GTD 40

C’est, non sans une pointe de fierté, l’œil brillant, les photos sur le téléphone portable à la main, que j‘interpelle amis et famille. Passés les premiers signes d’enthousiasme, sincères pour certains, polis pour d’autres, c’est toujours la même question qui revient, pleine de suspicion : “C’est une vraie ?” Non, évidemment non. ‘Faut pas rêver. À moins de connaître un riche pilote britannique (pour l’élégance), d’être son fils ou sa fille, d’avoir ses entrées dans les paddocks des nombreux événements historiques ou d’être simplement en train de rêver, on ne conduit pas une vraie GT40 aussi facilement. Malgré tout, cet aveu de “supercherie” ne me laisse pas de goût amer. La réplique de GT40 que j’ai eu la chance de conduire est une GTD40, une copie dont le sérieux est unanimement reconnu. Alors, certes, je n’ai toujours pas eu l’opportunité de piloter ce monstre sacré de l’automobile qu’est la mk1 de 1965, mais grâce à cette copie, j’en ai eu un bel aperçu.

GTD, pour GT Developments Ltd, est une société basée en Grande-Bretagne qui fabriquait des répliques de GT40 depuis 1985. Cette réplique était l’évolution d’un autre kit-car, la KVA, moins fidèle et moins performante que la GTD. En difficulté dès la fin des années 90 et après quelques tentatives de reprise, la société fut liquidée au début des années 2000, laissant un grand nombre de commandes non honorées.

La GTD40 de cet essai date de 1988. J’avais eu l’occasion de voir sa photo passer sur les réseaux sociaux car elle est actuellement exposée dans le showroom de nos amis Paul et Anaïs de chez Paul’s Classic Cars. Lors de Retromobile 2019, elle était visible sur leur stand. Ne pouvant résister, j’avais demandé, timidement, si je pouvais m’assoir à son volant. Puis, j’avais osé prendre rendez-vous pour l’essayer. C’est ainsi que 4 jours plus tard, Julie et moi sommes arrivés à Gouville-sur-Mer, avec la même excitation que des enfants sur le parking de Disneyland. Après les salutations d’usage et un tour de propriétaire, on nous amène devant la GTD et, sans plus de cérémonies, Paul nous indique que les clés sont sur le contact et part vaquer à ses activités professionnelles.

Premier contact

Quelque peu intimidé, il est vrai, par la bête tapie devant moi, je commence par l’observer afin d’en appréhender les contours. La qualité de fabrication est au rendez-vous. Alors que l’on reconnait souvent les répliques par l’approximation plus ou moins grossière de leurs lignes, ici, aucun défaut ne me saute aux yeux. Pour avoir approché de vraies GT40, le dessin de la GTD40 m’apparaît très réussi. Le diable se niche dans les détails, dit-on, pourtant même les poignées de portes encastrées me paraissent conformes au modèle. Les écopes d’extraction d’air chaud qui percent le capot avant sont bien dessinées, les arrêtes sont nettes. De part et d’autres, deux gros bouchons à loquets obstruent les goulottes des réservoirs d’essence, situés dans les bas de caisse, comme c’est le cas sur une GT40. Les vitres latérales, en Perspex, sont vissées. Entorse à l’origine, toutefois, un œil aiguisé remarquera les faux écrous centraux des roues boulonnées, détail qui ajoute cependant au réalisme visuel de l’auto.

