LINCOLN CAPRI - Comme un parfum d'Italie.
LINCOLN CAPRI HARDTOP COUPE 1955

LINCOLN CAPRI – Comme un parfum d’Italie.

A l’image de Cadillac au sein de la General Motors, Lincoln occupe au sein du groupe Ford (ou de la Ford Motor Company, pour reprendre son nom officiel) le marché des voitures haut de gamme. Les deux constructeurs ayant d’ailleurs en commun le même fondateur : Henry Martin Leland.

En 1917 (quatorze ans après la création de la marque Cadillac, en 1903), ce dernier décide de quitter le groupe GM (auquel celle-ci a été incorporée en 1909) après que William Durant, le président et fondateur de General Motors ait refusé de convertir les usines Cadillac pour la production des moteurs Liberty destinés à l’aviation des forces Alliées. Malgré son grand âge (74 ans déjà à l’époque) et alors que beaucoup d’autres auraient choisi de prendre une retraite bien méritée, Leland décide de créer une nouvelle entreprise, la Lincoln Motor Company.

Grâce à sa réputation bien établie et ses contacts au sein de l’industrie, il parvient à obtenir une avance de 10 millions de dollars afin de faire édifier une usine dont le seul objectif est d’apporter sa contribution à l’effort de guerre (dans laquelle viennent d’entrer les Etats-Unis, au mois de mars de cette même année, après avoir longtemps tenu à rester en dehors du conflit qui ravage alors la plus grande partie de l’Europe). Il n’est donc pas encore question, dans l’esprit de Henry Leland, de se lancer à nouveau dans l’aventure automobile mais bien, uniquement, de pouvoir produire, le plus rapidement possible, les 6 000 moteurs d’avion dont les armées américaines, françaises et britanniques ont alors le plus grand besoin.

Lorsque l’armistice signé à l’automne 1918 annonce la fin de la Première Guerre mondiale, Leland se voit alors obligé de songer, très rapidement, à sa reconversion. (Ceci, d’autant que beaucoup, en Amérique comme en Europe, sont alors fermement convaincus que cette guerre qui vient de s’achever sera « la der des ders » et ne voit pas encore vraiment, à l’époque, d’avenir dans l’aviation commerciale, que ce soit pour le transport de passagers ou de marchandises et n’avaient donc pour vocation que d’être des machines de guerre. En conséquence, l’avion n’avait donc plus vraiment de raisons d’être, que ce soit aux yeux de beaucoup d’industriels ainsi que d’une grande partie du public).

Le vieil homme ne met toutefois pas longtemps avant de trouver la voie à suivre : ayant déjà été à l’origine de la création d’une marque qui est alors déjà devenue une référence parmi les constructeurs américains, il peut, tout aussi, bien en faire de même avec Lincoln, d’autant qu’en plus de sa langue expérience et ses talents de manager, il possède également l’outil industriel nécessaire pour cela : une usine comptant pas moins de 6 000 ouvriers. Si les débuts de la Lincoln Motor Company (un nom choisi par Leland en hommage au premier président américain pour qui il avait voté, Abraham Lincoln et envers qui il avait une grande admiration) en tant que constructeur automobile se déroulent donc sous de très bons auspices, le soufflé va, toutefois, rapidement retombé et les nuages commencer à s’accumuler.

Malgré la haute qualité de fabrication dont elles peuvent s’enorgueillir, la clientèle finit, cependant, par s’en détourner, principalement à cause de lignes ainsi que d’une présentation jugée trop austère ainsi que de délais de livraison souvent fort longtemps (rançon de la fabrication extrêmement soignée des voitures). Tant et si bien qu’en novembre 1921, la nouvelle firme de Henry Leland se voit obligée de cesser ses activités et est rachetée, quelques mois plus tard, par Henry Ford en février 1922.

Un rachat qui est, toutefois, avant tout, dû à l’initiative du fils de ce dernier, Edsel Ford. Formé par son père, bien qu’il n’ait pas encore 30 ans à l’époque (il est né en 1893), en plus d’avoir hérité de son père la passion de l’automobile, fera aussi rapidement la preuve de ses talents de manager ainsi que pour la conception du style des nouveaux modèles du groupe. C’est d’ailleurs afin de mettre en pratique les enseignements qu’il lui a inculqués ainsi que le mettre à l’épreuve que Henry Ford acceptera (à la demande même d’Edsel) de lui laisser la direction de Lincoln (une demande à laquelle il accède avec d’autant plus de facilité que les voitures de prestige représentent un monde qui lui est résolument étranger et auquel il demeure donc, en grande partie, réfractaire).

Edsel FORD

Si, grâce à Edsel Ford, les modèles de la marque Lincoln compteront rapidement parmi les références sur le marché américain en matière de voitures de prestige, la crise économique qui éclate à l’automne 1929 va, malheureusement, mettre fin, de manière brutale, à cet âge d’or. Les constructeurs spécialisés dans le segment des automobiles de grand luxe figureront parmi les principales victimes de cette crise et si, en ce qui concerne Lincoln, le fait d’appartenir à l’un des plus grands constructeurs de Detroit, lui évitera de devoir mettre, comme tant d’autres, la clé sous la porte, ce qui ne l’empêchera toutefois de se retrouver, elle aussi, menacée du même sort. Grâce à la détermination d’Edsel Ford ainsi que le lancement d’un nouveau modèle plus « populaire » (ou, tout au moins, proposé à des tarifs plus attractifs que ceux des autres modèles produits jusqu’ici par le constructeur) qui permettront à la marque de prestige de Ford de se remettre sur les rails et de repartir de l’avant.

Après s’être vu obligé, comme l’ensemble des constructeurs américains, de cesser la production de ses voitures de grand luxe au début de l’année 1942, suite à l’entrée en guerre des Etats-Unis contre le Japon après l’attaque de Pearl Harbor en décembre 1941, pour se consacrer pleinement à l’effort de guerre. Une fois celle-ci terminée, à l’image de la grande majorité des constructeurs américains, Lincoln reprend la production de ses modèles d’avant-guerre, la demande ainsi que les besoins importants en matière de voitures neuves sont alors à ce point important que les nouvelles Lincoln ne seront présentées au public qu’à la fin de l’année 1948. (Ce qui sera aussi le cas des autres marques du groupe, Ford et Mercury ainsi que de la plupart de leurs concurrents).

A cette occasion, Lincoln abandonne aussi le moteur V12, lequel avait pourtant équipé l’ensemble des modèles de la marque depuis 1933 et en revient au plus classique huit cylindres en V (lequel, au cours de la décennie suivante, deviendra la nouvelle norme au sein de l’ensemble des constructeurs américains, qu’il s’agisse des voitures populaires ou de grand luxe). Née à l’époque des « Années Folles » (aussi appelées aux Etats-Unis les « Roaring Twenties ») et après s’être poursuivie durant la décennie suivante, en dépit de la Grande Dépression qui sévissait à l’époque, la mode des moteurs multicylindres prendra fin (aux Etats-Unis, tout au moins) avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale (Cadillac, de son côté, ayant déjà abandonné le moteur V12 en 1937 et le V16 trois ans plus tard, Packard ayant fait de même en 1939). Au sortir du conflit, Lincoln sera d’ailleurs, quasiment, le seul constructeur américain à conserver ce genre de motorisations au sein de sa gamme.

Les nouvelles Lincoln d’après-guerre, proposées à partir du millésime 1949, affichant des lignes entièrement nouvelles, empreintes du nouveau style « ponton intégral » qui représente désormais la nouvelle mode, lequel, en tout cas dans sa forme originelle, vieillira toutefois assez rapidement, au point que Lincoln finira assez vite par se faire distancer par son éternel concurrent, Cadillac, dont le style des nouveaux modèles apparaît beaucoup plus élancé et « dynamique ». A côté de ces dernières, la silhouette des Lincoln des séries L et Cosmopolitan n’est pas sans évoquer celle d’un cétacé ou d’une baignoire renversée (même s’il est vrai que les Lincoln ne sont alors pas les seules à subir ce genre de critiques, qui émanent autant du public que de la presse automobile, les Packard du millésime 1950 se voyant, elles aussi, qualifiées par beaucoup de « has been », d’un point de vue esthétique).

