NASH-HEALEY – Les aventures de Pininfarina à Kenosha (partie III).

Comme lors de la première victoire mancelle (laquelle avait, en partie, donné naissance à la première génération de la Nash-Healey), le président de Nash (lequel croit alors, manifestement, toujours dans le potentiel commercial de la Nash-Healey et donc dans ses chances de parvenir à séduire les amateurs de conduite sportive sur le marché américain) demande aussitôt Mead Moore, l’ingénieur en chef de la firme de Kenosha, de concevoir une nouvelle version plus musclée du six cylindres « maison ». Laquelle offrirait alors (enfin) les performances adéquates lui permettant, ainsi, de se mesurer sans (trop) de difficultés au félon britannique (lequel, en plus d’être devenue, quasiment dès son lancement, la référence incontournable de sa catégorie est aussi véritablement devenue la cible à abattre pour tous les constructeurs concurrents, beaucoup tentent alors de la copier (mais très peu d’entre-eux parviendront à l’égaler, quant à la surpasser…).

NASH-HEALEY - Les aventures de Pininfarina à Kenosha (partie II).

Le moteur (créé, à l’origine, pour la paisible et statutaire Ambassador) voit alors sa cylindrée portée à 4 150 cc et son alimentation confiée désormais à deux carburateurs Carter (lesquels viennent remplacer les SU d’origine britannique montés précédemment), permettant ainsi de faire grimper sa puissance à 140 chevaux. Si cette version à hautes performances n’est encore qu’une option lorsqu’elle fait son apparition au catalogue du constructeur au cours de l’année-modèle 1952, elle sera ensuite montée de série sur la Nash-Healey à compter du millésime suivant (devenant alors la seule motorisation disponible). Recevant (toujours en hommage à la victoire remportée au Mans) l’appellation Le Mans Dual Jetfire, elle permet à celle-ci d’atteindre (dans des conditions de route optimales) la barre des 180 km/h.

George Mason ne s’arrête toutefois pas là et, toujours afin de mieux rappeler au public en général et en particulier à la clientèle à laquelle s’adresse la Nash-Healey sa troisième place sur le podium du circuit de la Sarthe, présente également, au sein de la gamme du millésime 1953, une nouvelle carrosserie coupé (dont le châssis reste identique à celui du roadster et dont il reprend d’ailleurs la plupart des éléments de carrosserie). Même s’il est vrai que l’essentiel de l’opération a consisté, pour Pininfarina, à « coiffer » d’un tout l’habitacle du roadster, il n’en reste pas moins que la ligne originelle ne s’en trouve, en aucun emanière, dénaturée, ce qui prouve bien que le carrossier italien peut se vanter d’avoir signé, une nouvelle fois, une très belle réussite (même si l’on peut regretter qu’elle soit restée injustement méconnue par rapport à celles réalisées, à la même époque, pour la firme de Maranello). Le seul vrai défaut de la transformation du roadster en coupé étant une légère prise de poids, le coupé Le Mans accuse, en effet, 120 kg de plus sur la balance par rapport au roadster (soit 1 348 kilos au total). Ce dernier restant d’ailleurs toujours proposé au catalogue, sous la nouvelle appellation de « convertible ».

Si l’élégance du coupé (que certains, au sein de la presse automobile comme du public, jugent même supérieure à celle de la version décapotable) lui permettra de rapporter l’un des plus prestigieux concours d’élégance européen, celui de Stresa en Italie (où la concurrence était pourtant rude, puisque celui-ci comptait pas moins de 150 participants, cette autre victoire (sur les tapis rouges, cette fois) n’aura, malheureusement et bien que le constructeur ne se privera évidemment pas d’en faire la publicité, aucune incidence positive sur ses ventes.

Il est vrai que le prix de vente a, lui aussi, augmenté en même temps que les performances (cette optimisation mécanique ayant un coût que le constructeur se voit, assez logiquement, obligé de répercuter sur ses tarifs). Alors qu’elle n’avait, dès le lancement de la première série, en 1951, jamais vraiment été très bon marché, la Nash-Healey en version Le Mans, affichée à 5 900 dollars (soit le double du prix du plus cher des modèles de tourisme de la marque, l’Ambassador avec la carrosserie Hardtop Coupe) et autant qu’une limousine Cadillac de la série Seventy-Five dans son plus haut niveau de finition. Nul doute que les comptables du constructeur de Kenosha, les hommes du Service Commercial ainsi que George Mason lui-même n’ont sans doute pas manqué de hausser les sourcils (pour ne pas dire écarquiller les yeux) en découvrant le tarif auquel, il leur faudrait vendre leur belle sportive, habillée de sa robe de haute couture ialienne, pour que sa production soit véritablement (ou, plutôt, un tant soit peu) rentable.