Vient le moment, tant redouté, de me mettre au poste de pilotage, situé à droite. La place y est comptée. Ayant frôlé le ridicule, à Retromobile, m’y reprenant à 2 fois, j’ai eu le temps de réfléchir à la bonne stratégie. Les coudes posés à plat sur le toit de la voiture, évitant de monter à pied joint sur un siège qui ne m’appartient pas, je me laisse glisser à la force des bras. Mon arrière-train trouve sa place dans les sièges en cuir perforés rivetés, du plus bel effet, tout à fait similaires à ceux que j’ai pu voir dans les GT40 du Mans Classic. Les jambes allongées sous le volant qui ne permet aucune tentative de flexion du genou droit, j’essaie de trouver les pédales mais mes orteils ne rencontrent que le vide. Un rapide coup d’oeil et je les aperçois, décalées vers le centre de la voiture. Le siège est fixe, non réglable et manifestement conçu pour quelqu’un légèrement plus grand que moi. Je ne suis pas Dan Gurney, il va falloir s’y faire. Je finis par trouver la bonne position, attrape la poignée intérieure de la portière qui se referme du premier coup, dans un “cloc” précis ; un instant assez angoissant où l’on voit le haut de cette portière passer très près de la tête. Je vérifie que Julie, à qui l’on doit les photos de cet article, a bien pris place dans le siège à ma gauche. Puis j’observe l’alignement de cadrans devant moi. Tout y est : un compteur de vitesse relégué loin à gauche du volant, puis les deux sondes de niveau d’essence, un voltmètre, un thermomètre de liquide de refroidissement et enfin le tachymètre moteur, bien en face du regard. Une série de basculeurs et de voyants vient compléter une planche de bord déjà bien encombrée, quoique bien organisée.

On lâche les chevaux

Clé de contact au premier cran, le voyant de frein à main m’indique que la batterie est branchée. Je démarre, aléatoirement, l’une des deux pompes à essence Facet qui émet instantanément son crépitement habituel. J’attends quelques secondes que la cuve du carburateur se remplisse. J’enfonce la pédale d’embrayage afin de soulager un peu le démarreur, prend une profonde inspiration et tourne la clé de contact sur “ignition”. Immédiatement, le moteur, situé juste derrière moi, prend vie dans un grondement rageur, tel une bête assoiffée d’essence et de grand air. Je laisse le moteur chauffer quelques secondes, profitant des gargarismes du V8, boucle mon harnais 4 points, puis j’enclenche la première vitesse. Tout du moins, j’essaie d’enclencher cette foutue vitesse car s’il faut trouver un défaut à cette réplique, c’est bien sa grille de boîte. Grosse entorse au modèle original, cette copie n’est pas équipée de la boîte de vitesses ZF 5DS-25 de son illustre modèle. Ici, c’est une boîte de Renault 30 qui est installée, la ZF n’étant plus produite. Habituellement accouplée au V6 PRV, elle est reconnue pour sa solidité. Gageons qu’en effet, elle encaisse le couple développé par ce V8 Ford de 5 litres. Après une paire d’essais infructueux, la première vitesse se décide enfin à coopérer. Je relâche l’embrayage qui patine progressivement et la voiture s’ébranle enfin. Il faut quelques kilomètres pour s’habituer à cette position de conduite lorsqu’on est novice. Les rétroviseurs extérieurs ne reflètent que les larges ailes. Quant au miroir central, son champ de vision est entièrement accaparé par l’imposant filtre à air du moteur. Au moins, la présence de ce dernier ne peut être mise en doute, on ne voit que lui. Et sûrement pas la route. Quelques dizaines de mètres plus loin, la seconde vitesse de cette grille inversée se verrouille sans trop de soucis, bien que sa position soit aussi floue que celle de tous les autres rapports. Moteur chaud, il est temps d’appuyer un peu, histoire de se faire une petite idée de ce qu’il a dans le ventre. Et je suis servi. Sur ces petites routes de la Manche, la seconde vitesse m’emmène bien au-delà de 120km/h et de ce que la raison m’autorise à tenter. Dans ces régimes, le V8 Ford est à son aise. Autant on le sent “étriqué” à bas régime, autant passé 3000 tours, il chante et propulse la GTD sans sourciller. Les accélérations sont aussi linéaires que brutales. Le freinage, non assisté, manque par conséquent de mordant mais, à sa décharge, je n’ai pas eu l’occasion de monter les disques à leur température de fonctionnement. À noter, toutefois, que la position de conduite rend difficile l’appui de la pédale de frein par le pied droit, les déplacements de la jambe étant gênés par le volant, pourtant de petit diamètre. La direction est précise et offre une bonne remontée des sensations de conduite.

