen mais aussi de faire connaître la marque au pays de l’oncle Sam.

C’est en tout cas ce dont son président, Leonard Lord, est convaincu lorsqu’il accepte de donner carte blanche aux stylistes du bureau d’études pour en tracer les lignes. Ce qui ne manque pas de surprendre quand on sait que l’homme affichait l’austérité d’un croque-mort et dégageait autant de sympathie qu’un gardien d’un camp de concentration. Il fallait donc vraiment qu’il soit persuadé de la poule aux œufs d’or que pouvaient représenter ces « cow-boys yankees » pour donner son aval à un projet pareil.

Le moins que l’on puisse dire est que ce dépoussiérage des habitudes au sein des dessinateurs du bureau d’études d’Austin fera presque l’effet d’un nettoyage au carsher ! Tellement la nouvelle Austin va venir bouleverser les habitudes des clients traditionnels de la marque et presque faire figure de sorte « d’OVNI » au sein du catalogue du constructeur de Longbridge. Le terme n’est probablement pas tellement exagéré lorsqu’on la compare avec les autres modèles de la marque, lesquelles conservent encore les caisses étroites et hautes ainsi que les ailes séparées héritées de leurs devancières d’avant-guerre. Il n’y a qu’a observer les lignes de cette nouvelle Austin ainsi qu’à entendre son nom de baptême, Atlantic, pour deviner à quel marché elle est destinée : l’Amérique.

Sans doute guère habituée à avoir les coudées aussi franches, surtout de la part d’un patron comme Lord ainsi que sur un modèle haut de gamme, Dick Burzi, le principal styliste de la marque, s’en est sans doute donné à coeur-joie en traçant les lignes de celle qui devait permettre à Austin, si pas de faire jeu égal, en terme de chiffres de vente sur le marché américain, avec Jaguar, en tout cas, certainement de se faire sans difficultés une place enviable de l’autre côté de l’Atlantique.

Destinée avant tout et surtout à parcourir les longues routes longeant les côtes Est et Ouest des Etats-Unis, l’Atlantic se présente sous la forme d’un imposant cabriolet disposant d’un habitacle aux dimensions assez vastes pour accueillir quatre adultes de gabarit « normal ».

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Un cabriolet dont la silhouette s’inspire, de façon inavouée mais néanmoins assez claire et évidente, des américaines contemporaines. Plus que le dessin de la proue, c’est, toutefois, surtout vu de profil ainsi que de l’arrière que la parenté avec les imposants cabriolets qui sortent par milliers des chaînes des usines de Detroit apparaît le mieux. Le profil, avec ses ailes avant en forme de vague, culminant à hauteur du capot juste au-dessus du passage de roue avant et descendant ensuite en pente douce jusqu’à la fin du passage de roue arrière. Les ailes arrière étant, elles, entièrement intégrées dans le reste de la carrosserie, calquant ainsi assez bien le style « semi-ponton » qu’affichaient alors presque toutes les Américaines de l’immédiat après-guerre. Tout comme le dessin des extrémités des ailes arrière et de la malle de coffre bombée et dont la poignée se trouve enchâssée dans une imposante moulure chromée placée en son centre et courant depuis le bac de la capote jusqu’à l’emplacement de la plaque minéralogique.

Celles-ci offrant un contraste saisissant avec le dessin de la proue. Si les membres de l’état-major d’Austin ont certainement veillés à ne pas se départir du légendaire flegme britannique, nul doute que l’expression sur le visage de la plupart d’entre-eux devaient trahir le sentiment plutôt mitigé, voire même franchement dubitatifs. Certains ayant même du se dire, ou chuchoté entre-eux, une fois la cérémonie de présentation de la nouvelle Atlantic terminée, que Dick Burzi devait avoir dessiné l’avant de la voiture après une visite à l’aquarium du zoo de Londres… ou après une bonne murge à la Guinness ou au whisky de contrebande ! Le faciès de la nouvelle Austin n’étant, en effet, pas sans rappeler celle de certains poissons, avec son capot épousant la forme des ailes et descendant presque jusqu’au pare-chocs et s’arrêtant au bas des phares, juste au-dessus d’une calandre rectangulaire dont l’étroitesse et le renfoncement évoquent tout à la fois le soupirail de la cave d’une maison ou une boîte aux lettres. Au milieu de laquelle trône un troisième phare « cyclopéen », sans doute fort utile pour améliorer la visibilité sur route la nuit, surtout au vu de la faiblesse de la puissance des phares sur les voitures de l’époque ainsi que de l’absence presque totale de tout éclairage sur les routes nationales en dehors des grandes villes.

