TURCAT-MERY – Les belles Marseillaises.

TURCAT-MERY – Les belles Marseillaises.

Lorsque l’on évoque la ville de Marseille, la plupart des Français (s’ils ne sont pas de Marseille, tout du moins), pensent, généralement, à deux choses fortes différentes. Soit aux problèmes de trafiques de drogues et autres faits divers liés à la criminalité (qui ont valu à la cité d’être surnommée, par certains, « Chicago sur Méditérranée »). Ou alors aux livres et aux films écrits et réalisés par Marcel Pagnol (même si ce dernier cas concerne, avant tout, les « vieilles générations » ainsi que les cinéphiles et amateurs de littérature).

Mais si vous parlez d’automobiles à des Marseillais, même à des passionnés, il est fort probable qu’aucun ne se souvienne que, bien qu’étant à cent (voire à mille) lieues des régions parisienne et lyonnaise, la cité phocéenne a pourtant été, à une époque, le berceau de plusieurs constructeurs automobiles. Un oubli ou une ignorance facilement compréhensible et pardonnable, étant donné que le passé en question remonte à l’avant-guerre. Parmi ces quelques constructeurs marseillais, le plus important et dont l’aventure a duré le plus longtemps est sans doute la firme Turcat-Méry.

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Laquelle (ainsi que l’on peut s’en douter et à l’image d’autres constructeurs français) porte les noms de ses deux fondateurs, Léon Turcat et Simon Méry. Même si, s’agissant du premier, ses débuts professionnels ne le prédestinaient en rien à se lancer dans l’industrie automobile, puisqu’une fois son diplôme de commerce en mains, il travaille au sein du commerce paternel, spécialisé dans le négoce de café et de poivre. Le second, quant à lui, étant déjà nettement plus attiré et familiarisé avec tout ce qui a trait à la mécanique, puisqu’il a fait ses études au sein de l’Ecole d’ingénieurs, à Marseille tout comme Turcat.

Dans cette dernière décennie du 19e siècle, l’automobile n’en est encore qu’à ses balbutiements, que celles qui ressemblent encore à des véhicules hippomobiles sans chevaux n’intéressent encore qu’une poignée d’originaux appartenant aux classes aisées et, dans les « villes de province », surtout celles situées à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale, comme Marseille, elles font sans doute véritablement figure « d’OVNIS ».

Mais même là-bas, cette nouvelle invention fait son apparition à l’époque et en manque pas de susciter, à la fois, l’étonnement, la curiosité ainsi que l’intérêt d’une poignée d’ingénieurs, confirmés ou en herbe, qui sont rapidement convaincus qu’ils ne sont pas moins talentueux que leurs confrères parisiens et lyonnais et qu’eux aussi pourraient donc créer leurs propres automobiles, en faisant ainsi de la ville de Marseille un autre berceau de l’automobile française.

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Parmi ses premiers « aventuriers automobiles marseillais » figure le duo formé par Léon Turcat et Simon Méry. Il est vrai que l’un frère de ce dernier, Alphonse Méry fut sans doute le premier (ou, tout du moins, l’un des premiers) habitant(s) de Marseille à posséder une automobile. La voiture en question étant une Panhard et Levassor de 1895. C’est après un long examen de celle-ci, ainsi que de l’autre voiture qui sera acquise, par la suite, par le frère de Simon Méry, que ce dernier et Léon Turcat décident alors de « se jeter dans le bain ».

Malgré leur jeune âge (ils n’ont que vingt-deux ans tous les deux), leur manque de moyens ainsi que la difficulté de trouver un local ou bâtiment adapté (en terme d’industrie comme d’artisans dans le domaine de la mécanique, la cité phocéenne est encore à cent lieues, voire plus encore, de la région parisienne), cela ne les décourage pas outre mesure. Leur détermination ainsi que leurs efforts portent bientôt leurs fruits, puisque la première automobile qui sortira de leur atelier, motorisée par un moteur à quatre cylindres horizontaux.