Les premiers tours de roue sont difficiles. Puis, contre toute attente, on s’habitue, on commence même à se sentir à l’aise. On se prend à pousser le pied droit, aussitôt gratifié d’un rugissement rageur du V8 qui, immanquablement, dessine un large sourire sur le visage de votre humble serviteur. Quel jouet ! A la faveur d’une portion de nationale dont la visibilité confirme l’absence de trafic, j’enfonce la pédale, en seconde et la cavalerie est lâchée en une charge épique. Sans mouvement de caisse parasite, le tempérament, jusque-là placide voire malhabile, de la GT, se mue en une bête de course. La magie opère et pour un instant, un instant seulement, on est au Mans en 1966. Le châssis, dont les suspensions copient celles de la GT40, est d’une rigueur exemplaire sur cette route sèche. S’il n’y avait le risque de croiser une voiture de bon(ne) père/mère de famille qui mettrait irrémédiablement fin à la rêverie, ainsi qu’à l’intégrité de la GTD40 par manque de freinage d’urgence, on ne se lasserait pas d’enfiler les courbes et de pousser toujours plus vite. Après quelques kilomètres à jouer au pilote du Mans, avec la bande son du V8 dans les oreilles – et dans la tête un speaker imaginaire qui diffuserait le commentaire tout aussi imaginaire de cette course improvisée contre des adversaires invisibles et d’un autre temps – je ramène la voiture au paddock, comprenez le garage de Paul’s Classic Cars. Je m’extraie sans aucune grâce du cockpit de la voiture, un peu pâle, la main tremblante… Diantre, ça déménage, 300ch pour moins d’une tonne !

Lorsque l’on ouvre l’immense capot moteur, dévoilant une mécanique brute, sans fioriture, on est immédiatement ébahie par les tubes d’échappement qui tracent leur route de la manière la plus simple et directe vers l’extérieure. Ces tubes rejoignent un petit silencieux via un 4-en-1 par côté. Les silencieux sont recouverts d’une plaque pare-chaleur en inox. Sur notre modèle, le moteur est un V8 Ford de 5 litres (289ci) qui arbore de jolis cache-culbuteurs siglés “Ford Motorsport”. Sous le filtre à air, un carburateur Holley remplace les cônes d’admission qui alimentent les carburateurs Weber 48 des vrais GT40. Il ne m’a pas été possible de connaître le niveau de préparation du modèle testé mais les pièces “performance” pour les blocs Ford sont légion et le comportement hésitant du moteur à très bas régime me fait penser que des arbres à cames affutés ont été montés.

Sous le capot avant, on trouve un radiateur équipé de deux ventilateurs électriques. Vissés à la cloison pare-feu, les maîtres cylindres d’embrayage et de freins sont sans assistance. L’équilibrage avant/arrière du freinage est réglable, comme sur toute voiture de course qui se respecte et se fait en déplaçant une tige au niveau des pédales dans l’habitacle. L’architecture des suspensions est reproduite à l’identique des vrais GT40 mais comporte des éléments de la grande série. Ainsi, les moyeux avant sont issus des Ford Granada, tout comme les disques et étriers de frein avant et arrière, ce qui permet de réduire les frais d’entretien tout en assurant une qualité de freinage tout à fait convenable. Les suspensions, à l’avant comme à l’arrière, sont assurées par des combinés filetés, permettant au propriétaire de régler leur hauteur et leur dureté selon ses préférences.

Et c’est là tout l’intérêt de cette formidable réplique : prendre le temps de peaufiner les réglages et aller battre son propre chrono sur circuit. Le côté indéniablement “pas pratique” de la voiture lui empêche toute utilisation quotidienne, bien évidemment, et ses performances hors normes ne peuvent être exploitables que sur circuit. La qualité de fabrication de cette GTD40 ainsi que le respect de la philosophie de la vraie GT40, la rendent éligible à bien des événements. D’ailleurs, un arceau de sécurité et un extincteur témoignent de la vocation de l’auto. C’est sur piste qu’elle sera à l’aise et apte à distiller toute sa quintessence. Elle était d’ailleurs inscrite au Classic Days 2019.

Texte et photos : Retromotive.com https://retromotiv.com/

Un autre américaine ici https://www.retropassionautomobiles.fr/2020/04/mustang-au-pas-au-trot-au-galop/

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici