COTTIN & DESGOUTTES - Tandem lyonnais.

COTTIN & DESGOUTTES – Tandem lyonnais.

C’est en 1904 que Pierre Desgoutte, qui avait débuté sa carrière dans l’industrie automobile huit ans plus tôt, en 1896, à l’âge de vingt-deux ans, non seulement, comme dessinateur, mais aussi comme mécanicien, au sein de la firme Audibert et Lavirotte et ensuite comme ingénieur chez Berliet, se décide à sauter le pas. Celui que beaucoup d’autres qui, eux aussi, ont mis leurs compétences (dans le domaine de la mécanique ou sur le plan administratif) au service d’autres constructeurs avant de décider de se mettre à leur compte et donc de créer leur propre marque.

Contrairement à la grande majorité des constructeurs français, qui installeront leurs usines en région parisienne, Desgoutte, quant à lui, à l’image de Berliet et de Rochet-Schneider, choisit de s’installer à Lyon. Un choix qui aura une forte influence sur sa carrière en tant que constructeur, puisque c’est là que son chemin croisera, par la suite, celui de son futur associé dans cette aventure, Cyrille Cottin. La famille de ce dernier étant originaire de la région lyonnaise (bien qu’il soit né à Vevey, en Suisse. Desgoutte, de son côté, a vu le jour à Saint-Hilaire-sous-Charlieu, dans le département de la Loire).

Comme un grand nombre de constructeurs (y compris ceux qui connaîtront, par la suite, un destin glorieux), la firme connaîtra des débuts modestes, voire même assez confidentiels. Puisque son tout premier modèle, le Type A, qui affiche pourtant de grandes ambitions, puisqu’il s’agit d’une imposante six cylindres dont la mécanique affiche une cylindrée de 9,5 litres et une puissance de 45 CV, ne sera produit, en tout et pour tout, qu’à deux exemplaires. Ayant sans doute pris conscience qu’un modèle de cette taille représente, justement et d’une certaine façon, un pari sans doute trop ambitieux et donc, à ce titre, trop risqué et qu’il n’a pas encore véritablement les moyens de ses ambitions, Pierre Desgoutte (parfois aussi orthographié avec un « s » à la fin du nom, c’est pourquoi il choisira cette dernière solution lorsqu’il se lancera dans l’aventure automobile) décide de revoir celles-ci sensiblement à la baisse. Pour se pencher, cette fois-ci, sur la conception d’une quatre cylindres de 24/40 CV qui sera exposée sous la verrière du Grand-Palais à Paris lors du Salon automobile (lequel ne se déroule pas encore au mois d’octobre, mais en décembre).

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C’est quelques mois après cet événement que la route de Desgoutte croise celle de Cyrille Cottin. Ses frères aînés sont destinés à reprendre, par la suite, l’entreprise de soieries familiale et y occupent déjà des postes clés. Cyrille Cottin (qui est le quatrième des sept enfants que compte la fratrie), se retrouvant, d’une certaine façon, « mis à l’écart » de celle-ci, décide de suivre une autre voie : celle de l’automobile. Outre sa fortune personnelle, il convainc également son épouse d’y investir une grande partie de la dot que celle-ci avait reçue au moment de son mariage, en persuadant également la plupart des membres de sa famille ainsi que de ses amis et relations au sein de la bourgeoisie lyonnaise d’en faire de même.

Les deux hommes formant un duo parfaitement complémentaire : Cottin avec son caractère dynamique et audacieux ainsi que son charisme et Desgoutte, de son côté, avec ses fortes compétences dans le domaine de la mécanique. Au sein de la firme : le premier assure la direction commerciale et le second le poste de directeur technique. Cyrille Cottin révélera également ses talents de pilote, en n’hésitant pas, à plusieurs reprises, à prendre le volant lors des épreuves auxquelles la marque participe, non seulement en France, mais aussi à l’étranger (en Suisse, en Afrique du Nord et, même, jusqu’en Australie).

Jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale, la plus grande partie de la production est constituée de modèles à quatre cylindres (une architecture qui, à l’époque, est souvent réservée aux voitures de grosse cylindrée, les modèles les plus populaires étant, quant à eux, de mécaniques mono ou bicylindre). Durant ces années de ce que l’on appelle la Belle Epoque, le « best-seller » de la firme est sans doute le Type 12/14 HP, motorisé par un 4 cylindres de 2 413 cc, qui sera produite sans évolution majeure durant quatre ans (alors que, chez la plupart des constructeurs, les modèles connaissaient souvent des évolutions, plus ou moins importantes, quasiment à chaque nouveau millésime). Même si, en cette fin des années 1900, le sommet de la marque est incarné par une quatre cylindres de 50/70 CV dont la motorisation atteint l’imposante cylindrée de 9 896 cc.

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En 1913 (l’année qui précède donc l’éclatement du conflit), les usines de la firme lyonnaise emploient environ 300 personnes (ouvriers et cadres confondus) et à produit au total, depuis sa création, près de 450 voitures (ce qui représente alors un beau score, en un temps où, en France, l’on ne connaît pas encore véritablement la production à la chaîne et où la plupart des étapes du processus de fabrication sont encore fort artisanales).

Si les deux associés se focalisent avant tout sur la fiabilité et la robustesse, il n’en néglige pas, pour autant, les innovations techniques, lorsque cela peut améliorer les performances de leurs voitures. C’est ainsi que les Cottin-Desgouttes adoptent, assez rapidement, le moteur monobloc, la boîte de vitesses à prise directe ainsi que la transmission par cardans, deux caractéristiques techniques dont un certain nombre des automobiles sont encore dépourvues.

Lorsque la guerre arrive, si l’entreprise se voit autorisée à poursuivre la production de ses voitures de luxe, il va sans dire que celles-ci sont presque toutes réservées aux officiers de l’état-major de l’Armée française. La firme diversifiant, toutefois, son activité avec la production de véhicules utilitaires, qui constituera l’essentiel de ses activités durant le conflit. Une fois celui-ci terminé, la société reprend, progressivement, sa production de voitures de luxe. La marque se montrant convaincue qu’elle peut envisager l’avenir et la nouvelle période qui s’ouvre avec une certaine sérénité : la clientèle est toujours là et (à l’image des autres classes sociales de la société française) souhaitent oublier au plus vite et définitivement les souffrances et les tourments endurés durant ces années de guerre.

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Outre sa très bonne image de marque, la firme Cottin-Desgouttes s’est équipée, lors des quatre années qu’ont duré les hostilités, afin de participer et de soutenir du mieux possible l’effort de guerre, de nouveaux outils de production très modernes. Cette même contribution à l’effort de guerre lui ayant également permis de garnir confortablement les caisses de l’entreprise. Si la marque met, donc, à nouveau, l’accent sur ses prestigieuses automobiles, elle décide, toutefois, de diversifier sa gamme vers le bas et poursuit, en parallèle, celle des utilitaires qui avait été initiée pendant la guerre.

La première Cottin-Desgouttes d’après-guerre, qui fut étudiée par Pierre Desgoutte à la fin du conflit, sera présentée à la Foire de Lyon (preuve de l’attachement de la marque à son berceau historique) dès 1919, soit moins d’un an seulement après la fin des hostilités. En dépit d’une fiche technique qui, sur bien des points, s’avère nettement plus moderne que la plupart de ses concurrentes ainsi qu’un excellent comportement routier, elle s’avère, toutefois, trop chère aux yeux d’une part importante de la clientèle visée. Il est vrai que la France vient à peine de sortir de la Première Guerre mondiale et que, sur le plan industriel et économique, comme d’un point de vue social, le pays n’a pas encore fini de panser ses plaies.

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Devant alors faire face aux plaintes émanant de ses actionnaires, Pierre Desgoutte décide alors d’accentuer la stratégie qu’il avait déjà ébauchée dans les derniers temps du conflit. A savoir, celle de ne plus se cantonner aux seules voitures de sport et de prestige, mais de proposer également des modèles, certes, peut-être moins ambitieux sur le plan technique, mais susceptible, toutefois, de séduire une clientèle plus large.

C’est en 1922 que celle que l’on peut sans doute considérer comme le premier vrai modèle populaire de la marque est dévoilé au public. Recevant la dénomination de Type M, auquel est ajouté le nom d’Endurance (afin de mieux, ainsi, mettre l’accent sur sa robustesse). En outre, celui-ci peut aussi se prévaloir d’être plutôt sobre en carburant et de ne nécessiter qu’un entretien basique au niveau de ses organes mécaniques. Autant de qualités que le constructeur ne se prive, évidemment, pas de mettre en avant dans ses publicités. Ainsi que le fait qu’elle est la première voiture française à bénéficier de freins sur les quatre roues (jusqu’à présent, toutes les voitures n’étaient équipées que de freins sur les seules roues arrière).

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L’Endurante sera, toutefois, le dernier modèle de la marque conçu par Pierre Desgoutte, lequel décide, en effet, peu de temps après la présentation de cette dernière, de quitter la firme. Ce départ ne modifie, cependant, en rien le nom de la marque. Cyrille Cottin, qui, de son côté, reste, toutefois, à la direction des affaires et confie alors le poste occupé auparavant par son ancien associé à Paul Joseph.

Le succès commercial remportée par l’Endurance incitant alors Cottin et Joseph, de lancer, dès l’année suivante, deux nouveaux modèles afin de pouvoir, ainsi, capitaliser, ainsi, sur la nouvelle et très bonne publicité faite par l’Endurance. Le premier étant une six cylindres de 18/20 ch et le second, bien que dérivé du Type M, se montre nettement plus ambitieux, puisqu’il s’agit d’une 3 Litres qui, à l’origine, est, toutefois, destinée uniquement à la compétition. Ses excellentes performances (avec une vitesse de pointe de 150 km/h*) lui permettant de s’illustrer brillamment dans un grand nombre d’épreuves auxquelles elle participe. A l’image du Grand Prix de l’ACF à l’été 1924, où deux des voitures engagées réussiront à remporter les deux premières places dans leur catégorie. Ou encore de celle remportée à Montlhéry l’année suivante, où la Cottin-Desgouttes 3 Litres remportera les trois premières places, sans compter les nombreuses autres victoires remportées cette année-là.

Là aussi, Cyrille Cottin décidant alors de profiter de ces succès en compétition pour en dériver une version de route. Malheureusement, cette fois-ci, le succès ne sera pas véritablement à la hauteur des espérances, du fait d’un prix de vente jugé trop élevé par rapport à la plupart de ses rivales. Malgré ce revers, la firme prépare activement le lancement d’un nouveau modèle qui, sur bien des points, s’avérera inédit et assez révolutionnaire pour l’époque, celle qui sera baptisée la Sans Secousse.

C’est à l’automne 1925 que cette dernière fait son apparition. Avec ce modèle d’avant-garde, qui restera sans doute comme le chef-d’oeuvre de la carrière d’ingénieur automobile de Paul Joseph, ce dernier a prouvé, de manière éclatante que ses talents n’avaient sans doute rien à envier  à ceux de son prédécesseur, Pierre Desgoutte.

Un caractère avant-gardiste incarné, avant tout, par la suspension à quatre roues indépendantes à laquelle ce nouveau modèle doit son appellation. Il est vrai qu’à cette époque où, en Europe, les autoroutes sont encore du domaine de la science-fiction et où, aux quatre coins de la France (et en particulier dans les zones rurales) les routes goudronnées ainsi que bien entretenues ne sont pas toujours fréquentes. Cottin allant même jusqu’à affirmer que c’est, justement, afin d’offrir aux automobilistes français une solution et, donc, une voiture qui soit la plus efficace possible que la firme a conçu la nouvelle Sans Secousse.

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Celle-ci devenant, dès lors, le nouveau « porte-étendard » de la marque. Si c’est donc, avant tout, celle-ci est, bien évidemment, mise en avant par Cottin-Desgoutte dans ses campagnes publicitaires, au point que les autres modèles que la marque propose à son catalogue ne sont qu’à peine mentionnés, voire, dans certains cas, tout simplement oubliés. Dans cette seconde moitié des années 1920, celle-ci n’en continue pas moins à proposer, aux côtés de la Sans Secousse, des modèles à quatre et six cylindres qui restent, quant à eux, équipés de suspensions classiques.

A noter que, pour la conception ainsi que la production des moteurs qui équipent ses modèles, le constructeur lyonnais semble délaisser, de plus en plus, son propre bureau d’études ainsi que ses ateliers de fabrication au profit de la CIME (pour Compagnie Industrielles des Moteurs à Explosion, qui était établie à Fraisses, dans le département de la Loire). Les motorisations étant souvent, à l’époque, la partie la plus coûteuse (dans leur conception comme dans leur fabrication), il n’est guère étonnant qu’à l’image d’autres constructeurs, Cottin-Desgoutte préfère faire des économies et, donc, limiter ses dépenses dans ce domaine en faisant appel à un fournisseur extérieur. En tout état de cause, les mécaniques livrées par la CIME  outre le fait qu’elles donneront toute satisfaction à Cyrille Cottin, se montreront parfois aussi, sur certains points, plus modernes que ceux produits par la plupart des grands constructeurs. Il en sera ainsi du six cylindres créé pour le Type TA, qui bénéficiera, ainsi, d’une distribution à soupapes en tête (à une époque où, il faut le rappeler, les soupapes latérales restaient encore souvent la norme).

