BUGATTI TYPE 51 – Pur-sang alsacien cherche un nouveau souffle.
Lorsqu’Ettore Bugatti dévoile le Type 51, en 1931, la notoriété du constructeur de Molsheim, aussi bien dans le monde de la compétition que sur le marché des voitures de sport et de grand tourisme n’est plus à faire et depuis longtemps déjà. Durant la décennie précédente (et surtout la seconde moitié de celle-ci), le constructeur alsacien fut de tous les combats dans le monde de la course automobile et a largement trusté les podiums grâce aux monoplaces Type 35, 37 et 38. Au point que certains, au sein du public, ont fini par se lasser quelque peu du spectacle des compétitions, même dans le cas des plus grandes épreuves, qui voyaient, immanquablement et presque à chaque fois, les voitures de Molsheim se hisser sur la plus haute marche du podium, quand elles ne ravissaient pas le podium tout entier, plus souvent qu’à leur tour, il est vrai. Ce qui, bien évidemment, n’a pas manqué de faire froncer les sourcils, grincer les dents et serrer les poings de tous ses concurrents. Lesquels se sont très vite jurés d’employer tous les moyens pour faire cesser le règne sans partage des Bugatti sur les circuits.

Lorsque le nouveau Type 51 entre en scène, il est donc doublement attendu, tant par les pilotes de la marque que par la concurrence et le public, ces deux derniers l’attendant, d’une certaine façon, au tournant. Ettore Bugatti lui-même a d’ailleurs parfaitement conscience que ses ennemis fourbissent leurs armes et que la concurrence risque d’être encore plus nombreuse, ou, en tout cas, beaucoup plus rude qu’auparavant, la lutte promettant même de devenir, rapidement, sans merci. C’est pourquoi il mise donc beaucoup sur le Type 51, tout comme son fils Jean, qui, tout comme son père, place beaucoup d’espère dans ce nouveau modèle. En tant qu’héritier désigné de l’entreprise paternelle et ayant hérité du talent de son père pour la mécanique ainsi que de sa passion pour la course automobile, il n’a pas attendu d’avoir sa majorité pour « mettre la main à la pâte » et participer, de façon de plus en plus étroite et rapide au fil du temps, aux travaux des ingénieurs de l’usine sur les nouvelles mécaniques et châssis mis au point pour les nouveaux modèles. Que ceux-ci sont destinés à courir sur les pistes des circuits ou à sillonner les routes des Nationales entre les mains des riches « gentlemen-drivers » qui constituent alors la plus grande partie de la clientèle de la marque.
Si « Monsieur Jean », comme on le surnomme bientôt familièrement au sein des cadres et des ouvriers de l’usine (toujours avec respect, mais sans ironie ou condescendance aucune) entend bien imprimé, le plus possible, sa patte sur les modèles Bugatti, quelle que soit leur vocation, il doit cependant, si pas en permanence, à tout le moins fréquemment, trouver le moyen de tracer sa propre voie tout en utilisant pour cela les outils légués par son père. Aucune grande décision ne se décidant, évidemment, sans l’aval, explicite et même écrit, du « Patron », lequel, bien qu’il ne doute, à aucun moment, des compétences de son fils, aussi bien dans le domaine de la mécanique automobile qu’en matière de management (il en est d’autant plus convaincu que, dans les deux cas, c’est lui qui l’a formé pour qu’il lui succède) tient absolument à ce que chaque nouveau modèle porte son empreinte.
Si le père et le fils, au-delà du « simple » lien filial, sont également tous les deux unis par une passion commune, il n’en reste pas moins que l’un et l’autre sont dotés d’une forte personnalité et d’idées bien arrêtées en matière de solutions techniques pour les moteurs et les voitures de la marque. Des idées parfois très proches, mais parfois aussi diamétralement opposées, ce qui, logiquement, n’ira pas sans être la cause, plus d’une fois, de discussions assez vives, tant au sein des bureaux de l’usine que des jardins de la villa familiale ainsi qu’à bord de l’imposante Bugatti Royale (ou Type 41, pour reprendre sa terminologie d’usine) qui sert, tout à la fois, de voiture personnelle et de fonction à Ettore Bugatti. Un certain nombre des modèles produits par le constructeur alsacien à partir des années 1920 et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale résulteront d’ailleurs du mélange de ces deux visions automobiles, de cette alliance entre tradition et modernité et qui donneront aux modèles en question toute leur personnalité, tant sur le plan technique qu’esthétique. Sur ce dernier point, extérieurement, rien (ou presque) ne permet, de prime abord, de différencier le nouveau Type 51 de l’ancien Type 35.

