VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

VERMOREL- De l’agriculture à l’automobile.

L’origine de l’entreprise Vermorel remonte bien avant l’invention de l’automobile. Au début des années 1840, plus précisément, à l’époque de la Monarchie de juillet et du règne du roi Louis-Philippe, avec le menuisier Antoine Vermorel. Vivant à Bourgard, dans le département de l’Ain, il met au point un appareil appelé le tarare, destiné à l’agriculture et qui permet aux cultivateurs. Avec le succès rencontré par celui-ci, il décide alors de partir s’installer à Villefranche-sur-Saône afin de pouvoir y disposer d’un plus grand atelier. Son fils Victor, qui travaille à ses côtés à partir du début des années 1860, en plein Second Empire, reprend en mains l’atelier paternel après la mort de son père, en 1873, peu de temps après l’instauration de la Troisième République.

En pleine révolution industrielle, Victor Vermorel est bien décidé, non seulement, à développer, mais également à en diversifier les activités. Notamment concernant la mise au point de machines en tous genres à l’attention des agriculteurs en général et des vignerons en particulier. C’est par l’entremise de la fabrication de moteurs industriels que la société Vermorel va mettre un premier pied dans le domaine de la production automobile. A la fin du 19e siècle, l’exemple des pionniers comme le comte Albert De Dion et d’autres lui donnent, assez logiquement, l’envie de suivre leur exemple. Sachant déjà très bien concevoir et produire des moteurs, Victor Vermorel est donc convaincu qu’il n’aura guère de difficultés pour parvenir à créer et fabriquer tous les autres éléments nécessaires à la création d’une « voiture sans chevaux », comme l’on appelle alors, communément, les premières automobiles.

La première voiture portant le nom de Vermorel effectuant, ainsi, ses premiers tours de roue en 1898. Il s’agit d’une 10 HP motorisée par un moteur bicylindre. Alors qu’en France comme ailleurs, l’ère de l’automobile n’en est qu’à ses débuts, la concurrence est pourtant déjà nombreuse et féroce. Surtout compte tenu de l’étroitesse de ce marché, qui ne s’adresse, pour l’heure, qu’à quelques poignées d’amateurs éclairés et aisés. En outre, s’agissant de son architecture et de sa fiche technique dans son ensemble, la voiture conçue par Vermorel ne se différencie, toutefois, guère des autres automobiles créées à la même époque.

VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

Prenant rapidement conscience que, pour parvenir à se faire la meilleure place possible sur ce marché naissant, il lui faut se constituer une équipe solide, constituée, donc, d’hommes de talent, outre l’ingénieur François Pillain, qui l’a aidé à créer sa voiture, Victor Vermorel fait également appel au neveu de ce dernier, Claude Givaudan ; lui aussi ingénieur. La première présentation publique de la production automobile de Vermorel a lieu à l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient à Paris en 1900. Si la voiture exposée lors de cet événement remporte une médaille lors de celle-ci, elle le doit, toutefois, plus à sa remarquable qualité de construction qu’à un quelconque avant-gardisme technique.

Une fois encore, les voitures Vermorel continuent de faire preuve d’une très grande orthodoxie technique. Ce qui, conjugué à une concurrence qui ne fait que s’élargir et devenir plus âpre avec les années, explique sans doute qu’au cours des sept années qui suivent, la production automobile de Vermorel peine à décoller. Le fait que la marque n’arrive pas véritablement à sortir du rang et semble condamnée à rester cantonner au rang des seconds (voir, même, des troisièmes) couteaux. Ce qui décidera, en 1902, François Pillain à quitter Vermorel pour s’associer à François Rolland pour fonder le constructeur Rolland-Pillain.

Bien que, dans un premier temps, ce départ sot un coup assez dur pour Victor Vermorel, ce dernier peut, toutefois, toujours compter sur l’ingénieur Givaudan, lequel, de son côté, a choisi de rester au service de ce dernier. Le départ de son oncle offrant, même, à ce dernier l’occasion de sortir de son ombre et de pouvoir, très vite, montrer toute la mesure de son talent. C’est sous l’impulsion de ce dernier que la marque décide, en 1908, de s’inscrire au sein de la course du mont Ventoux, considérée comme l’une des plus éprouvantes de l’époque, aussi bien pour les pilotes que pour les voitures. La victoire remportée à l’issue de celle-ci, ainsi que celle lors de la course de côte du mont Pilat, qui se déroule à peine quelques jours plus tard, convaincra Victor Vermorel de commercialiser ce qui n’était encore, jusqu’à présent, qu’un simple prototype.

VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

Si la production de machines agricoles, qui demeure alors l’activité principale de la société, se poursuit, Edouard, le fils de Victor, n’étant pas du tout intéressé par ces dernières. C’est pourquoi il demande à son père de lui confier la mise en place d’une véritable branche automobile, bien distincte de l’activité originelle de l’entreprise familiale.

C’est véritablement à partir de cette époque que Vermorel va développer une véritable production et se faire une place au sein du paysage automobile en France. Ce qui sera donc le premier modèle entièrement conçu par l’ingénieur Claude Givaudan, une quatre cylindres de 12/14 HP, se fera remarquer, non seulement, par sa qualité de construction, mais également par son prix de vente assez compétitif par rapport à ses concurrentes de l’époque. Des atouts non négligeables sur un marché automobile en plein développement, bien qu’il soit encore réservé à une certaine élite et où la concurrence est rude.

Si, jusqu’au lancement de cette dernière, le caractère « embryonnaire » de la firme, en tant que constructeur automobile, ne lui avait permis de produire qu’un seul modèle, le succès de la 12/14 HP va lui permettre de développer rapidement une véritable gamme. En quelques années à peine, Vermorel va, ainsi, proposer un large éventail de modèles, allant d’une modeste 10 HP quatre cylindres à l’imposante 28 HP à six cylindres. Durant trois ans, Victor Vermorel et Givaudan feront, même, preuve d’une activité très prolifique, les modèles se succéder au catalogue à un rythme plutôt effréné, certains n’y demeurant que quelques mois à peine avant d’être remplacés par de nouveaux.

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En 1911, alors que la firme emploi désormais environ 800 personnes (ouvriers, ingénieurs et cadres), une fois cette période de « frénésie » passée, Victor Vermorel et Claude Givaudan décident, toutefois, de rationaliser quelque peu leur production. Parmi les anciens modèles, seule la production des 10 et 18 HP est maintenue. Même si de nouveaux modèles continuent de voir le jour, notamment le Type L 12 HP, animé par un moteur de 2,2 litres, étant désormais celui sur lequel le constructeur concentre, désormais, la plus grande partie de ses efforts. Le catalogue Vermorel s’élargissant aussi, à nouveau, vers le haut, celui-ci étant couronné par une imposante 23 HP. Pressentant sans doute l’émergence prochaine des voitures populaires, ou, en tout cas, désireuse d’élargir sa gamme vers le bas, la firme présente, en 1913, un nouveau modèle, le Type N de 8/10 HP, équipée d’une quatre cylindres de 1,5 litre. Sur le plan technique, la singularité de ce modèle, qui constitue aussi un progrès notable, est qu’il s’agit du premier moteur monobloc de la marque. Celle-ci sera suivie, l’année suivante, par un autre modèle recevant le même type de motorisation, le Type LO de 12 HP.

La guerre qui survient à l’été 1914 oblige Vermorel à mettre sa production automobile entre parenthèses et de reconvertir son usine de Villefranche-sur-Saône dans la production d’obus, ainsi, par la suite, que de moteurs destinés à l’aviation. La firme traversant, toutefois, les quatre années du conflit sans dommages notables, en reprenant ses productions civiles, une fois celui-ci terminé, qu’il s’agisse des automobiles comme des machines agricoles.

Comme pour beaucoup de constructeurs, le « retour à la normale » ne s’effectue, toutefois, que de manière progressive. Notamment du fait que, dans l’année qui suit la fin des hostilités, les matières premières sont encore rationnées. Ce qui explique que la firme choisisse de ne conserver de sa gamme d’avant-guerre que le Type LO. Même s’il ne s’agit, cependant, que d’une sorte de « solution provisoire », en attendant que la marque, qui n’avait, évidemment, pas eu la possibilité de concevoir des voitures pendant la guerre, ait terminé la mise au point des nouvelles Vermorel d’après-guerre.

VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

La première de celle-ci, le Type S, rejoignant, néanmoins, le catalogue fin 1919. C’est au moment où le Type LO quitte la scène qu’entre en scène le Type X 10 HP, destiné à devenir le nouveau modèle d’entrée de gamme. Alors que la plupart des autres voitures Vermorel, qu’il s’agisse des modèles contemporains comme de celles produites dans les années qui ont précédé la guerre, pouvaient se prévaloir de plusieurs d’avant-gardismes ou d’une certaine sophistication technique, la marque choisie, ici, de recourir à des solutions simples et éprouvées. Ceci, de manière assez logique, afin de maintenir un coût de production ainsi qu’un prix de vente assez bas, ainsi que de la rendre facile et donc peu chère à entretenir. Il inspirera d’ailleurs plusieurs des modèles qui seront lancés par la suite, même si tous n’obtiendront pas le même succès.

Il en sera ainsi du Type Z, qui ne sera produit qu’à moins d’une centaine d’exemplaires seulement, malgré sa sophistication technique. Notamment un moteur avec une distribution assurée par des soupapes en tête (qui ne commenceront à se généraliser sur les voitures françaises populaires qu’au milieu de la décennie suivante) ainsi que ses freins sur les quatre roues en série, une première pour la marque. Si le Type X pouvait, lui aussi, en être équipé, il ne recevait, toutefois, ceux-ci qu’en option. Sans doute que cette trop grande sophistication ne pouvait guère intéresser la clientèle populaire qui était visée. Ce modèle infortuné du point de vue de sa carrière commerciale lèguera, toutefois, sa mécanique à un autre modèle, le Type AD.

VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

Afin de limiter, autant que possible, ses coûts de conception et de production, Vermorel n’hésite pas, occasionnellement, à « recycler », sur ses nouvelles voitures, certains éléments de ces anciens modèles, en particulier s’agissant des motorisations. C’est ainsi que le Type AA de 16 HP héritera du moteur de 2,6 litres du Type S, même si celui-ci bénéficie d’une nouvelle culasse à soupapes en tête. Vermorel étant conscient que, dans la période prospère que connaît la France dans les années 1920 et où la concurrence est, à nouveau, fort rude (avec, non seulement, les concurrents d’avant-guerre, mais aussi de nouveaux venus comme Citroën), il lui faut se développer pour se maintenir à la place qui est la sienne. C’est pourquoi, la firme va, non seulement, élargir son réseau sur le territoire français, mais sortir, également, des frontières de l’Hexagone pour se faire connaître dans les autres pays d’Europe et dans les colonies françaises à travers le monde.

Les années 1920 étant marquées par les débuts d’une véritable démocratisation de l’automobile, Vermorel continue de diversifier son catalogue vers le bas, avec, à partir de 1925, les nouveaux Types AG et AH, de 6 et 9 HP. Lesquels présentent d’ailleurs un grand nombre d’éléments en commun, comme le châssis, preuve supplémentaire de l’attention portée à la généralisation des coûts. Ce dont personne (pas même Victor et Edouard Vermorel eux-mêmes, probablement) ne se doute encore, c’est qu’il s’agira des deux derniers « véritables » modèles produits par la marque. Entendez par là, des modèles qui ont été conçus (tout du moins, pour l’essentiel) en partant d’une « feuille (presque) blanche ». Ceux qui suivront ne seront, en effet, que des variantes ou évolutions des modèles précédents.

Si, jusqu’à présent, Edouard Vermorel avait pu se consacrer exclusivement à la branche automobile, le décès de son père, Victor, en 1927, à l’âge de 78 ans, va venir bouleversé l’organisation familiale qui était en vigueur jusque-là. Cette disparition obligeant, en effet, son fils Edouard à reprendre également en mains l’ensemble de l’entreprise, y compris, donc, la production de machines agricoles. Avec pour conséquence qu’il n’a donc plus autant de temps que par le passé à consacrer à la branche automobile, ce qui va, évidemment, avoir des conséquences fort dommageables sur celle-ci. En outre, du point de vue des chiffres de production comme des revenus procurés, il est que celle-ci avait déjà commencée à se marginaliser au cours des dernières années, alors que le secteur des machines agricoles, quant à lui, avait, au contraire, pris de l’ampleur.

C’est une grande partie de l’industrie automobile française qui connaît un profond bouleversement au cours des années 1920. La mise en place de la production en grande série par Citroën, avec Peugeot et Renault qui ne tarderont pas à suivre son exemple. Un grand nombre de constructeurs français se retrouvant alors « à la croisée des chemins ». Ces derniers finissant par prendre conscience que, s’ils veulent parvenir à concurrencer ce trio sur le marché des voitures populaires, ou, même, de gamme « intermédiaire », il leur faut réaliser des investissements fort importants, afin de renouveler entièrement leurs outils de production et passer, ainsi, eux aussi, à la production à la chaîne. Malheureusement, la plupart d’entre-eux n’en ont pas les moyens, les méthodes de production artisanales auxquelles ils étaient fidèles jusqu’ici impliquant aussi des coûts de fabrication élevés et, en conséquence, une marge bénéficiaire insuffisante pour pouvoir opérer (et, surtout, réussir) une mutation aussi profonde. La seule autre solution restante pour les constructeurs ne pouvant (ou, parfois même, ne voulant) prendre ce chemin de la production en grande série étant de se recentrer sur la production de voitures de luxe.

Le problème étant que, même durant cette période des Années Folles, il n’y a pas de place pour tout le monde. D’autant que ce marché est déjà occupé par des marques qui, dès leur entrée sur la scène automobile, avaient fait, d’emblée, le choix de se concentrer sur le marché du prestige et dont la réputation dans ce domaine est, depuis longtemps déjà, solidement établie.

Estimant, sans doute avec une certaine amertume, mais aussi avec pragmatisme, qu’il n’y avait sans doute plus véritablement de place, au sein du marché automobile en France, tel qu’il était devenu à la fin des années 1920, Edouard Vermorel décide alors, en 1930, de mettre fin à la production des automobiles et de se focaliser sur les machines agricoles. La production des poids lourds cessant, quant à elle, deux ans plus tard.

VERMOREL – De l'agriculture à l'automobile.

L’ingénieur Claude Givaudan, qui avait créé la plus grande partie des automobiles de la marque, décédera en 1945 et Edouard Vermorel en 1957. François Pilain, le premier ingénieur en chef de la marque, étant, quant à lui, déjà décédé depuis 1924. Ce qui marquera, malheureusement, le début de la fin pour l’entreprise, qui changera plusieurs fois de mains, avant de disparaître, finalement, en 1965.

Philippe ROCHE

Photos via WIKIMEDIA

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