Le résultat s’avérant encore meilleur que ce qu’ils escomptaient, ils décident, en toute logique, d’en créer une nouvelle. Ils emménagent alors dans un hangar plus vaste, où ils construiront leur seconde voiture, laquelle, si elle reste fidèle à une motorisation à quatre cylindres, voit le moteur placé, à présent, en position verticale. L’une de ses singularités de cette deuxième Turcat-Méry étant sa transmission, disposant de cinq vitesses pour la marche, mais également de deux pour la marche arrière.

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La circulation automobile, en cette fin des années 1890, étant pratiquement inexistante dans les rues de Marseille et étant donné que les véhicules hippomobiles ne créent que rarement des embouteillages, c’est donc sur celles-ci que, comme pour leur première voiture, les deux hommes effectuent, donc, assez logiquement, des essais dans les rues de Marseille.

Ce qui ne manque, évidemment, pas d’attirer l’attention d’une poignée d’amateurs avisés. D’autant plus intéressés par les créations du duo qu’outre l’idée de figurer parmi les premiers Marseillais à circuler dans les rues de la cité phocéenne au volant d’une automobile, le fait que celle-ci soit une création marseillaise ne peut, évidemment, que flatter leur fierté locale. Bien qu’à la fois surpris et heureux de cet intérêt manifesté par ceux qui deviendront leurs premiers clients, ceci va, toutefois, les obliger à déménager, à nouveau, dans des locaux plus grands. Mais également à s’improviser et se former, en autodidactes, à la gestion d’une entreprise. Ce à quoi, il est vrai, ils n’avaient pas véritablement réfléchi et ne s’étaient, donc, pas véritablement préparés en se lançant dans cette aventure.

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En mai 1899, ils fondent donc leur société qu’ils baptisent « Les ateliers de constructions d’automobiles Turcat, Méry et cie », installée boulevard Michelet, à Marseille. Afin de réunir les fonds nécessaires pour lancer une production en petite série, mais également développer un réseau de vente au-delà des frontières de la ville de Marseille ainsi qu’assurer la pérennité de leur entreprise, ils lancent l’émission d’actions, en prenant, toutefois, soin de préciser dans les statuts de société qu’aucun actionnaire ne pourra être majoritaire. Bien qu’étant fortement inspiré de la voiture qu’ils avaient créée précédemment, le premier modèle conçu après la création de la marque portant leur nom se veut une version perfectionnée de celui-ci, plus fiable et plus légère. Le modèle en question, toujours équipé d’une mécanique quatre cylindres, atteint la vitesse, fort respectable et, même, importante, pour l’époque, de 80 km/h, étant prêt à entrer en production en 1901.

Conscient que, du fait qu’elle s’adresse à une clientèle aisée et donc fort réduite, Léon Turcat et Simon Méry étudient également un modèle à moteur bicylindre, moins ambitieux, mais susceptible d’intéresser un public plus large. Outre la publicité dans les revues spécialisées ainsi que dans les grands quotidiens, locaux et régionaux, mais aussi nationaux et la compétition, la réputation des voitures produites par Turcat et Méry se construira également grâce à ses propres clients, qui ne manqueront souvent pas d’en vanter les mérites auprès de leur entourage.

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Une réputation qui monte jusqu’à la capitale et qui incite, évidemment, les deux hommes à exposer leurs créations au Salon de l’automobile à l’automne 1901. C’est à l’occasion de cet événement que Léon Turcat fait la connaissance du baron Adrien de Turckeim, alors administrateur de la firme De Dietrich. Si celle-ci est surtout connue, en ce tout début du 20 siècle, pour ses activités dans le domaine ferroviaire, l’entreprise, située en Alsace (qui n’est, alors, plus en territoire français, puisqu’elle a été annexée par l’Allemagne après la défaite de la France à l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870 – 71) souhaite se diversifier dans la production automobile.

Est-ce parce que la marque alsacienne se refuse à des investissements trop importants dans ce domaine ou par volonté d’aller vite ? En tout état de cause, celle-ci préfère opter pour une « solution de facilité » qui est d’acquérir la licence de production des modèles d’une marque existante plutôt que de concevoir les siens. Aux yeux du baron de Turckeim, les productions de la firme marseillaise constituent un très bon moyen de permettre à De Dietrich de faire, elle aussi, son entrée dans le domaine de l’automobile. Un contrat en ce sens est conclu au début de l’année 1902, lequel sera, aussi, fort profitable pour Léon Turcat et Simon Méry, grâce aux royalties versées par De Dietrich sur chaque voiture produite, mais également, car cela lui permettra de se faire connaître partout en France.