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Si celui-ci rajoute indéniablement à l’originalité de la voiture, les dirigeants de Longbridge se sont certainement demandés, en examinant ce phare en plus si cette originalité (tout comme le reste du dessin de la proue de l’Atlantic, du reste!) parviendrait réellement à séduire le cadre dynamique de New York ou le « golden boy » des quartiers chics de Los Angeles, à laquelle le nouveau « porte-étendard » de la marque était destiné. A noter que sur les exemplaires de présérie, celle-ci était aussi agrémentée d’une calandre rectangulaire, qui ne sera pas retenue sur le modèle de série.

Lorsque le cabriolet Atlantic est dévoilé au grand public, en 1948, Austin déroule le tapis rouge et met les petits plats dans les grands, tant la marque semble être convaincue que son nouveau fer-de-lance se vendra rapidement comme des petits pains aux Etats-Unis. C’est bien d’ailleurs à ceux-ci que sera réservé, dès avant la commercialisation du modèle, la plus grande partie de la production, le marché britannique et des autres pays européens, tout comme celui des pays du Commonwealth d’ailleurs, devant se contenter des restes du gâteau, une fois que les Américains auront fini de manger leur part ! Cette part, toutefois, aussi grosse soit-elle et même servie sur un plateau d’argent, les Américains, que les représentants d’Austin fraîchement dépêchés en Amérique pour tenter de les convaincre que l’Austin Atlantic est bien « LA nouvelle voiture anglaise à la mode » que tous les automobilistes américains en mal d’exotisme se doivent de posséder, ces derniers n’en voudront toutefois guère.

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Sur le moment, en découvrant l’aspect du gâteau en question, ces braves Yankees vont en rester comme deux ronds de flancs, puis, en s’en approchant un peu plus, vont le renifler un peu comme si ces Englishs tentaient de leur refiler du poisson avarié ! Le moins que l’on puisse dire est que le style, pourtant voulu et vanté par Austin comme étant parfaitement « dans le vent » ne les convainc guère ! Bien qu’ayant été fortement par les modèles les plus emblématiques de la production américaine, et bien qu’assez élégant vu de profil ou même de l’arrière, le dessin de l’Atlantic souffre toutefois d’un châssis dont les dimensions semblent un peu étriquées pour permettre aux lignes voulues par Dick Burzi de s’épanouir véritablement et donc d’atteindre le même niveau d’élégance que les belles américaines qu’elle cherchait à imiter. Avec à peine 4,50 mètres de long et 1,77 m de large, on est, en effet, encore assez loin du gabarit d’une Cadillac.

Sous le capot, comme en ce qui concerne le reste du châssis et de la fiche technique, là non plus, ce n’est pas vraiment l’Amérique ! Quand on parcoure celle-ci et que l’on contemple les lignes de l’Austin Atlantic, on aurait presque envie de la résumer par la célèbre expression « Que de la gueule ! », qui est souvent employé pour décrire, couramment, les voitures qui ont tout misé sur les apparences mais, soit, en oubliant la partie technique ou alors en jugeant que la plupart des acheteurs visés ne souciaient guère de l’avant-gardisme technique ni des performances et souhaitaient avant tout une carrosserie dont les lignes fassent se retourner les têtes sur son passage. Ce fut certainement le cas lorsque les premiers exemplaires de l’Atlantic ont commencé à circuler dans les rues de Londres, mais pas tout à fait dans le sens qu’espérait son constructeur. Austin était alors le premier constructeur britannique, l’Atlantic était censé figurer parmi les modèles haut de gamme de la marque et Leonard Lord était certainement convaincu, au départ, du succès commercial que ce nouveau cabriolet rencontrerait de l’autre côté de l’Atlantique.

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Malgré cela, en ce qui concerne les dessous de la « belle », la firme de Longdridge n’a pas vraiment jugé nécessaire de mettre les petits plats dans les grands. Si les acheteurs ne devaient sans doute pas s’attendre à trouver un V8 en soulevant le capot, ils étaient quand même en droit d’espérer, s’agissant d’un cabriolet de ce standing, que la marque daigne au moins l’équiper du six cylindres en ligne tel que celui monté sur la nouvelle berline Princess. Même si ce dernier était loin d’être un foudre de guerre et n’avait donc ni la noblesse technique ni la puissance de certains autres six cylindres anglais, sur le papier, en tout cas, cela aurait sans doute conféré un surcroît de prestige à l’Atlantic.

Même si cela n’aurait peut-être pas suffit pour lui permettre de connaître le succès espéré par son constructeur. Est-ce par manque d’ambition ou de moyens alloué au projet qui allait donner naissance à ce cabriolet si atypique ? Toujours est-il que, chez Austin, on s’est contenté de recourir à une solution de facilité consistant, tout simplement, à piocher au sein de la banque d’organes du constructeur. L’Atlantic doit ainsi se contenter d’un gros quatre cylindres tout en fonte dont la cylindrée atteint certes, près de 2,7 litres mais dont les 88 chevaux est cependant loin de lui permettre de pouvoir grimper aux arbres ou d’aller taquiner les Jaguar. Avec une vitesse de pointe donnée pour 148 km/h, ce cabriolet de « prestige » pouvait, en tout cas, offrir à son conducteur le plaisir d’aller se balader sur les longues routes serpentant le long des côtes de l’est et de l’ouest américain ou, à défaut, les petites routes, toutes aussi belles, de la campagne anglaise.

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Malheureusement pour ce curieux cabriolet au faciès à mi-chemin entre celui d’un mérou et d’une grenouille fera un four des deux côtés de l’Atlantique, puisqu’il n’en sera produit, en tout, qu’un peu moins de huit mille exemplaires en quatre ans. Ceci, en comptant les exemplaires de la version coupé, qui sera commercialisé un an après le cabriolet. Comble de malchance et cruelle ironie du sort, seuls 350 d’entre-eux seront finalement vendus sur le marché américain.

Avec le recul, l’échec commercial cinglant qu’elle connaîtra au pays de l’oncle Sam n’est guère guère surprenant et était sans doute même prévisible dès le départ. Non seulement à cause du prix de vente trop élevé auquel elle était vendue aux Etats-Unis mais aussi parce que même les plus modestes des cabriolets américains présentaient un meilleur rapport prix/performances. Mais aussi – et surtout – à cause de son physique trop atypique, tant pour les Américains que pour les Européens. Pour ces derniers,, parce ses lignes ne correspondaient pas du tout à l’idée que le public se faisaient d’une voiture anglaise et pour les premiers cités parce qu’elle apparaissait, aux yeux de la plupart d’entre-eux, comme une sorte de caricatures des voitures américains de l’époque… en réduction. Une sorte de cabriolet Buick dont le châssis aurait été raccourcie après avoir été amputé d’environ un bon mètre sur la longueur de l’empattement. Faisant ici un peu l’effet d’un individu dont la croissance aurait subitement été interrompue alors qu’elle allait arriver à son dernier stade.

En étant persuadé de pouvoir conquérir le marché américain avec leur servant un modèle qui n’était donc qu’une caricature des voitures américaines, le bureau d’études ainsi que la direction d’Austin s’était, clairement, complètement fourvoyés, et cela dès le départ. Nul doute qu’il avait oublié ou qu’ils n’avaient pas jugé nécessaire, non seulement, de regarder ce qui se faisait chez la concurrence mais aussi – et surtout – quelles étaient les modèles de la production britannique qui se vendaient le mieux de l’autre côté de l’Atlantique. Or hormis les coupés et les cabriolets de grand tourisme ainsi que les berlines et les limousines haut de gamme, les Anglaises qui faisaient un carton auprès des Américains étaient les petits roadsters qui avaient conservé l’identité des modèles d’avant-guerre. A savoir des sportives au look vintage, au confort sommaire, au comportement virile ainsi qu’avec une fiche technique certes désuète mais avec dont les composants simples et éprouvés mettaient leur entretien à la portée de n’importe quel bon mécano amateur.

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L’état-major d’Austindevait sans-doute vraiment être imbu de son statut de premier constructeur automobile britannique. Car, manifestement, la firme de Longbridge semblait convaincue que ne serait-ce que jeter un coup d’oeil sur ce qui se faisait au même moment chez la concurrence ou faire réaliser une étude des attentes de la clientèle américaine était une perte de temps et d’argent ! Comme d’être persuadé de la supériorité écrasante de la culture et de l’industrie de l’Empire britannique face à ces rustres de Yankees pour en arriver quasiment à croire qu’il pourrait leur vendre « tout et n’importe quoi » en pensant que, de toute façon, cela se vendrait comme des petits pains !

La désillusion sera grande pour Austin, laquelle, choisissant alors de mettre son orgueil de côté et de faire preuve de sagesse en changeant alors son fusil d’épaule. C’est-à-dire en choisissant, tout simplement, de faire comme les autres, en s’associant à Donald Healey afin de proposer à la clientèle un petit roadster sportif comme le voulaient les Américains. Ce qui donnera naissance, en 1954, au roadster 100 Six, qui sera le premier modèle d’une nouvelle lignée de modèles parmi les plus célèbres de l’histoire des roadsters britanniques : les Austin-Healey.

Texte Maxime Dubreuil

Photos Droits Réservés

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1 COMMENTAIRE

  1. Comme cette Austin Atlantic, quelques constructeurs montaient un unique phare antibrouillard au centre de la calandre à cette époque, notamment Panhard pour sa Dyna Z. D’autres comme Renault, sur la version « Luxe » de sa 4 CV, le fixait sur le coté droit pour mieux voir la limite de la route. Le montage d’un unique phare antibrouillard fut interdit par mesure de sécurité car, dans le brouillard, on pouvait penser qu’il s’agissait d’un deux roues.

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