Si les modèles produits par Cottin-Desgoutte continuent à bénéficier, aussi bien auprès de la clientèle lyonnaise que dans le reste de la France, d’une très bonne image de marque, il faut, cependant, reconnaître que s’agissant des chiffres de production, la firme reste cantonnée dans la catégorie des seconds (voire même des troisièmes) couteaux. Concernant la Sans Secousse, la production n’atteint, en effet, qu’environ 240 exemplaires en 1926. L’on reste donc très loin des cadences de fabrication en vigueur chez Citroën, Peugeot, Renault et d’autres.

Si, à côté de ses voitures de tourisme et de grand tourisme, la marque produit également des poids lourds ainsi que des autobus, malheureusement pour elle, elle ne peut guère compter sur ceux-ci pour renflouer ses caisses, tant cette activité est devenue marginale. Là aussi, le marché se trouve, à présent et de plus en plus, dominé par la branche utilitaire des grandes firmes automobiles, ainsi que par les constructeurs spécialisés dans la production d’utilitaires en tous genres. Avec pour conséquence qu’à l’image d’autres firmes de taille similaire à la sienne, Cottin voit sa clientèle pour les camions et autobus se détourner de lui.

Comme ses devancières avant elle, la Sans Secousse saura aussi faire la preuve de son endurance, avec plusieurs très beaux trophées à la clé, notamment la victoire remportée par l’une d’entre)elles lors du Rallye Saharien (un périple s’étendant sur pas moins de 7 000 kilomètres), cette victoire n’aura, hélas, guère d’effets sur les ventes.

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Est-ce que l’attitude de Cyrille Cottin est due à un déni de la réalité (et donc des difficultés, de plus en plus importantes, qui assaillent la société) ? Ou du fait de son éternel optimiste ? Sans doute les deux à la fois. Toujours est-il que celui à qui la marque doit (en partie) son nom n’est pas encore résigné à déposer les armes.

C’est ainsi qu’au Salon de Paris de 1930, il dévoile le Type VB, lequel, en plus des quatre roues indépendantes héritées de la Sans Secousse, bénéficie également d’une transmission où les deux dernières vitesses (la 3e ainsi que la 4e) d’un dispositif silencieux ainsi que de freins hydrauliques conçus par la firme américaine Lockheed (une véritable innovation à une époque où la plupart des voitures, même celles de sport et de prestige, doivent encore se contenter d’un simple système à câbles). Le plus gros problème de ce nouveau modèle est qu’une fois encore, la hauteur de son tarif est à l’image de la modernité de sa fiche technique.

Or, son arrivée sur le marché tombe à un bien mauvais moment, puisque la crise économique qui a éclaté, tout juste un an auparavant, aux Etats-Unis commence alors à gagner l’Europe. Nombreux seront alors les constructeurs, en France comme dans d’autres pays d’Europe, à voir leurs ventes chuter rapidement et à devoir, bientôt, mettre, tout simplement, la clé sous la porte.

Si Cottin tente plusieurs rapprochements, d’abord avec un autre constructeur lyonnais, Rochet-Schneider (lequel abandonnera d’ailleurs bientôt la production des voitures pour se concentrer sur celle des utilitaires) ainsi qu’avec Delahaye et d’autres. Mais toutes ses négociations se révéleront (malheureusement pour lui) infructueuses. Dans une France dont l’économie est désormais en crise et où, pour cette raison, de nombreux Français doivent renoncer à l’achat d’une automobile, il est, dès lors, compréhensible qu’une Cottin-Desgoutte qui est vendue deux fois plus cher qu’une Citroën C6 (à la cylindrée et à la puissance pourtant comparables) n’ait plus guère de chances sur le marché.

Si la production se poursuivra jusqu’en 1933, sur de nombreux points, celle-ci a, en réalité, pris fin deux ans plus tôt. Les voitures assemblées durant les deux dernières années d’activité de la marque étant, ainsi, assemblées en puisant dans l’important surplus de stocks de pièces (engendrés par l’effondrement des ventes à partir de la fin des années 1920).

Cyrille Cottin laissera une grande partie de sa fortune dans la fin de cette aventure. Il continuera à résider à Lyon jusqu’à sa mort en février 1944, en pleine Seconde Guerre mondiale,à l’âge de 73 ans. Son ancien associé, Pierre Desgoutte, s’étant marié, peu de temps après son retrait de la firme qu’ils avaient fondé, à une femme de la noblesse vénitienne, s’installe avec cette dernière à Nice, où il décède en 1955 à 81 ans.

Philippe ROCHE

Photos Wheelsage

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