Si la compétition est bien, dans l’automobile, le domaine de prédilection d’Ettore Bugatti (et cela, avant même qu’il ne se mette à son compte en fondant ainsi la marque portant son nom) et il a bien conscience, dès le départ, que, pour gagner des courses, les impératifs techniques priment, clairement et totalement, sur les considérations d’ordre esthétique (en dehors de ce qui touche, évidemment, au domaine de l’aérodynamique, même si, au début des années 1930, ce dernier n’en est encore qu’à ses balbutiements). Ce qui ne l’empêche toutefois pas, parfois inconsciemment, mais souvent aussi en toute connaissance de cause, de faire primer ces dernières sur les premières. Cela, car (contrairement à la plupart de ses rivaux), il considère que « l’esthétique » (au sens le plus large du terme) sur une voiture (de course comme de route) ne s’arrête pas à sa carrosserie ou même à l’intérieur de son habitacle et que celle-ci concerne également la « plastique », c’est-à-dire l’aspect extérieur de la mécanique. Dans son esprit, une fois que l’on soulève le capot, il faut que le client (ou le pilote, selon les cas où la vocation de la voiture) prenne plaisir à contempler la mécanique. Une démarche similaire, en cela, à celle des horlogers sur les montres de luxe qui laisse le mécanisme apparent, en partie voire dans sa totalité, afin que son propriétaire puisse l’admirer longuement et en détail.
S’il est sans doute l’un des premiers à avoir pris en compte l’esthétique de la mécanique, ce soin particulier qu’il mettait à soigner celle-ci, sur chacun de ses modèles, l’a souvent conduit à continuer à rester fidèle à des solutions techniques qui ont pourtant fini par montrer leurs limites face à ses concurrentes. L’un des exemples les plus illustratifs est sans doute celui de l’architecture mécanique à simple arbre à cames en tête avec trois soupapes par cylindre, qui, dans la seconde moitié des années 1920, fut quasiment érigée en « religion », c’est-à-dire en « dogme » par le constructeur de Molsheim, en particulier sur ses modèles de course. L’aube de la nouvelle décennie (celle des années 1930) coïncidant avec sa majorité (il est né en 1909), ce qui lui accorde, en plus d’une certaine légitimité (au-delà de celle d’être « simplement » le fils du Patron), une influence ainsi qu’un pouvoir décisionnel plus grand auprès des ouvriers et des cadres de l’usine.

Un pouvoir nouveau qu’il va, aussitôt, s’empresser de mettre à profit afin de mettre, directement, en application ses propres conceptions en matière de mécanique. Suivant de près, non seulement dans les tribunes, mais souvent aussi directement dans les paddocks, quasiment toutes les épreuves importantes auxquelles participe le constructeur, il n’a pas manquer d’observer que, alors qu’ils étaient, jusqu’à il ya peu, quasiment indétrônables sur les pistes et sur les podiums, les Type 35 B et C commence, désormais, à marquer de plus en plus le pas face aux nouveaux modèles mis au point par la concurrence (aussi bien française qu’étrangères). Sans compter, en plus de celles déjà présentes sur les circuits, celles qui sont en préparation et dont les rumeurs qui courent sur ceux-ci ainsi que dans la presse automobile se chargent d’annoncer la venue. Ce qui est, notamment, le cas des futures Alfa Romeo P3 mises au point par le talentueux ingénieur Vittorio Jano. Présentée en 1924, celle-ci fut, pendant longtemps, l’une des rares vraies concurrentes des Bugatti, c’est-à-dire qui possède de sérieuses et véritables chances de lui disputer, voire de lui ravir le trophée en courses. C’est d’ailleurs grâce à ce modèle qui le constructeur milanais a remporté le premier Championnat du Monde organisé dans l’histoire de la course automobile, en 1925 et 1926.
Sans doute le jeune Jean Bugatti a-t-il eu (et plus d’une fois) l’occasion d’admirer longuement celle-ci, non seulement sous tous les angles, mais aussi sa mécanique comme d’avoir sous les yeux les détails de sa fiche technique. Ce faisant, l’un des points essentiels qui n’a sans doute pas manqué d’attirer son attention est sa distribution constituée d’un système à double arbre à cames en tête, dont elle sera déjà dotée sur sa version originelle et dont bénéficieront également tous les modèles de la marque qui lui succéderont en compétition. Très vite (voire dès le départ), le jeune Jean comprend certainement qu’il s’agit là de la voie à suivre. Même si la source essentielle de l’inspiration dont Ettore et Jean Bugatti se nourriront pour créer le nouveau Type 51 ne viendra pas de l’Italie, mais de l’autre côté de l’océan Atlantique.

A la fin des années 1920, l’un des constructeurs qui a le plus le vent en poupe dans le monde de la compétition est Harry Miller, qui, en plus, est aussi l’un des pionniers de la traction avant au sein de l’industrie automobile américaine. Ce dernier portera toujours tout son intérêt à l’univers de la course et ne jugera jamais utile de concevoir et commercialiser des versions « civiles » de ses voitures (il en créera toutefois quelques-unes pour des clients très privilégiés, mais aucune d’entre-elles n’a malheureusement survécu). Errett Cord s’inspirera toutefois fortement des automobiles créées par Miller pour concevoir celle qui sera la première voiture américaine de série à être équipée d’une transmission aux roues avant, la Cord L29. L’un des pilotes les plus en vue et les plus talentueux à s’être illustré au volant des Miller, Leon Duray, réalisera également certains de ses exploits sur le Vieux Continent. C’est, en effet, en France qu’il décrochera, en septembre 1929, plusieurs records de vitesse avec sa Miller 91.
Si c’est (assez logiquement) au pays de l’Oncle Sam que Miller récoltera la plupart de ses trophées (le constructeur a ainsi aligné plus de 80 % des voitures qui seront qualifiées aux célèbres 500 Miles d’Indianapolis entre 1922 et 1928, c’est dire s’il jouissait alors d’une domination écrasante en course aux USA), celui-ci n’a toutefois pas attendu la fin des années 1920 pour faire également courir ses voitures sur le sol français. Ainsi, en 1921, le Grand Prix de France sera remporté par une Miller, le modèle Type 122, aux mains du pilote Kimmy Murphy. La dénomination de ce modèle faisant référence à la cylindrée de son moteur, un huit cylindres en ligne de 122 cubic inches (l’unité de mesure américaine, soit environ 2 litres. Une cylindrée qui, en 1926, sera toutefois ramenée à seulement 91 ci (soit à peu près 1,5 litre), un changement dû à la modification de la réglementation en vigueur au sein des courses américaines. La domination presque sans limites des Miller aux Etats-Unis prendra toutefois fin en 1929, avec la fin de la formule au sein de laquelle elles avaient consacré un règne sans partage.
Lorsque la route des Bugatti père et fils croise celle de Leon Duray, huit ans plus tard, le nom du constructeur américain est donc loin d’être inconnu auprès de ces derniers. Celui vient de terminer la saison 1929 par une série de records remportés à Indianapolis, ainsi que sur la piste d’essais de la marque Packard, est alors décider à renouveler et même à surpasser la victoire établie par Murphy en 1921 et se rend alors en France avec deux exemplaires de la Miller 91, s’illustrant, lui aussi, brillamment à leur volant sur le circuit de Montlhéry, où il remporte plusieurs victoires de classe, ainsi que dans la ligne droite d’Arpajon, où il fait la connaissance d’Ettore et Jean Bugatti. Ces derniers sont à ce point enthousiasmés par les Miller qu’ils proposent rapidement au pilote américain de lui racheter les deux voitures, non pas contre une somme en argent, mais contre trois châssis d’un de leurs propres modèles, le Type 43. Au prix de 155 000 francs (de l’époque), avec, qui plus est, une clause dans le contrat de vente signé entre Duray et les Bugatti stipulant que ces derniers se chargeront de toutes les démarches pour lui faire livrer les trois châssis en question jusqu’en Californie.