Turcat-Méry étant une marque « régionale », c’est, assez naturellement, au sein des épreuves de courses automobiles qui se déroulent dans le sud de la France qu’elle fera ses débuts dans le monde de la compétition. Le premier trophée sera, ainsi, décroché en mai de cette même année 1902 lors de la course de côte des Platrières qui se déroule à Aix-en-Provence. En cette première décennie du XXe siècle et au coeur de ce que l’on appelle la Belle Epoque, la concurrence est toutefois fort rude entre les très nombreuses marques françaises, d’autant plus rude que, comme mentionné plus haut, l’automobile est une certaine élite.

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En conséquence, Léon Turcat et Simon Méry, à l’image d’autres de leurs concurrents, décident de ne plus se limiter au seul territoire de l’Hexagone, mais commencent alors à s’intéresser également aux marchés étrangers. Une prospection où la compétition jouera, là aussi, un rôle essentiel et où des victoires comme celles remportées lors des courses Paris-Vienne et Paris-Madrid contribueront à faire connaître les productions de la firme marseillaise. Les victoires obtenues sur le territoire français ne sont pas en reste, avec, entre autres, celle de la course de côte du Mont-Ventoux en 1903 ainsi que la quatrième place à la coupe Gordon-Bennett.

Il va sans dire que, comme souvent à l’époque et pour la plupart des constructeurs, les voitures qui participent à ses épreuves ont été spécialement conçues pour la compétition et atteignent, là aussi, souvent des cylindrées impressionnantes. Ainsi, celle qui courra lors de la coupe Gordon-Bennett atteindra pas moins de 12,8 litres de cylindrée. Des succès en courses qui ne manquent, évidemment, pas d’avoir des effets rapides et bénéfiques sur les ventes, qui augmentent de façon rapide, aussi bien à Marseille pour Turcat-Méry que pour De Dietrich en Alsace-Lorraine.

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Le partenariat entre les deux constructeurs s’étant encore accentué et oblige, même, Simon Méry à s’installer, durant un temps, à Lunéville afin de pouvoir, ainsi, superviser de manière plus étroite et directe la mise en production des nouveaux modèles assemblés sous licence par De Dietrich. Une fois ceci fait, afin de pouvoir, également, mieux superviser la diffusion de leurs modèles aux quatre coins de l’hexagone, à l’image de son associé, Léon Turcat, c’est dans la capitale qu’il prendra ses quartiers. Simon Méry ayant confié la gestion de l’usine marseillaise à son frère Louis.

Du côté du partenaire de l’est, c’est désormais une nouvelle société, baptisée Lorraine-Dietrich (dont l’appellation officielle est la Société Anonyme des Anciens Etabalissements de Dietrich de Lunéville), toujours dirigée par le baron Adrien de Turckeim qui poursuit la production sous licence des modèles Turcat-Méry. Même si ceux-ci ne sont, désormais, plus produits à Lunéville, mais à Argenteuil, en Seine-et-Oise.

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La gamme continuant d’évoluer et de s’élargir vers le haut, avec le lancement, en 1907, du premier modèle équipé d’un moteur six cylindres, lequel affiche fièrement une imposante cylindrée de plus de 8 litres. Celle-ci ne connaîtra toutefois qu’une carrière extrêmement brève, puisque sa production cessera au bout d’un an à peine. Sans doute encouragée par la prospérité économique de ces années de la Belle Epoque, Turcat-Méry décide de se diversifier en dehors de la production automobile, plus précisément dans la production de moteurs destinés à équiper les canots nautiques.

En 1911, Léon Turcat et Simon Méry décident, toutefois, de mettre fin à l’accord qui les liait, depuis, maintenant, près de dix ans avec le baron Adrien de Turckeim. S’il est vrai que ce partenariat a certainement permis à la firme marseillaise de se développer et de se faire connaître partout en France et, même, au-delà des frontières de celle-ci, la notoriété ainsi que les capacités de production que celle-ci a acquises grâce à celui-ci lui ont conféré une assise solide qui offre désormais, à ses deux fondateurs, non seulement, le souhait, mais également la possibilité de reprendre leur indépendance.

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Grâce aux bénéfices engrangés grâce au développement des ventes, autant s’agissant des voitures produites à Marseille que de celles assemblées sous licence en Lorraine qu’en région parisienne par Lorraine-Dietrich, l’usine marseillaise s’est fortement développée et atteint désormais la barre des 300 exemplaires annuels. Ce qui, compte tenu des capacités de production de la plupart des constructeurs français à l’époque et aussi que les Turcat-Méry s’adressent une clientèle d’élite, un score fort enviable.

Si la marque ne se fait pas le chantre de « l’avant-gardisme à tout prix », ses dirigeants n’hésitent, toutefois, pas à adopter de nouvelles solutions techniques si elles peuvent servir à augmenter les performances de leurs modèles. L’année même de la rupture des liens avec Lorraine-Dietrich, Turcat-Méry présente le Type LH 18 HP, dont la particularité est d’être le premier modèle de la firme bénéficiant d’un moteur monobloc. Lequel vient s’inscrire, au sein de la gamme, juste au-dessus du modèle d’entrée de gamme, le Type LG de 14 HP. Le sommet du catalogue étant occupé par le Type MJ avec son moteur de 6,3 litres de cylindrée.

En ce début des années 1910, un certain nombre de constructeurs, comme André Citroën (lequel n’a pas encore créé sa propre marque, mais est déjà présent au sein de l’industrie automobile, en ayant repris en mains la firme Mors) ainsi que Louis Renault commencent à songer à s’inspirer des méthodes inaugurées par Henry Ford aux Etats-Unis pour la production de voitures en grande série.

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Léon Turcat et Simon Méry, de leur côté, sans doute du fait que se lancer dans la production de voitures populaires n’entrent pas (du tout) dans leurs projets. Les deux Marseillais restant, ainsi, fidèles à des méthodes de production encore entièrement artisanales, ce qui est alors, il est vrai, le cas de presque tous les constructeurs spécialisés dans les voitures de prestige, aussi bien en France que dans les autres pays d’Europe. Même si cela se traduit, assez logiquement, par des coûts de production et donc des prix de vente forts élevés, parfois, même, supérieurs à ceux de la plupart de leurs concurrents. Ce qui ne tracasse, toutefois, pas, outre mesure, les deux hommes, sans doute car ces derniers savent qu’ils peuvent compter sur une clientèle aussi aisée que fidèle.

Avec le déclenchement des hostilités, à l’été 1914, ils se voient, toutefois, obligés de se reconvertir dans la production d’utilitaires légers ainsi que de munitions. L’usine étant même agrandie afin de pouvoir satisfaire les commandes émanant de l’Armée française. Outre sa superficie, le nombre d’ouvriers employés au sein de celle-ci augmente également, de manière aussi importante que rapide. Alors que Léon Turcat et Simon Méry avaient refusé d’adhérer aux méthodes du Taylorisme, inaugurée, au sein de l’industrie automobile, par Henry Ford, la Grande Guerre va, pourtant, les forcer à s’y convertir.

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S’ils n’envisagent pas d’abandonner la production des voitures de luxe, cette découverte du travail à la chaîne les conduit à songer à élargir leurs gammes avec des modèles destinés à un public plus large et qui seraient produits avec les mêmes méthodes que celle de Ford et auxquelles André Citroën adhérera à son tour, une fois la paix revenue. Léon Turcat se montrant, non seulement, optimiste, mais également ambitieux, puisqu’il est convaincu qu’avec l’étendu ainsi que les capacités de production de leur nouvelle usine, située boulevard Michelet (toujours à Marseille), ils pourront atteindre, sans grande difficulté, une production d’un millier de voitures par an, soit plus de trois fois plus qu’avant-guerre. Signe évident de cette foi en l’avenir, ils inaugurent également un vaste hall d’exposition à Paris, sur l’avenue des Champs-Elysées.

