DARRACQ - Pionnier et étoile filante de l'automobile française.

DARRACQ – Pionnier et étoile filante de l’automobile française.

C’est en 1855, au début du Second Empire, qu’Alexandre Darracq voit le jour à Bordeaux. Après avoir débuté dans la vie professionnelle au sein de l’arsenal de Tarbes (dans les Hautes-Pyrénées), en tant que dessinateur industriel, il entrera au service de l’entreprise Hurtu (laquelle se lancera, plus tard, elle aussi, dans la production automobile, mais qui, en cette seconde moitié du 19e siècle, fabrique alors des machines à coudre). Talentueux, il obtiendra pour ses travaux, la médaille d’or au salon de Paris, un prix qu’il partagera avec l’un de ses collègues, Paul Aucoq.

En 1890, il se met, pour la première fois, à son compte, en créant une société spécialisée dans les articles pour la conservation du vin (ce qui n’est guère étonnant pour un homme originaire de la région bordelaise). Une première expérience qui s’avérera, toutefois, peu concluante. Il décide alors, dès l’année suivante, de s’associer avec son ancien collègue Aucoq, avec qui il fonde l’entreprise Gladiator, spécialisée dans la production de bicyclettes. Lesquelles remporteront vite un très beau succès, au grand dam des fabricants anglais, qui dominaient jusqu’ici le marché européen. A tel point qu’un groupe franco-anglais (au sein duquel figure, entre autres, l’un des pionniers français de l’automobile, Adolphe Clément) leur propose de racheter leur affaire et, au vu de la somme qui leur est offerte, les deux hommes n’hésitent pas longtemps avant de dire oui.

Cette dernière décennie du XIXe siècle étant celle de la genèse de l’industrie automobile (en France comme dans d’autres pays d’Europe), il n’est donc guère étonnant que Darracq dont les centres d’intérêt ne se limitent pas à la conception et à la fabrication de vélos, commence alors à s’y intéresser. Face à ce nouveau moyen de locomotion que l’on commence tout juste à voir apparaître dans les rues des grandes villes de France et d’Europe, nombreux sont les constructeurs qui hésitent encore sur le mode de propulsion à adopter. Pétrole (l’on ne parle, en effet, pas encore d’essence à l’époque) ? Vapeur ? Electricité ? En tout cas, un certain nombre d’entre-eux testeront et adopteront, successivement (ou, parfois même, simultanément) ces différentes solutions, avant de les abandonner (s’agissant des deux dernières), une fois que la technique du moteur à essence se sera développée et aura été fiabilisée.

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Si, pour la première automobile qu’il créera, Alexandre Darracq se laisse tenter de suivre la voie de l’électricité, cela sera pourtant une erreur. La voiture en question n’atteignant qu’une vitesse de 15 km/h à peine et avec une autonomie de quatre heures à peine. Réalisant sans doute alors les limites de cette technique (en tout cas à l’époque), Darracq tourne alors le dos à l’électricité et adopte (comme la plupart des autres constructeurs l’ont déjà fait ou le feront par la suite) la solution du moteur à pétrole.

N’ayant alors pas encore les moyens de concevoir et, surtout, de produire ses propres moteurs, il fait alors appel, ainsi que le font déjà, à l’époque, un certain nombre d’autres constructeurs, débutant ou étant déjà bien établis dans le paysage automobile français (même s’il est vrai que celui-ci est encore au stade « embryonnaire »), il se fournira auprès de l’un des pionniers dans ce domaine : la firme De Dion-Bouton. Si les premiers tricycles et quadricycles produits par la firme permettent de lui apporter une certaine notoriété, malheureusement pour Darracq, les modèles qui suivront (une voiturette ainsi qu’un autre tricycle, tous deux équipés d’un moteur monocylindre) ne connaîtront pas le succès escompté. Sans doute, en grande partie, par la faute d’une concurrence qui commence déjà à se montrer plutôt féroce sur un marché encore assez réduit et pourtant déjà assez encombré.