Dans l’immédiat et sur le plan strictement financier, c’est bien Duray qui était le plus largement bénéficiaire et même le grand gagnant dans cette affaire. Au-delà même de la valeur marchande que représentaient les trois châssis roulants qu’Ettore Bugatti et son fils avaient accepté de lui céder, cette proposition d’échange arrangeait d’autant plus Leon Duray que, une fois ces victoires remportées sur le sol français, il n’était sans doute pas question pour lui de rembarquer les deux Miller avec lui lors de son retour aux Etats-Unis. Etant donné la suppression des épreuves où les Miller 91 avaient engrangé les trophées à foison, celles-ci n’avaient donc plus d’avenir en compétition sur le sol américain et n’étaient donc, désormais, plus d’aucune utilité à Duray. Alors que la Bugatti Type 43 représentait alors l’un des modèles les plus emblématiques de sa catégorie (celle des voitures de grand sport), non seulement en France, mais aussi sur les marchés étrangers.
Présenté en 1927, ce modèle est, en réalité, une sorte de « patchwork » empruntant l’essentiel de ses principaux éléments aux autres modèles de la gamme Bugatti. Le châssis étant, en effet, celui du Type 38 (mais dans une version à empattement réduit) sur lequel a été monté le moteur huit cylindres en ligne à simple arbre à cames en tête provenant, de son côté, du Type 35 B (doté d’une cylindrée de 2,3 litres et également pourvu d’un compresseur) qui lui permettent (lorsqu’il est, évidemment, habillé, des carrosseries les plus légères) d’atteindre sans trop de difficultés une vitesse de pointe de 170 km/h, ce qui représentait des performances de très haut niveau pour une voiture de route à la fin des années 1920. Pour la firme de Molsheim, la nécessité de renouveler son arsenal et de créer une nouvelle arme capable de redonner à Bugatti la place d’honneur qui était la sienne durant la décennie précédente se fait d’autant plus nécessaire et même pressante que, dans les Grand Prix, sur routes comme sur circuits, les Bugatti ont désormais fort à faire et se font de plus en plus malmenées par leurs rivales, tant nationales qu’allemandes, anglaises ou italiennes.





Si, de son côté, Alfa Romeo s’est vu contraint de retarder la présentation de ses nouvelles 8C (obligeant ainsi à prolonger, durant quelque temps, la carrière des vieillissantes P2), de l’autre côté des Alpes, il n’y a toutefois pas que la concurrence de la marque au trèfle qui soit à craindre, mais aussi celle de la firme au trident, c’est-à-dire celle de Maserati. Concentrés, à l’époque, uniquement sur le monde la compétition, les frères Maserati lancent, à l’occasion de la saison de l’année 1930, leur nouvelle « arme de guerre », la Tipo 26M, qui, elle aussi, va donner du fil à retordre aux voitures de Molsheim. Face à une concurrence devenue de plus en plus féroce, Bugatti sait désormais qu’il ne peut plus reculer et que, à défaut de pouvoir déjà présenter, dans l’immédiat, un modèle « entièrement » nouveau dans le domaine de la compétition et capable ainsi de tenir tête aux bolides allemands et italiens dans les plus grandes épreuves européennes, il lui faut, tout au moins, renouveler en partie sa gamme dans celui des voitures de grand tourisme. Ceci, afin de réussir à capter à nouveau l’attention de la presse et du public en remettant ainsi la firme de Molsheim sur le devant de la scène.
Ce qui sera la mission dévolue au Type 50, dévoilé cette année-là. Si celui-ci emprunte son châssis au Type 46 (celle qui l’on a surnommé « la petite Royale », car la plupart des carrosseries qui l’habillait la faisaient ressembler à une version en réduction de l’ultra-élitiste Type 41, surnommée « la Royale »), la mécanique qui vient se nicher sous son capot a été spécifiquement conçue pour le Type 50 : un huit cylindres en ligne de 4 840 cc recevant, lui aussi, une distribution à double arbre à cames en tête. Après être demeuré si longtemps (et obstinément) fidèle à l’architecture à simple arbre à cames, Ettore Bugatti s’est finalement laissé convaincre par son fils Jean de se convertir, pour ses modèles de route comme pour ceux destinés à courir sur circuit, à cette nouvelle solution technique. Un pas important dans le sens de l’évolution et du progrès technique que le Patron s’est finalement décidé à franchir lorsqu’il a fini par réaliser que celle-ci allait lui permettre d’optimiser au mieux la puissance de ces moteurs et aussi qu’il s’agissait d’une étape indispensable s’il voulait continuer à pouvoir à pouvoir dominer la scène sportive (ou, tout au moins, continuer à pouvoir se maintenir dans la tête du peloton).
