BUGATTI TYPE 55 – Le petit pur-sang qui avait tout d’un grand.

C’est en 1932 (qui sera, en tout cas en Amérique, l’année la plus noire de la Grande Dépression) que sera dévoilé celui qui prend alors la succession du Type 43, la Bugatti 55. Comme cela avait déjà été le cas pour le Type 51 par rapport au Type 35 ou du Type 50 qui a remplacé le Type 46, le nouveau modèle Type 55 incarne ce que l’on pourrait appeler « le changement dans la continuité ». Suivant ainsi l’exemple de la plupart de ces derniers, celui-ci accueille sur son châssis un moteur qui, à l’origine, n’avait pas été conçu pour lui. En l’occurrence et bien qui dicté, encore une fois, par des contraintes d’ordre financier, le choix fait par Ettore et Jean Bugatti n’est pas le plus mauvais, bien au contraire. Puisque ce n’est rien moins que celui du Type 51, dans une version, certes, quelque peu « dégonflée », puisque la puissance a été ramenée de 180 à seulement 135 chevaux. Même chose pour le châssis, puisqu’il s’agit de celui qui avait été conçu pour une autre voiture de Grand Prix de la marque, le Type 54 (qui était d’ailleurs lui-même, en réalité, une version rallongée du châssis du Type 50) qui ne connut, il faut l’avouer, en compétition, qu’une carrière assez « météorique »).

Comme il l’avait fait, l’année précédente, pour le Type 50 et bien que le châssis du nouveau Type 55 soit d’une taille autrement plus réduite, le jeune Jean Bugatti va donner ici toute la mesure de son talent en traçant les lignes d’un roadster, qui, par la réussite de celle-ci, permettront à la Bugatti 55 d’incarner, en cette première moitié des années 1930, l’archétype du roadster à la française (à l’image de celles des MG TC et TD pour leurs homologues anglais quelques années plus tard). (Elle sera aussi proposée au catalogue en carrosserie coupé, moins pure de lignes, toutefois, tant s’est bien quand elle est dépourvue de toit que la Bugatti 55 est la plus pure de lignes). Une carrosserie à l’allure d’autant plus sportive avec ses flancs échancrés, sans portières ainsi que le dessin des ailes en forme de vague. Si les commentaires de la presse automobile de l’époque (qui ne se distinguaient alors pourtant pas vraiment par une neutralité ainsi qu’une objectivité absolue, bien au contraire puisqu’il était alors de coutume pour beaucoup de constructeurs de verser des « dessous de table » afin d’obtenir des articles élogieux sur leurs modèles dans celle-ci) furent quasi unanimes pour en saluer la réussite, non seulement au sein de la presse automobile française, mais aussi celle de l’étranger.

S’il est vrai que son prix de vente n’est alors pas vraiment « donné » (120 000 francs lors de son lancement, soit pas moins de six fois le prix d’une populaire Renault Vivaquatre), au vu du soin apporté à sa construction ainsi que des performances auxquelles elle peut prétendre, la nouvelle sportive du constructeur alsacien se situe alors dans la moyenne des prix pratiqués pour ce genre de modèles, la plupart de ses rivales de l’époque n’étant guère meilleur marché. Avec la crise économique qui, tout comme aux Etats-Unis, s’installe durablement en Europe, les temps deviennent cependant assez durs, pour Bugatti comme pour la plupart des autres constructeurs de voitures de sport. En Angleterre, Walter Owen Bentley se voit ainsi obligé de céder la marque portant son nom à Rolls-Royce, aux Etats-Unis, les marques Auburn, Duesenberg, Stutz ainsi que beaucoup d’autres disparaîtront au cours de cette décennie. Si un grand nombre des marques de sport et de prestige se retrouvent ainsi logées à la même enseigne, toujours est-il qu’à Molsheim, une bonne partie des cadres de l’usine (et Ettore Bugatti lui-même aussi, sans doute) ont commencé à regarder avec inquiétude les comptes plongés de plus en plus fortement dans le rouge.

Dans ces conditions, le constat conclu, quelques années plus tard, avec les compagnies de chemin de fer et l’Etat français, pour la fourniture des moteurs destinés à équiper un nouvel autorail rapide représentera une manne bienvenue et sera même sans doute vu, par les comptables de Molsheim, comme une manne presque inespérée émanant de la Providence. Les moteurs en question fournis par Bugatti n’étant autre que ceux destinés, à l’origine, à la Royale. Suite à l’échec commercial de son imposant Type 41 (dont Ettore Bugatti avait ambitionné de faire, comme l’indiquait son surnom, la voiture des têtes couronnées, mais dont seuls trois exemplaires, en tout et pour tout, seront vendus neufs à l’époque, sur les sept construits), le constructeur alsacien (même s’il avait prévu, dès la genèse de celle-ci, de ne la produire, volontairement, qu’à un nombre très limité d’exemplaires) se retrouvant alors avec un stock important de moteurs inutilisés et donc invendus sur les bras. Cherchant alors un moyen de renflouer les finances de l’usine et constatant que la grande souplesse ainsi que la fiabilité de la mécanique de la Royale pourrait lui permettre de connaître d’autres utilisations que sur une voiture de prestige, il entreprend alors, en 1932, l’étude de cet autorail rapide dont le premier exemplaire sera livré l’année suivante à la Compagnie des chemins de fer de l’Etat. Au total, 88 exemplaires de cet autorail rapide seront finalement réalisés. Une reconversion inattendue pour cette mécanique « royale » qui apportera ainsi une bouffée d’oxygène aussi importante que bienvenue en sauvant ainsi le constructeur alsacien rien moins que d’une faillite qui, sans cela, serait, probablement, advenue de façon assez rapide.

Il est vrai que ce ne sont pas la quarantaine d’exemplaires qui sortiront des ateliers de l’usine de Molsheim jusqu’en 1934 qui auraient permis à la marque d’engranger un chiffre d’affaires conséquent (il semble que les ultimes exemplaires aient été vendus l’année suivante, mais il s’agissait sans doute de châssis produits antérieurement et restés invendus jusqu’ici). Les autres modèles présents au catalogue, les Type 49 et 50 ayant, eux aussi, de leur côté, de plus en plus de mal à trouver leur public. Ce qui incitera finalement Ettore et Jean Bugatti à réorienter, de manière assez profonde, la production de l’usine ainsi que la politique commerciale de la marque. C’est en 1933 que sera présenté celui destiné à prendre la succession du Type 49, la Bugatti Type 57, laquelle deviendra, dès la fin de l’année suivante, le seul modèle disponible au catalogue. Les Types 50 et 55 disparaissant alors sans laisser de descendance (en tout cas directe) au sein de la gamme. Bugatti opère alors un changement assez radical en adoptant désormais la politique du modèle unique (même si la 57 connaîtra néanmoins quatre versions de routes différentes : « standard », S, C et SC, sans compter celles spécialement conçues pour la compétition). Une politique que le constructeur poursuivra jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le Type 57 symbolisant (bien qu’a posteriori) les derniers feux de l’époque des Bugatti « père et fils ».

Philippe ROCHE

Photos Wheelsage et Wikimedia

Une autre Bugatti https://www.retropassionautomobiles.fr/2025/06/bugatti-type-51-pur-sang-alsacien-cherche-un-nouveau-souffle/

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici