VELOREX - L'insecte venu de l'Est.

VELOREX – L’insecte venu de l’Est.

Contrairement à ce que l’on a longtemps cru, l’industrie automobile des pays de l’Est, à l’époque de la Guerre froide et des régimes communistes, ne se limitait pas toujours aux grands constructeurs produisant à la chaîne des voitures bon marché, bien qu’à la qualité de construction et à la fiabilité souvent très perfectible.

En dépit du système d’économie planifiée qui régentait l’automobile, comme l’ensemble des domaines de l’industrie des pays de l’Est qui ne leur laissait guère de liberté ni de marge de manoeuvre, plusieurs « artisans-constructeurs » sont parvenus à se faire une place et à exister (bien que parfois difficilement) dans l’ombre des « géants » de l’industrie locale. Ceci, en ayant souvent su percevoir ou profiter des failles du système étatique ou en s’inscrivant dans des marchés « de niche », où les règles édictées par le pouvoir en place étaient beaucoup moins strictes.

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Ce fut notamment le cas, dans l’ancienne Tchécoslovaquie des frères Frantisek et Mojmir Stransky. Ces derniers avaient ouvert, à Parnik, une localité située près de la ville de Ceska Trebova (à l’est de Prague), un atelier spécialisé, à l’origine, dans la réparation de vélos. S’intéressant aussi bientôt au domaine de la moto, ils créent, en 1943, le prototype d’un véhicule à trois roues. Celui-ci, surnommé « Oskar », est, avant tout, simplement une moto habillée d’une carrosserie au dessin et à la construction assez sommaire, permettant à son conducteur ainsi qu’au passager de se déplacer avec un peu plus de confort et de stabilité qu’avec un deux-roues classique.

Ayant, manifestement, puisé son inspiration dans le plus célèbre des engins à trois roues de ce genre, à savoir le Morgan britannique, celui créé par les frères Stransky est constitué d’une légère ossature composée de tubes d’acier, sur laquelle est fixée des panneaux fabriqués à partir d’étoffe de lin. Malgré l’aspect assez rustique de l’engin, celui-ci offre toutefois le grand avantage à ses deux occupants de pouvoir se déplacer par tous les temps, sans craindre de finir ainsi détremper par les intempéries. Sans doute est-ce par que les frères Stransky étaient beaucoup plus familiarisé avec l’univers des motos qu’avec celui de l’automobile ou que le Velorex n’avait jamais eu pour ambition d’être chose qu’une moto carrossée et équipée d’une troisième roue ? En tout cas, tous les éléments mécaniques qui l’équipent proviennent de la firme CZ (qui est alors, avec Jawa, le principal constructeur de motos en Tchécoslovaquie), tout comme les roues. Il est motorisé par un deux-temps de 150 cc.

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En dépit du contexte économique et industriel extrêmement difficile de l’immédiat après-guerre, où, dans la Tchécoslovaquie qui vient à peine de retrouver son indépendance après la chute du régime nazi en Allemagne, comme ailleurs, tout ou presque est à reconstruire, les frères Stransly parviennent néanmoins à se lancer dans une petite production de leur engin. C’est ainsi qu’une douzaine d’exemplaires sont réalisés dans les derniers mois de l’année 1945. En plus de la mécanique CZ prévue à l’origine, certains d’entre-eux seront aussi motorisés par des moteurs PAL de 300 cc ou par un Jawa de 250 cc. Le choix des motorisations montées sur les Velorex se faisant, avant tout, en fonction de ce que ses créateurs ont sous la main.

Les usines de fabrication de motos comme celles-ci d’automobiles ayant été, en grande partie, détruite ou pillées à la fin de la guerre, lors de la débâcle de l’armée allemande face à l’avancée des troupes russes, se procurer même un « simple » moteur de moto pas toujours chose aisée. Il est d’ailleurs probable que certains des moteurs montés sur les premiers Velorex aient été récupérées sur des anciennes motos utilisées puis abandonnées par les forces de l’Axe et démontées pour en récupérer les pièces.

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Au départ, la production du Velorex reste assez limitée, sa production venant en effet en complément de l’activité de vente et de réparation de motos du garage des frères Stransky. Devant le succès, certes d’estime mais néanmoins réel, remporté par leur création, qui semble incarner un moyen idéal et bon marché de profiter de tous les avantages d’une moto sans la plupart des inconvénients, les deux frères envisagent alors rapidement d’en lancer la production sur une plus grande échelle.

Malheureusement pour eux, le nouveau contexte politique et économique qui se met en place dans le pays, avec la prise du pouvoir par les communistes en février 1948, ne leur laisse que peu de perspectives. L’ensemble de l’industrie ayant déjà été nationalisé trois ans plus tôt, en octobre 1945. Au sein de cette nouvelle économie planifiée, où chaque constructeur se voyait attribué un secteur d’activités et un ou des types de véhicules bien précis à produire, il apparaît donc assez difficile au duo de pouvoir produire le Velorex en série.

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Toutefois, en examinant attentivement le nouveau programme de production établi par le régime, ils réalisent qu’un secteur reste inoccupé : celui des véhicules pour invalides. C’est lors d’une exposition spécialement réservée à ce genre d’engins que le Velorex fera sa première apparition publique et que les frères Stransy parviennent à nouer des contacts avec Velo, une entreprise d’Eat installée à Hradec Kralove. C’est dans une ancienne usine de meubles de cuisine, située non loin de là, à Solnice, que sera mise en place, dès l’année suivante, la production en série du Velorex. Rebaptisé Velorex Oskar 54, il est à présent motorisé par un monocylindre deux temps refroidi par air de 250 cc, provenant des motos Jawa.

Sa production, probablement du fait qu’il s’agit d’un véhicule destiné à un « marché de niche » comme des capacités de production sans doute assez limitées de l’usine reste néanmoins assez limitée et ne dépasse guère les 180 exemplaires en 1952. Deux ans plus-tard, celle-ci fait toutefois un bond significatif, puisque les quatre-vingts ouvriers de l’usine réussissent à en produire une quarantaine d’exemplaires par mois. Proposé à un prix « plancher », il rencontre rapidement le succès, non seulement sur le marché tchécoslovaque mais aussi au sein de plusieurs des « pays frères » voisins. Il sera ainsi exporté en Pologne, en Allemagne de l’Est, en Hongrie et jusqu’en Bulgarie.

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En janvier 1954, Frantisek Stransky trouve, malheureusement, la mort, à l’âge de quarante ans, lors d’une séance d’essai d’un prototype. Son frère Mojmir, quant à lui, sans doute parce qu’il ne partageait guère l’idéologie et qu’il n’appréciait guère non plus l’autoritarisme du pouvoir communiste, refusant d’adhérer au Parti, sera licencié l’année suivante.

Si l’aventure du Velorex se poursuit donc, désormais, sans les frères Stransky, celui-ci voit sa production augmentée de manière significative au fil des années. Rebaptisé Velorex Oskare n 1956, puis Velorex « tout court », il ne connaîtra toutefois que des évolutions minimes au court des années. En 1954, la capote est , ainsi, légèrement agrandie, le système d’éclairage intérieur est amélioré et la boite de vitesses est maintenant équipée d’une marche arrière et, l’année suivante, il reçoit de nouvelles de taille plus réduite. Si certains Velorex ont bénéficié d’une mécanique plus puissante de 350 cc, cette version spéciale ne fut toutefois jamais proposée en série.

C’est à la fin des années 50 que la production du Velorex atteint son point culminant, avec 120 exemplaires qui sortent ainsi chaque mois de l’usine. Si une nouvelle usine est ouverte, en 1961, à Rychnov, afin d’assurer la production de certains éléments, l’assemblage final du véhicule continue toujours d’être réalisé à Solnice.

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Proto 1960

En 1963, le modèle original est remplacé par deux nouvelles versions, qui reçoivent les dénominations 16/175 et 16/350. La première, commercialisée au mois de janvier, recevant un moteur CZ de 175 cc et la seconde, dont la production débute en juin  de la même année, un moteur Jawa de 350 cc. Ce dernier deviendra bientôt le seul disponible au catalogue. (Le Velorex 175, jugé sous -motorisé, même pour un engin de ce type, n’aura été construit qu’à 800 exemplaires à peine).

Malgré une modernisation technique intervenue en 1968, avec, entre autres, le montage d’un nouvel embrayage à commande hydraulique ainsi que celui d’un nouvelle suspension arrière deux ans plus tard. S’il conserve une popularité certaine dans son pays natal, la production du Velorex commence toutefois à marquer le pas. Indépendamment du fait que sa conception comme son aspect commencent à apparaître quelque peu désuets, le Velorex ne correspond plus vraiment aux attentes et aux besoins de la plupart des motards ou automobilistes tchèques. Même si le pouvoir d’achat de la majorité des citoyens tchécoslovaques restent nettement inférieurs à ceux des Occidentaux, le niveau de vie s’améliore sensiblement en cette fin des années soixante, avec, notamment, l’émergence du marché de la voiture d’occasion. La plupart des citoyens Tchèques et Slovaques préférant, dès lors, s’acheter une Skoda ou une Lada de seconde main, bien plus performante, plus habitable et aussi plus valorisante.

Les ventes commencèrent, dès lors, à se tasser et la production du Velorex prend finalement fin en novembre 1971, après presque 16 700 exemplaires. Ce qui peut sembler, finalement, assez peu mais il faut se rappeler que le Velorex était, à l’origine, un véhicule destiné, avant tout, aux invalides (même si, au final, ses acheteurs ne furent pas tous – loin s’en faut – des personnes handicapées) et qu’il n’était donc possible de l’acquérir que sous certaines conditions. Sans compter que les capacités de production de l’usine de Solnice étaient à cent lieux de celles de Skoda.

Ayant finalement compris que, même au sein de la production des pays de l’Est, le sympathique coléoptère qu’était le Velorex apparaissait désormais quelque peu anachronique, les responsables de l’usine de Solnice décide de faire étudier et mettre en production un nouveau modèle d’aspect plus moderne et comportant désormais quatre roues au lieu des trois du Velorex. Au début des années soixante, celle-ci avait déjà conçu le prototype destiné, à terme, à remplacer, en tout cas à terme, le Velorex. D’aspect beaucoup plus moderne et aussi plus esthétique que ce dernier et qui, surtout, le font véritablement ressembler à une vraie automobile. (La carrosserie en matière plastique recevait d’ailleurs un pare-brise emprunté à la Skoda Octavia). Equipé d’un moteur de 350 cc lui permettant d’atteindre les 80 km/h. Si plusieurs exemplaires en furent réalisés, ce prototype, qui aurait pu remplacé le Velorex restera finalement sans suite.

VELOREX 435

Un mois à peine après la fin de la production de la création des frères Stransky, le modèle d’une nouvelle génération de véhicules pour invalides était toutefois mis en production. Recevant l’appellation Velorex 435, cette voiturette est habillée d’une carrosserie à deux portes dotée d’un toit découvrable. Comme celle qu’elle remplace, elle reçoit, elle aussi, un moteur d’origine moto. En l’occurence, un Jawa de 350 cc et 17 chevaux. Situé un cran au-dessus du Velorex en terme de taille, elle est (évidemment) plus lourde et accuse 380 kg sur la balance. En plus d’une consommation en hausse (6 litres au 100 km, soit, là aussi, presque deux fois que le Velorex) et son prix est, lui aussi, nettement supérieur. Bien qu’équipée d’une carrosserie plus habitable et plus « actuelle » que le Velorex, celui-ci semble avoir négliger toute véritable notion d’esthétique, celle-ci ne rencontrera guère de succès. Tant et si bien que sa production sera arrêtée moins de deux ans plus tard, en 1973, après que 1 380 exemplaires seulement en aient été construits. Une version amléiorée, connue sous la dénomination 435-D, dotée d’une carrosserie plastique sera étudiée mais elle demeurera un prototype sans lendemain.

Après la disparition du Velorex 435, l’usine de Solnice abandonne alors la production des véhicules pour invalides et se reconvertit dans celle de pièces détachées pour automobiles. Elle est d’ailleurs toujours en activité aujourd’hui et travaille notamment comme sous-traitant pour Skoda.

Est-ce à cause de leur allure de « gros insecte », parce qu’il permit à de nombreux citoyens tchécoslovaques de l’époque d’acquérir leur premier moyen de transport individuel ou encore qu’il fait partie des engins qui incarne le mieux l’inventivité des artisans-constructeurs locaux ? En tout cas, le Velorex imaginé par les frères Stransky conservera toujours une très grande popularité dans l’ancienne Tchécoslovaquie. La plupart des propriétaires ayant d’ailleurs pris grand soin de leurs engins, les faisant ainsi bénéficier d’un entretien (et parfois même d’une restauration intégrale) qui n’est guère courant pour ce genre de véhicule. A tel point que dans les années 90, juste après la chute du rideau de fer, il n’était pas rare d’en croiser dans les rues de Prague ou de Bratislava. Selon un recensement réalisé à l’époque, pas moins des deux tiers des Velorex produits entre 1951 et 1973 étaient toujours en circulation.

Philippe Roche

Photos DR

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