Si le Type 50 bénéficie donc d’une motorisation inédite, la plupart des autres organes mécaniques, tels que l’essieu avant, les freins, l’embrayage ainsi que la boîte de vitesses proviennent, eux aussi, de la « petite Royale ». Un procédé qui n’est alors pas nouveau au sein du constructeur de Molsheim, loin s’en faut, Ettore Bugatti ayant, il est vrai, depuis un certain temps déjà, l’habitude, si pas de « faire du neuf avec du vieux », en tout cas de savoir réemployer des motorisations, châssis ou autres éléments déjà existants en créant, à partir de ceux-ci, de nouvelles « combinaisons » ou assemblages lui permettant d’obtenir, comme résultat, des modèles à la vocation ainsi qu’à la personnalité bien distinctes.

Sur ce nouveau modèle haut de gamme qui vient (justement) succéder au Type 46 (ce qui explique aussi, en partie, qu’il en reprenne un grand nombre d’éléments), l’empreinte apposée par Jean Bugatti ne s’est, toutefois, pas limitée à la seule partie technique, mais se reflète aussi, de manière profonde et indéniable, dans le dessin des différentes carrosseries proposées au catalogue : coupé (ou faux-cabriolet, pour reprendre l’appellation exacte mentionnée dans celui-ci, coupé « fiacre » et coach). La seconde carrosserie mentionnée, comme son nom l’indique, s’inspire ouvertement de celle des véhicules hippomobiles et il faut sans doute y voir là un héritage paternel, ce style étant fort prisé d’Ettore Bugatti (ce dernier ne s’impliquant, généralement, guère dans le dessin des carrosseries destinées à habiller ses modèles, en dehors, justement, celles faisant référence aux anciennes voitures à cheval, ainsi que de celui des voitures de compétition). Une esthétique que, s’il tente rapidement de s’en détacher afin de pouvoir créer son propre style, le fils et héritier du Patron ne déteste pas, pour autant, lui non plus.
Le coach, de son côté, en revanche est beaucoup plus empreint, justement, de ce nouveau style (que l’on pourrait presque qualifier, sur certains points, de « moderno-classique ») qu’a voulu créer Jean Bugatti, notamment dans le dessin du pavillon, subtilement bombé et arrondi aux angles, qui donne ainsi à cette carrosserie une allure plus basse et renforce ainsi son allure racée et sportive, tout comme son pare-brise fortement incliné. Lequel donne ainsi à la voiture, même lorsque celle-ci se trouve à l’arrêt, une impression de vitesse, en n’étant pas sans évoquer certaines oeuvres des artistes du mouvement futuriste (ces derniers mettant souvent à l’honneur le progrès technique dans leurs oeuvres). Ce coach aux lignes si caractéristiques créé par « Monsieur Jean » deviendra d’ailleurs, non seulement, la carrosserie la plus connue de celles ayant habillées le Type 50 mais est aussi considérée (depuis longtemps déjà) comme l’une des plus réussies et emblématiques des modèles Bugatti du début des années 1930.
Outre la version « civile », à la fois parce que la compétition fait véritablement partie de « l’ADN » de la marque et aussi, comme mentionné précédemment, comme la mise au point du nouveau Type 51 tarde à être finalisée, une version compétition (conçue avec l’appui financier de Michelin, car, à l’image de sa situation dans le domaine de la course automobile, les finances du constructeur alsacien commencent, elles aussi, à se trouver malmenées) est dévoilée simultanément. Dans ce domaine, les débuts de la Bugatti 50 ne sont toutefois guère brillants, celle-ci faisant « chou blanc » pour sa première participation en course, à l’occasion des Mille Miglia, en avril 1931 (une prestation d’autant moins brillante que le pilote italien Achille Varzi se voit contraint à l’abandon après n’avoir parcouru que moins d’une vingtaine de kilomètres). Les trois voitures de ce type qui seront engagées lors des 24 Heures du Mans, disputées en juin de la même année, ne connaîtront d’ailleurs pas un destin meilleur, puisque, victimes de plusieurs déchapages ainsi que d’une tenue de route très aléatoire, aucune d’elles ne terminera, malheureusement, l’épreuve mancelle.