Malheureusement pour ce dernier ainsi que pour son associé, une fois la guerre terminée, malgré l’euphorie qui accompagne la fin des hostilités et bien qu’elle soit victorieuse, la France n’en ressort pas moins meurtrie de ces quatre années d’un conflit sanglant. Pour beaucoup d’industriels, au sein de l’automobile comme dans un certain nombre d’autres secteurs de l’industrie, la reprise et, donc, le retour à la vie civile s’annoncent lents et difficiles. Le premier Salon automobile de l’après-guerre qui s’ouvre à Paris en octobre 1919, soit moins d’un an seulement après la fin du conflit, illustre, entre autres, à la fois, cette joie de la paix retrouvée, mais également la fois en l’avenir. Malgré le surnom que l’on donnera à cette période qui durera jusqu’à la fin de la décennie suivante, les Années Folles ne le seront, toutefois, pas vraiment pour tout le monde !

Afin d’édifier cette nouvelle usine, située à proximité immédiate de leurs anciens ateliers, ils ont dû lourdement s’endetter. Le contexte économique de l’immédiat après-guerre, étant loin d’être aussi ensoileillé que ce qu’ils avaient probablement imaginé et, même, plutôt grisâtre. Les deux hommes réalisant, bien qu’un peu tard, qu’ils ont probablement vu un peu trop grand et que la période de l’après-guerre ne sera peut-être pas pour eux le nouvel âge d’or auquel ils avaient, pourtant, fermement cru.

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Sans même parler de l’entrée en scène d’André Citroën, dont le premier modèle, le Type A, peut s’enorgueillir d’être le modèle le moins cher du marché français, à l’autre extrémité du marché, l’ascension de constructeurs comme Hispano-Suiza, avec la présentation de la mythique H6, ainsi que l’arrivée de nouveaux venus, comme Farman, ne va, évidemment, pas faciliter et, même, compliqué la tâche des « vétérans » comme Turcat-Méry. Sans compter que les mesures de rationnement des matières premières, mises en place par le gouvernement français lors de la déclaration de guerre, en 1914, ne seront levées que de manière progressive et, en ce tout début des années 1920, leurs prix restent donc fort élevés.

Les deux fondateurs, dont l’optimisme les avait probablement amenés à échafauder, quelque peu, des « plans sur la comète », avaient envisagé de couronner leur gamme d’après-guerre par une imposante 40 CV, qui, si elle avait pu voir le jour, aurait été amenée à concurrencer les modèles haut de gamme de Renault, Hispano-Suiza ou Delaunay-Belleville, pour ne citer que ces derniers. Malheureusement pour eux et pour la marque qu’ils avaient fondée, les difficultés importantes qu’ils rencontrent, au lendemain du conflit, vont, malheureusement, avoir pour effet de tuer dans l’oeuf cet ambitieux projet.

Même si Léon Turcat n’hésite pas à investir une partie de ses fonds personnels afin de tenter de renflouer les caisses, cela ne suffit, malheureusement, pas à leur éviter le dépôt de bilan. La Société Marseille de Crédit, l’une des principales banques de la cité phocéenne à l’époque et aussi l’un des principaux créanciers de la marque rachètent alors celle-ci. Bien que celle-ci soit alors sauvée (pour un temps, tout du moins), le prix à payer pour les deux fondateurs sera lourd. Perdant tout pouvoir de décision au sein de l’entreprise qu’ils avaient pourtant créée, ils en seront évincés peu de temps après.

Est-ce la conséquence de ce départ forcé de Léon Turcat et Simon Méry ou des nouvelles méthodes de management mises en place par les nouveaux propriétaires de la firme ? Toujours est-il que l’ambiance qui plane, désormais, au sein de l’usine du boulevard Michelet devient quelque peu morose. Même si les modèles Turcat-Méry remportent encore plusieurs victoires importantes, comme au Grand-Prix de Corse ainsi qu’au Mont-Ventoux, il semble évident, pour les plus anciens employés de la firme, qui ont commencé leur carrière sous l’ère des deux fondateurs, ainsi que pour une grande partie de la clientèle, que les choses ne sont plus (et ne seront, sans doute, plus jamais) comme avant.