A un tel niveau, l’acheteur américain (fortuné, cela va sans dire) n’a que l’embarras du choix parmi les sportives européennes de prestige et qu’en ce qui concerne le rapport prix/performances, la Nash-Healey, malgré des performances très honorables (surtout à une époque où, il faut le rappeler, les voitures se montrant capables de franchir la barre, très symbolique, des 200 km/h se comptaient encore, quasiment, sur les doigts d’une main) n’était, malheureusement pour elle, pas la mieux lotie du lot.

Dès lors, il n’est guère étonnant (et même assez prévisible) qu’il n’y ait eu, en tout et pour tout, que 162 clients à avoir franchi le pas (un total qui comprend, à la fois la production du coupé Le Mans ainsi que celle du cabriolet). Face à ce résultat quelque peu décevant (pour dire le moins), d’aucuns, au sein des actionnaires de Nash, ont de quoi faire la grimace (ce que l’on peut comprendre sans mal, d’autant que, dans le même temps, les ventes des modèles de tourisme « classiques » du constructeur connaissent une baisse assez nette, passant ainsi de 152 000 exemplaires pour l’année-modèle 1952 à 119 000 seulement pour le millésime suivant, soit une baisse de la production annuelle de 21 %). Certains en venant sans doute même à remettre ouvertement en cause, l’utilité réelle de poursuivre cette aventure dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle ne s’est pas vraiment avérée concluante sur le plan commercial et donc à remettre, tout simplement en cause, devant George Mason lui-même le maintien en production de la Nash-Healey.

Si ce dernier, en plus d’avoir été (avec Donald Healey) l’homme à l’initiative de sa création, en a, aussi été le plus ardent défenseur, même sans les critiques acerbes de son conseil d’administration, le patron de Nash n’a toutefois qu’à examiner les chiffres de vente de la Nash-Healey pour constater et s’avouer à lui-même que celle-ci avait, clairement, manqué sa cible. S’il décide pourtant de la reconduire au catalogue du millésime 1954, Mason peut toutefois émettre (en tout cas, intérieurement, de sérieux doutes sur le fait que cette nouvelle année-modèle puisse être véritablement meilleure pour celle)ci et donc changer la donne).

Lorsque les modèles Nash du millésime 1954 sont dévoilés au public, en mars de cette année-là, si la suppression pure et simple de la Nash-Healey n’est peut-être alors pas encore décidée, elle est, en tout cas, déjà sérieusement envisagée. Est-ce parce que le coupé Le Mans présente un caractère (sensiblement) moins radical que le roadster ou qu’il s’est (légèrement) mieux vendu que le roadster (ou les deux) ?

Toujours est-il que pour ce qui sera son dernier millésime, la Nash-Healey n’est plus proposée qu’avec la première des deux carrosseries mentionnées. Ces ultimes coupés Le Mans se reconnaissant à ses vitres de custode en forme de trapèze, ses montants inversés à l’arrière du pavillon de toit ainsi que sa lunette arrière panoramique divisée en trois parties (par deux fines baguettes chromées placées aux courbures de celles-ci).

Si le constructeur (conscient que le prix de vente assez prohibitif du coupé Le Mans, approchant de la barre des 6 000 dollars, avait fortement joué en sa défaveur et expliquait, tout du moins, en grande partie, son manque de succès) avait fait l’effort louable d’abaisser (sensiblement) son prix de vente à un peu plus de 5 100 dollars « seulement » (soit une réduction de 770 dollars, ce qui est loin d’être négligeable), cet effort restera finalement vain et, malheureusement pour la firme de Kenosha, ainsi que pour son président, n’aura donc aucune conséquence (bénéfique) sur les ventes. Ce ne seront, en effet, en tout et pour tout, que 90 exemplaires du coupé Nash-Healey Le Mans qui parviendront à trouver preneurs durant ce millésime 1954.

Il est facile d’imaginer la déception (voire l’amertume) de George Mason, ce dernier se voyant alors bien obligé de reconnaître, à lui-même ainsi que devant ces actionnaires que l’aventure ainsi, donc que la tentative de Nash de parvenir à se faire une place sur le marché américain des voitures de sport est, clairement, un échec commercial. La production de la belle américano-anglo-italienne prend fin au mois d’août de cette année-là (même si elle continuera à figurer dans les tarifs ainsi que les brochures publicitaires de la marque jusqu’à la fin de l’année-modèle 54, les ultimes exemplaires restés encore invendus à cette date seront finalement écoulés comme des modèles du millésime 1955).

L’échec est d’autant plus flagrant et amer pour le président ainsi que tous les cadres de Nash qui avaient soutenus le projet lorsqu’ils font le compte de la production de celle-ci dont ils ambitionnaient de faire le porte-drapeau de la firme de Kenosha. Depuis la commercialisation de la première série en 1951, il n’y aura eu, en tout et pour tout que 506 exemplaires produits (très exactement).

Coïncidence assez ironique du destin ainsi que de l’histoire de l’automobile, c’est au moment où la Nash-Healey quitte la scène, la tête basse et sur la pointe des pieds, qu’un nouveau roadster sportif, cette fois-ci aux origines 100 % américaines, apparu sur le marché l’année précédente, « prendra son envol », commercialisé par General Motors au sein de la division Chevrolet et qui aura le privilège d’être la première voiture américaine de série à être habillée d’une carrosserie réalisée en matière synthétique : la Corvette. Si la version originelle se voyait quelque peu handicapée par le manque de puissance et de panache de son modeste six cylindres, dès l’année suivante, la greffe d’un V8 « small block » lui permettra de démontrer l’étendue de son potentiel.

Si cette première génération de la Corvette est encore loin d’être le carton commercial que connaîtront celles qui lui succéderont, elle n’en affichera pas moins des chiffres de production nettement supérieurs à ceux de la Nash-Healey, pour un prix de vente bien plus démocratique. La Corvette pourra également et pendant très longtemps revendiquer le titre de « seule vraie voiture de sport américaine », un titre auquel aurait sans doute aussi voulu prétendre la Nash-Healey mais pour lequel, s’agissant de cette dernière, la légitimité nécessaire lui a toujours, en grande partie, fait défaut.

Entre autres (ou surtout) faute de performances suffisantes (surtout en ce qui concerne la première série, seule la version Le Mans, produite durant les millésimes 1952 à 54 pouvant sans doute véritablement prétendre à l’appellation « sportive »). Si, à la fin de l’été 1954, George Mason a décidé, avec pragmatisme mais non sans regrets, de tourner la page de l’aventure de la Nash-Healey, c’est aussi car le constructeur se trouve alors à un tournant important (voir capital) de son histoire.

En ce milieu des années cinquante, la situation apparaît de plus en plus difficile pour les constructeurs indépendants (voire même intenable pour certains d’entre-eux) face à la domination de plus en plus écrasante des grands groupes (General Motors, Ford et Chrysler). George Mason étant sans doute celui qui a compris le premier et le plus clairement que si les firmes comme Nash voulaient réussir à assurer leur survie, la seule véritable solution qui s’offrait à elles était de s’unir afin de former ainsi un nouveau et quatrième groupe automobile. Les pourparlers entamés depuis quelque temps avec Hudson aboutissant, à la fin du mois d’avril 1954, à la création du groupe AMC (American Motors Corporation, lequel connaîtra toutefois une existence parfois assez mouvementée, en étant, finalement racheté par Renault en 1979, avant de disparaître après son rachat par Chrysler en 1987).

NASH-HEALEY - Les aventures de Pininfarina à Kenosha (partie II).

Mason n’entendait toutefois pas s’arrêter là et ambitionnait même de pouvoir y intégrer deux autres figures emblématiques parmi les constructeurs indépendants encore en activité à l’époque : Packard et Studebaker. Malheureusement pour ces derniers, la disparition subite de George Mason, en octobre 1954, mettra fin, de manière brutale, à ce projet. Son successeur, George Romney, décidant bientôt de miser toutes les ressources et les efforts du groupe sur le créneau au sein duquel celui-ci peut se bâtir une place subite : celle de la voiture compacte bon marché, une stratégie qui portera d’ailleurs rapidement ses fruits. Ce n’est que dans la seconde moitié des années soixante qu’AMC commercialisera à nouveau un modèle sportif, la Javelin, qui s’inscrira au sein d’une nouvelle catégorie alors en pleine expansion : celle des muscle cars.

NASH-HEALEY - Les aventures de Pininfarina à Kenosha (partie II).

Abandonnant, toutefois, de façon définitive, celle des roadsters sportifs (ainsi, quasiment, que l’ensemble des constructeurs américains, la Corvette devenant, avec sa seconde génération, présentée en 1962, une GT destinée à rivaliser avec des montures aussi mondialement réputées que les Ferrari ou la Jaguar Type E), où les constructeurs européens conserveront donc « la part du lion », aussi bien s’agissant des modèles populaires que de prestige. Malgré une apparition remarquée au grand écran, dans le film culte « Sabrina », réalisé par Billy Wilder (resté aussi dans la mémoire des cinéphiles pour avoir dirigé plusieurs des films les plus célèbres de Marilyn Monroe) et avec, dans le rôle titre, la ravissante Audrey Hepburn, sur le plan commercial, en revanche, la Nash-Healey n’a jamais pu prétendre à mieux qu’un rôle de figuration.

Même s’il est vrai que dans sa catégorie, il y eut plus marginale encore que cette dernière, à l’image de la Kaiser-Darrin ou de la Kurtis. A défaut d’avoir connu le succès (qu’elle aurait pourtant méritée) à son époque, comme d’autres américaines mal-aimées, elle connaîtra plus tard, sa revanche sur le marché de la collection, étant, en effet, devenue, aujourd’hui, l’un des modèles les plus convoités de la marque Nash.

Maxime DUBREUIL

Photos WIKIMEDIA

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=YXrPDKw-2iY&ab_channel=LouCostabile

L’épisode 1 https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/09/nash-healey-les-aventures-de-pininfarina-a-kenosha-partie-ii/

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