Alexandre Darracq ne baisse pas, pour autant, les bras et met alors en chantier l’étude d’une nouvelle voiturette, mais dont la conception se veut, cette fois-ci, nettement plus ambitieuse. Dévoilée à l’occasion du Salon automobile de Paris en 1901, elle ne manque pas, en effet, d’attirer l’attention des observateurs par son moteur (toujours à architecture monocylindrique, mais dont la cylindrée atteint, à présent, les 785 cc), placé à l’avant, sa transmission assurée par un arbre à double cardan et complétée par une boîte de vitesses dont la commande se trouve placée sous le volant ainsi qu’un système de freinage digne de ce nom. (Il n’est pas inutile d’insister sur ce dernier point, lorsque l’on sait qu’en ce tout début du XXe siècle sur la plupart des automobiles et autres véhicules à moteur à pétrole, les freins n’ont pour seul mérite que celui d’exister. Et avoue assez rapidement leurs limites en usage intensif, lorsqu’ils ne sont pas, tout simplement, inefficaces). Le châssis de cette nouvelle voiturette, qui reçoit la dénomination Type C, ayant, en outre, été conçu afin de pouvoir s’adapter, quasiment, à tous les types de carrosseries existants à l’époque.

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Autant de raisons qui permettront à ce nouveau modèle de rencontrer, dès sa présentation, un très beau succès auprès du public A tel point que ce seront, au total, pas moins de 1 200 exemplaires qui en seront produits, ce qui représente un chiffre fort important à une époque où (il faut le rappeler) les automobiles, même les plus modestes, sont encore réservées à une élite et où la production à la chaîne (telle que l’inventera plus tard Henry Ford) n’a pas encore fait son apparition (et où toutes les automobiles sont encore produites selon des méthodes qui restent fort artisanales).

Pour en revenir à l’entreprise Gladiator, qu’Alexandre Darracq avait créée avant qu’il ne se lance dans l’aventure automobile et qu’il n’était encore, simplement, que fabricant de bicyclettes, celle-ci, rebaptisée Clément-Gladiator, se lancera, elle aussi dans l’automobile (tout en continuant la production des vélos). En 1903, Adolphe Clément décidera, cependant, de mettre fin à l’association qui le liait avec Gladiator. La conséquence de cette rupture sera la perte du droit d’utilisation de son nom pour les automobiles qu’il produira par la suite. Il parviendra, néanmoins, à contourner cette interdiction en accolant à son patronyme celui de Bayard (en référence au célèbre chevalier Bayard). Après son rachat par la firme Vinot & Deguingans en 1909, la firme Adolphe-Clément  retrouvera son nom originel de Gladiator « tout court ». Laquelle poursuivra la production automobile jusqu’à sa disparition en 1920.

Afin de maintenir et, même, de renforcer cette notoriété nouvellement acquise, Alexandre Darracq décide, assez naturellement, d’inscrire ses voitures en compétition. Celle-ci étant alors un passage quasiment obligatoire pour la grande majorité des  constructeurs, les différentes épreuves de l’époque leur permettant de faire la démonstration de la fiabilité ainsi que de la robustesse de leurs machines. Pour ses voitures de compétition (lesquelles, en tout cas, à leurs débuts, restent encore assez proches des modèles de tourisme), Darracq privilégie la recherche du meilleur rapport poids-puissance à celle de la « puissance pure ». Un choix assez singulier par rapport à celui que font alors la majorité de ses concurrents, mais qui sera révélera, pourtant, judicieux, car il permettra aux voitures de la marque de s’imposer, à de nombreuses reprises, face à des rivales à la cylindrée plus imposante.

Alexandre Darracq ne se contente, toutefois, pas de sa nouvelle activité de constructeur automobile, puisqu’il fonde (et préside) également la Chambre Syndicale du Cycle et de l’Automobile et, à ce titre également, il représente alors une figure incontournable de cette industrie en France.

Pour en revenir aux modèles de tourisme de la firme, en 1902 (un an, donc, après le Type C) est présentée le Type F, motorisé, lui aussi, par un monocylindre placé en position verticale, il présente, lui aussi, son lot d’innovations, avec un allumage électrique ainsi qu’un système permettant de réguler, de manière automatique, l’admission des gazs. Un dispositif alors inédit sur une automobile de l’époque et qui présente l’avantage (non négligeable, y compris à l’époque) de réduire la consommation en carburant. Le premier modèle doté d’un moteur à quatre cylindres (une architecture qui, pour rappel, en ce début des années 1900 reste encore réservée aux voitures de grosse cylindrée) faisant également son apparition cette même année 1902. Celle-ci étant (sans grande surprise) une voiture destinée exclusivement à la compétition. A l’image de ses devancières qui s’est illustrée sur les circuits et les pistes des plus grandes épreuves de l’époque, elle aussi parviendra à récolter un nombre non négligeable de trophées dans un grand nombre d’entre-elles.

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Alors que la marque n’existe que depuis cinq ans à peine, elle présente, pourtant, déjà une gamme assez pléthorique. Si celle-ci comprend toujours, comme à ses débuts, des tricycles et quadricycles, s’ajoutent également à ceux-ci des voitures à moteur mono et bicylindre, ainsi, au haut de gamme, que deux imposantes quatre cylindres de 20 et 24 HP. Bien qu’indépendamment de l’architecture de leurs motorisations, leurs caractéristiques techniques varient suivant les modèles concernés, tous présentent, toutefois, un certain nombre d’éléments en commun. A savoir une boîte de vitesses équipée de trois rapports et dont la commande se trouve toujours placée sous le volant, une batterie et une bobine qui assurent toutes deux le système d’allumage du moteur ainsi que des soupapes d’admission automatique et un système de graissage mécanique.

Le succès commercial remporté par les voitures produites par Alexandre Darracq s’expliquant, à la fois, par leur fiabilité, leurs qualités routières ainsi que leurs très bonnes performances, sans compter (évidemment) les victoires qu’elles remportent dans la majorité des épreuves où elles se trouvent engagées. C’est d’ailleurs, avant tout et surtout, en prévision des épreuves les plus prestigieuses (lesquelles sont, aussi, souvent, les plus difficiles, tant pour les voitures que pour leurs pilotes) que sont conçus les modèles les plus ambitieux produits par la firme. Notamment le Type MM, dont le quatre cylindres atteint la monumentale cylindrée de 11,2 litres, avec une puissance de 100 HP, créée en prévision de la Coupe Gordon-Bennett en 1904.

Malheureusement pour le constructeur, aucune des trois voitures inscrites ne terminera l’épreuve ! Un  échec qui sera, cependant, assez largement compensé par la victoire du même modèle lors de la Targa Floro, où elle se hisse à la quatrième place. La même année, la gamme de voitures de tourisme se voyant aussi renouvelée par l’apparition de deux nouveaux modèles à quatre cylindres, de 15 et 24 HP. La première se singularisant par son moteur équipé de soupapes symétriques et d’un châssis « bois cuirassé » dont la firme a, d’ailleurs, déposé le brevet. La seconde, quant à elle, recevant une motorisation équipée de soupapes commandées par culbuteurs et un châssis réalisé en acier.

Preuve de l’importance acquise par la firme Darracq, non seulement sur le plan de l’image de marque, mais aussi du point de vue des chiffres de production, en 1904, celle-ci représente, à elle seule, 10 % des automobiles produites en France cette année-là.

L’engagement de la marque dans le monde de la course automobile se poursuit avec sa participation à la nouvelle édition de la coupe Gordon-Bennett l’année suivante (en 1905 donc). Est-ce parce qu’en dépit d’un moteur de taille « respectable » (9,89 litres) et qui a, en outre, été spécialement conçu en vue de celle-ci, la voiture engagée par la marque présente, pourtant, la plus faible cylindrée parmi toutes les voitures participantes à l’épreuve ? En tout état de cause, elle ne parviendra à se hisser qu’à la quatrième place.

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Une performance « moyenne » qui sera, toutefois, suivie, peu de temps après, par une victoire à la deuxième édition de la Coupe Vanderbilt. Peu de temps après, Victor Hémery, le vainqueur de cette dernière, ajoutera un nouveau trophée à son palmarès (ainsi qu’à celui de la firme Darracq) en remportant, à Ostende, son premier record du monde de vitesse à plus de 176 km/h. La voiture qui lui a permis de battre ce record étant un véritable « monstre » en termes de cylindrée, digne d’entrer dans le Livre des Records, puisque la cylindrée de son V8 (réalisé à partir de deux blocs quatre cylindres provenant du Type MM) atteint, en effet, rien moins que 22,5 litres ! Les voitures de course réalisées par Darracq remporteront, d’ailleurs, la même année, d’autres trophées sur les circuits belges. Il en sera, ainsi, à la course de côte de Chênée et sur le Circuit des Ardennes à Bastogne.