Bien que les trophées obtenus en courses prouvent qu’en matière de fiabilité et de performances, les nouvelles Turcat-Méry n’ont rien à envier à leurs concurrentes, les méthodes de production restent encore très artisanales et, en conséquence, les prix auxquels elles sont affichées sont, souvent, supérieurs à celles de la plupart de leurs rivales. Comme, après avoir connue une brève embellie, le ciel se couvre à nouveau de nuages pour le constructeur phocéen et la Société Marseillaise de Crédit décide alors de se séparer de la société Turcat-Méry. Celle-ci est alors revendue à Arthur Provenzal, un concessionnaire automobile.

Dans un premier temps, grâce à ce dernier, la marque parvient à connaître une nouvelle période prospère et les victoires en courses s’enchaînent pour la marque, même s’il est vrai que la plus grande partie d’entre-elles sont remportées dans des courses de côte. Provenzal est, toutefois, convaincu que la marque ne peut plus se cantonner au seul marché de la voiture de luxe, surtout face à un marché où, même dans cette décennie des Années Folles, qui sont celles d’une prospérité qui semble presque sans limites, la concurrence est fort nombreuse. Il décide alors d’élargir la gamme vers le bas avec la présentation, en 1927, d’un modèle populaire de 7/8 CV.

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Un choix qui, étant donné la situation décrite plus haut, pouvait apparaître assez logique, voire intéressant, mais qui va, malheureusement, se heurter à une situation tout aussi difficile sur le marché des voitures destinées au grand public. Au sein de celui-ci aussi, la concurrence est rude, car, sans même parler des « poids lourds » que sont, déjà, devenus, à l’époque, Citroën, Peugeot et Renault, figurent aussi de nombreux « seconds couteaux », qui, pour la plupart d’entre-eux, peuvent, cependant, se prévaloir d’une clientèle fidèle, comme Chenard & Walcker, Licorne, Rosengart, Salmson et d’autres. Autant dire, au vu de ce constat, apparaît donc assez risqué, surtout pour un constructeur qui a bâti toute son image de marque sur le sport et le prestige.

Un autre handicap, non négligeable, pour Turcat-Méry est que la firme n’a jamais vraiment réussi à passer au stade de la production en série (s’agissant, en tout cas, de ses voitures). Il n’est donc guère étonnant que le succès ne soit pas vraiment au rendez-vous, ce qui sera aussi, malheureusement, le cas, du modèle de 10 CV lancé peu de temps après.

Conséquence inévitable, les finances du constructeur marseillais qui, même au temps où elle était la propriété de la Société Marseillaise de Crédit ainsi que durant le bref retour à la prospérité qu’elle a connu juste après son rachat par Arthur Provenzal, n’avaient jamais pu être entièrement assainies, plongent à nouveau dans le rouge.

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N’ayant, à présent, plus véritablement les moyens de concevoir, ni, même, de produire ses propres moteurs, Turcat-Méry se trouve alors contraint, à l’image d’un certain nombre de ce que l’on pourrait surnommer les « PMC » (Petits et Moyens Constructeurs) de faire appel à des fournisseurs extérieurs. Ce sont, ainsi, des mécaniques d’origine CIME et SCAP (déjà bien connus des propriétaires de cyclecars), à six et huit cylindres, néanmoins, que l’on retrouve sous le capot des modèles qui seront présentés sur le stand de la marque au Salon automobile d’octobre 1927.

Hélas, la clientèle traditionnelle de la marque semble lui avoir, définitivement, tourné le dos. Amer et désabusé, Provenzal décide alors de baisser le rideau ! La marque étant placée en liquidation judiciaire en 1929, l’usine du boulevard Michelet étant démolie peu de temps après.

C’est en spectateurs impuissants que Léon Turcat et Simon Méry, assisteront au déclin et à la disparition de la marque automobile qu’ils avaient fondés. Ils disparaîtront tous deux la même année, en 1965, à un peu moins de sept mois d’intervalle, âgés, respectivement, de 90 et 91 ans. Bien qu’étant tous deux décédés à Marseille, c’est, toutefois, au cimetière du Montparnasse à Paris que Simon Méry sera inhumé.

Philippe ROCHE

Photos Wikimedia

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