Malgré cette nouvelle déconvenue pour la marque, Bugatti peut toutefois se remettre à nouveau à espérer, car celle qui doit devenir sa nouvelle « arme fatale », le Type 51, est finalement (et enfin) prêt à entrer en scène. Si, dans l’histoire et la genèse des Bugatti (de route comme de course) de cette époque, il est parfois (voire souvent) difficile de déterminer, de façon sûre et certaine, la part du père et celle du fils, dans le cas du Type 51, on peut toutefois clairement affirmé que c’est bien à Jean Bugatti que revient l’essentiel de sa paternité. Ce dernier n’est pas (sans doute, là aussi, entre autres, pour des impératifs financiers comme pour des raisons de temps) véritablement « parti d’une feuille blanche » pour la conception du moteur. Celui-ci est, en effet, une « simple » évolution de la mécanique du Type 35 B, dotée de deux soupapes par cylindre inclinées à 96 degrés. S’il est avant tout destiné à la compétition, tout comme les précédents Types 35 et 38, il est, toutefois, lui aussi, proposé à la vente (même si, évidemment, il est, avant tout, destiné aux « gentlemen-drivers », c’est-à-dire aux pilotes amateurs qui ne sont attachés à aucun constructeur ou écurie officielle et disputent donc les compétitions en « amateurs » au volant de leur propre voiture).
Etant donné le potentiel de la voiture ainsi que du type et du niveau des épreuves dans lesquelles elle est destinée à courir,comme des performances qu’elle est capable d’atteindre, il va sans dire que le prix de vente auquel elle est affichée n’est pas vraiment ce que l’on pourrait qualifier de « compétitif » : 165 000 francs (alors que la dernière évolution de sa devancière, le Type 35 C, de son côté, était vendue à seulement 140 000 fr). Est-ce dû (là aussi) à un manque de temps et/ou de moyens ? Toujours est-il que premier exemplaire du Type 51, achevé au mois de février 1931, n’est, en réalité, que d’une des 35 C engagées directement par l’usine durant la saison précédente (et qui a, notamment, remportée le Grand Prix d’Europe disputé à Spa aux mains du pilote Louis Chiron) dont on s’est, simplement, contenté de changer la mécanique. Peinte en rouge (alors que la plupart des Bugatti ayant couru sur les circuits ont toujours été peintes en « bleu de France »), cette première (« fausse ») Bugatti 51 se voit confiée à Achille Varzi, qui part disputer, avec elle, le Grand Prix de Carthage en Tunisie, qu’elle remportera avec, même, plus de deux minutes d’avance sur son plus proche concurrent, Fagiolo au volant d’une Maserati. Le premier « véritable » exemplaire du Type 51, de son côté, sera vendu, peu de temps après, au pilote anglais Earl Howe. Si l’année 1931 sera marquée par le retour de Bugatti sur le devant de la scène de la compétition automobile, avec, à la clé, de nouvelles et nombreuses montées de ses pilotes sur les podiums et donc un large plateau de trophées comme la marque n’en avait plus connu depuis quelque temps déjà, cette « saison de renouveau » ne sera, malheureusement, qu’un « feu de paille » pour le constructeur de Molsheim.
Car c’est maintenant au tour de l’un de ses principaux concurrents, Alfa Romeo, de revenir, lui aussi, à l’avant-scène, la firme milanaise dévoilant, elle aussi, à la fin de cette même année 1931, son « arme fatale », la Tipo B, qui passera à la postérité sous l’appellation P3. Le terme « d’arme fatale » ne semble pas vraiment exagéré, surtout s’agissant des Bugatti. Au vu de ce que sera, une fois celle-ci lancée sur les pistes, la situation des voitures de Molsheim, il n’est pas exagéré de dire que ce nouveau bolide « né sous le signe du trèfle » semble avoir été conçu par l’ingénieur Jano comme une « tueuse de purs-sangs ». Le vent semble ainsi, une nouvelle fois, tourner pour le constructeur alsacien, dont le ciel va d’autant plus s’assombrir que celui-ci commence alors à connaître une situation financière qui se dégrade de façon préoccupante.
Philippe ROCHE
Photos WIKIMEDIA
Une autre Bugatti https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/05/bugatti/