Non seulement par le succès commercial remporté par les voitures portant son nom, mais aussi grâce à ses talents de gestionnaire, Alexandre Darracq peut aussi se vanter d’être à la tête d’une entreprise à la santé financière particulièrement saine. En ce milieu des années 1900, il n’entend, à présent, plus se limiter à la production d’automobiles, mais se diversifie également dans la production d’omnibus, de fourgons de livraison ainsi que de poids lourds. Une diversification dans le domaine des utilitaires pour laquelle il s’associera avec Léon Serpollet, connu pour être le principal défenseur de la technique du moteur à vapeur en France. Une nouvelle filiale, baptisée du nom des deux associés (Darracq-Serpollet) est alors créée, avec une nouvelle usine, située juste à côté de celle qui assure la production des voitures. Une nouvelle activité qui, elle aussi, deviendra rapidement fort prospère, puisque sa production atteindra jusqu’à 1 500 châssis par an.

Malheureusement pour lui, Léon Serpollet n’aura pas l’occasion d’assister à ce triomphe des utilitaires à vapeur (une technique dont il était resté, jusqu’à la fin, l’un des plus fervents adeptes et défenseurs en France). Il sera, en effet, emporté par un cancer à la gorge en 1907, alors qu’il n’avait que 52 ans seulement. Dans le domaine des utilitaires comme dans celui des voitures de tourisme, la vapeur finira, là aussi, par être supplantée par le moteur à explosion.

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Alors que l’entreprise automobile qui porte son nom n’a pas encore atteint ses dix ans d’existence, il est, cependant, déjà devenu un acteur incontournable sur le marché français. Beaucoup de ses concurrents, une fois arrivés à ce stade de la réussite industrielle et commerciale, s’en seraient sans doute tenu là, en se contentant, dès lors, de « se maintenir à la place » qu’ils ont réussi à se faire sur leur marché intérieur. Alexandre Darracq, de son côté, a, toutefois, d’autres projets, ainsi que de plus grandes ambitions et entend bien  s’étendre également au-delà des frontières de la France. Plus précisément, de l’autre côté des Alpes.

C’est ainsi que la filiale italienne, qui reçoit l’appellation de Societa Anonyma Italiena Darracq, est fondée en 1906. D’abord installée à Naples, elle déménagera toutefois, très peu de temps après, à Milan, où elle s’installe dans une usine flambant neuve où seront produits les modèles Darracq à deux et quatre cylindres. La gamme transalpine n’étant, cependant, pas identique au catalogue français, la clientèle italienne se voyant ainsi proposée seulement les voitures de 8 à 16 HP.

Quoi qu’il en soit et malheureusement pour Alexandre Darracq, l’accueil de la part des Italiens ne sera pas vraiment à la hauteur de ses espérances. Une grande partie, parmi ces derniers, reprochant, en particulier, aux voitures de la firme d’être inadapté au réseau routier italien (en particulier s’agissant de l’état des routes). Comprenant ou étant convaincu, assez rapidement, que ses voitures ne pourront sans doute jamais connaître un succès comparable à celui qu’elles connaissent au nord des Alpes, il décide, finalement, de jeter l’éponge. La filiale italienne étant alors rachetée par un groupe d’hommes d’affaires locaux (originaires de Milan ou de Lombardie en général), qui rebaptise l’entreprise Anonyma Lombarda de Fabbrica di Automobili. En 1918, l’industriel Nicola (sans « S » lorsqu’il est écrit à l’italienne) Romeo prendra la tête de la société, à laquelle il accolera alors son nom, laquelle recevra alors le nom sous laquelle elle est toujours connue aujourd’hui :… Alfa Romeo !

Heureusement pour son fondateur, la situation de la firme sur sa terre natale s’avère nettement meilleure et continue même à être florissante. Cette même année 1906, plusieurs nouveaux modèles, à deux et quatre cylindres, allant d’une populaire 10 HP jusqu’à 40 HP. Peu de temps après, la marque présentera également son premier modèle équipé d’un moteur six cylindres, lequel est, toutefois (et curieusement) encore équipé d’une transmission par chaîne, alors que toutes les autres Darracq sont déjà équipées d’un arbre de transmission.

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Si, s’agissant des ventes de ses voitures, celles-ci se portent toujours fort bien, ans le domaine de la course automobile, 1907 verra, malheureusement, la firme connaître une série de revers, les victoires se faisant, ainsi, plus rares, alors qu’elle avait, pourtant, encore récolté de beaux succès l’année précédente. Bien que Darracq (à l’image de ses rivaux) ait bâti une grande partie de son image de marque sur ses victoires en course, celle-ci nécessite des investissements de plus en plus importants pour lutter contre une concurrence toujours plus féroce. (Sans compter le fait que la plupart des voitures de course conçues par la marque n’avaient qu’un rapport indirect et lointain avec les modèles « civils »). Ceci, outre des trophées devenus plus rares, explique certainement que le constructeur prenne, en 1908, la décision d’abandonner la compétition.

Parallèlement, la gamme continue de s’étendre et de se renouveler avec, entre autres, la présentation d’une voiturette 5/7 HP motorisée par un monocylindre et, à l’autre extrémité de l’éventail, d’une imposante 40/50 HP, doté d’un six cylindres de 9,8 litres. Est-ce à cause d’une concurrence toujours aussi nombreuse et âpre sur le marché des voitures de tourisme ou d’une gamme probablement devenue « trop riche » ? Sans doute ces deux éléments ont-ils fini par faire pencher la balance en défaveur de la firme, même si d’autres facteurs sont probablement aussi entrés en jeu. Toujours est-il qu’à partir de cette année 1908, les ventes de la marque commencent à stagner et, même, à descendre (lentement, certes, mais de manière manifeste).

Il est vrai que la stratégie commerciale développée par Darracq semble, à présent, commencer à montrer ses limites et, si elle a longtemps fait son succès, elle semble, toutefois, ne pas (ou ne plus) être infaillible. L’une des principales erreurs commises par Alexandre Darracq étant, manifestement, au fur et à mesure qu’il commercialisait de nouveaux modèles, de ne pas avoir mis fin à la production des anciens. Ceux-ci restant, en effet, en production, bien qu’avec des modifications et améliorations régulières au fil du temps. Ce qui a, toutefois et inévitablement, pour effet de rendre l’offre quelque peu confuse aux yeux d’une partie des acheteurs, lesquels ont, dès lors, parfois du mal à porter leur choix sur un modèle précis.

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Automobil av märket Darracq.

L’une des premières conséquences de ce ralentissement de la production est qu’un seul nouveau modèle sera présenté au cours de l’année 1908, même s’il est vrai qu’il s’agit d’une imposante six cylindres de 25/30 HP. S’agissant de cette dernière, sa particularité est qu’à l’image de la plupart des voitures de l’époque, le changement des vitesses s’opère, à présent, par un levier latéral et non plus par une commande au volant, comme cela avait été le cas sur toutes les Darracq depuis le premier modèle à essence, présenté en 1901. Par la suite, l’ensemble des modèles de la marque se rallieront à ce nouveau dispositif.

Quant à la nouvelle 10 HP, qui sera dévoilée, en 1909, elle sera la première Darracq à voir son moteur équipé d’un système de graissage sous pression (nettement plus efficace pour que le système à barbotage encore utilisé par la plupart des voitures de l’époque). Parmi les deux nouvelles qui feront leur apparition au catalogue en 1910, la plus imposante, la bicylindre 20 HP sera le premier, dans l’histoire du constructeur, à bénéficier d’une boîte à quatre vitesses. L’année suivante, les derniers modèles à mécanique monocylindre, les 8 et 10 HP, sont supprimés de la gamme, ainsi que les 10 et 12 HP à moteur bicylindre, remplacés par deux modèles à la puissance identique, mais dont le moteur est désormais un quatre cylindres.

Si elles n’ont rien à envier en termes de qualités à leurs devancières et bien qu’elles fassent toujours honneur aux atouts qui avaient fait la réputation de la firme Darracq, ces nouveaux modèles n’obtiendront, toutefois, pas le même succès. A l’autre extrémité de la gamme, les luxueuses 20 HP à quatre cylindres et 30 HP à quatre cylindres voient, elles aussi, leurs ventes baisser. Aux yeux d’une part importante de la clientèle, la qualité de construction ainsi que la robustesse des modèles produits par un constructeur ne semblent plus être des critères prépondérants. Ou, en tout cas, ceux-ci ne sont plus ni les seuls, ni, même, les premiers à entrer en ligne de compte dans l’achat d’une automobile. De plus en plus d’acheteurs semblant, en effet, chercher, à présent, une voiture qui leur permettent de se distinguer de la majorité des autres automobilistes.

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Bien qu’il a su faire preuve, à plusieurs reprises, sur ses voitures d’un certain avant-gardisme technique, la conviction d’Alexandre Darracq est qu’il faut pousser plus loin l’innovation. Il fait alors l’acquisition de la licence de fabrication du moteur Henriod. Laquelle sera appliquée pour deux des nouveaux modèles de la marque, tous deux motorisés par une mécanique à quatre cylindres, la 16 ainsi que la 20 HP. Malheureusement pour Darracq, ce choix s’avérera une erreur, non seulement sur le plan commercial, mais aussi du point de vue technique, le moteur Henriod présentant de problèmes récurrents et, parfois, assez importants en matière de fiabilité. Aux difficultés financières ainsi qu’à la concurrence d’un grand nombre d’autres constructeurs français qui assaillent de plus en plus sa société s’ajoutent bientôt des problèmes de santé.

Autant de raisons qui conduisent finalement Alexandre Darracq à décider de se retirer, purement et simplement, de l’industrie automobile. Il est vrai qu’en ce début des années 1910, il se trouve, à présent, à la tête d’une fortune considérable qui lui apporte la garantie de vivre confortablement durant le reste de sa vie. Il revend alors la firme à un groupe industriel britannique, laquelle rachète, à la fois, la maison-mère française avec l’usine de Suresnes, mais également la filiale anglaise. Owen Clegg prenant alors la direction de l’une et de l’autre. L’une des premières décisions de ce dernier est d’abandonner la production des modèles à moteurs sans soupapes, aussi peu fiables que non rentables, par de nouveaux modèles équipés de mécaniques conventionnelles (à soupapes donc).

L’éclatement de la Première Guerre mondiale, à peine deux ans après le rachat de Darracq, oblige toutefois l’usine de Suresnes à se reconvertir dans la production de moteurs d’avions et d’armement. Même si elle continuera toujours à produire, occasionnellement, des voitures destinées aux officiers de l’Armée française. Le bureau d’études étant, semble-t-il, toutefois, parvenu à continuer, sur son « temps libre » l’étude de véhicules à usage « civil », puisque le premier modèle de l’après-guerre, le Type V, produit par le constructeur sera dévoilé quelques semaines seulement après l’armistice.

Peu de temps après est également présenté celle qui sera la première Darracq à bénéficier d’un moteur V8, ainsi que de freins sur les quatre roues (ce qui, au tout début des années 1920, était encore assez rare, même sur les voitures de prestige). Si les voitures seront, par la suite, vendues sous le nom de Talbot-Darracq, le nom de son fondateur disparaîtra toutefois en 1922 (en tout cas en France) pour laisser place à celui de Talbot « tout court » (même si le nom de Darracq subsistera sur les modèles produits à Suresnes qui seront vendus sur le marché britannique jusqu’en 1938.

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En 1934, suite à la crise économique survenue aux Etats-Unis en 1929 et qui s’est rapidement étendue à l’Europe, Owen Clegg se voit obligé de jeter l’éponge. La filiale britannique est alors rachetée par le nouveau groupe automobile fondé par les frères William et Reginald Rootes, tandis que celle située en France est rachetée par l’industriel italien Anthony Lago, qui produira alors à Suresnes les célèbres et luxueuses Talbot-Lago. Une nouvelle aventure qui durera jusqu’à la fin des années 50. De l’autre côté de la Manche, le nom de Talbot se verra associé, à partir de la seconde moitié des années 30, à celui de Sunbeam, avec laquelle elle formera la « division sportive » du groupe Rootes. En 1955, sans doute pour des raisons de clarté vis-à-vis du public ainsi que de simplification de l’offre, le nom de Talbot est supprimé, les modèles portant alors uniquement le nom de Sunbeam.

Alexandre Darracq, de son côté, après avoir vendu son entreprise, se retire dans le sud de la France, où il se consacrera, entre autres, à l’immobilier. Il faut mentionner que, bien que malgré sa réussite en tant que constructeur automobile ainsi que les qualités des voitures qu’il a produites sous son nom, Alexandre Darracq n’a, pourtant (et paradoxalement), jamais été un grand passionné d’automobiles. Outre le fait qu’il n’aimait guère se déplacer en voiture, il ne passa jamais son permis de conduire non plus ! A ses yeux, l’automobile n’était ainsi qu’un moyen de faire des affaires ainsi qu’un produit comme un autre. (En ce sens, il fut le précurseur d’un certain nombre des PDG qui sont à la tête des groupes automobiles d’aujourd’hui).

C’est au sein de la Principauté de Monaco qu’il décédera en 1931, huit jours à peine avant son 76e anniversaire. (C’est toutefois, à Paris, au cimetière du Père-Lachaise, qu’il sera inhumé, aux côtés de son épouse, à laquelle il aura survécu onze ans).

Philippe ROCHE

Photos Wikimedia

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