Bien conscients que les lignes des modèles de leur marque de prestige sont désormais clairement passées de mode, les nouveaux dirigeants de Ford ainsi que les stylistes du bureau d’études décident alors de concevoir, en prévision de la présentation des modèles du millésime 1952, une ligne entièrement nouvelle, plus basse, élancée et racée qu’auparavant et qui donne, instantanément, un « coup de vieux » à ceux qui les ont précédés. Lorsque l’on compare le style des Lincoln de l’année-modèle 1952 avec celui des Cadillac contemporaines (ainsi, plus généralement, qu’avec celui des modèles des autres divisions de la General Motors), l’on constate rapidement que les similitudes de lignes générales sont frappantes (sans pour autant que les stylistes de Ford puissent être accusés d’avoir plagié les créations de leurs concurrents).

Parmi les effets de style ingénieux imaginés par les créateurs de la ligne de la Capri figurent la nervure au centre du capot et qui sépare celui-ci en deux parties égales ainsi que les logements placés aux extrémités des ailes avant, évoquant des prises d’air, dans lesquelles se trouvent placés les deux grands phares circulaires. En un sens, les stylistes de Dearborn ont eu l’intelligence de reprendre le dessin des modèles créés, quelques années plus tôt par la GM (ou, pour être plus « exact », de s’en inspirer étroitement tout en l’améliorant, ce qui permettra ainsi de donner aux nouvelles Lincoln de la gamme 1952 leur personnalité propre.

Toujours s’agissant des sources d’inspiration de ces dernières, déjà à l’époque, dans l’automobile comme dans de nombreux autres domaines, les constructeurs s’observent (pour ne pas dire qu’ils s’espionnent) les uns les autres quasiment en permanence. Dès que l’un d’entre-eux présentait un nouveau modèle à la ligne radicalement différente de celle de ses concurrentes, ou même, tout simplement, un gimmick assez original, leurs rivaux ne mettaient alors guère de temps à en réaliser et présenter, à leur tour, leur propre version. En prenant toutefois soin d’y apporter suffisamment de modifications pour éviter de se voir accuser de plagiat par leurs rivaux et que ces derniers puissent donc réclamer des indemnités substantielles. Toutefois, cela explique certainement pourquoi, dans les années 50 et aujourd’hui encore, les non-initiés (entendez par là ceux qui ne connaissent pas ou mal les américaines de cette époque ou qui ne s’intéressent guère au monde de la voiture ancienne en général) confondent facilement une Cadillac avec une Lincoln ou une Chevrolet Bel Air avec une Ford Fairlane (entre autres exemples).

Les ailes arrière, elles aussi, affichent clairement, dans leur dessin, leur inspiration venue du côté de chez Cadillac, avec l’imposante moulure chromée évoquant une prise d’air (factice, elle aussi) disposée en oblique sur la portière ou l’aile arrière (suivant le type de carrosserie) ainsi que le dessin des feux aux extrémités des ailes, lesquels, en plus d’évoquer, là aussi, ceux de leurs concurrents de chez Cadillac, avouent également leur inspiration aéronautique. Les ailes arrière des nouvelles Lincoln s’en distinguent toutefois par leur profil entièrement rectiligne, dépourvues, à la fin de celles-ci, des protubérances (inspirées, paraient-ils, de la queue des avions de chasse de la Seconde Guerre mondiale) que l’on retrouve alors sur les Cadillac de la première moitié de cette décennie.

Bien qu’ayant trouvé (tout au moins, en grande partie) leurs origines chez ces dernières, les Lincoln se présentent toutefois, sur certains aspects, moins « exubérants » et donc (sensiblement) plus sobres dans leurs lignes, sans doute parce qu’à l’image des modèles du groupe Ford dans leur ensemble, elles s’adressent à une clientèle assez conservatrice ou conformiste. Ce qui se reflète d’ailleurs assez bien en observant les nouvelles Lincoln de profil, les flancs conservent ainsi une présentation assez sobre, plus proche de ce que l’on s’attendrait à trouver sur une modeste et populaire Ford six cylindres est affiché à un peu moins de 1 500 dollars, alors que la moins chère des Lincoln, la Cosmopolitan sedan, est vendue plus du double : presque 3 200 dollars). A l’exception de la grande moulure chromée à l’arrière, les seules autres touches de chrome que l’on retrouve sur les flancs sont la longue baguette latérale courant, sans interruption, depuis le passage de roue à l’avant jusqu’à l’extrémité des ailes arrière.

Outre un style de carrosserie entièrement nouveau, le constructeur décide également, à l’occasion de l’année-modèle 1952, de revoir entièrement l’organisation de la gamme. Alors qu’elle désignait, depuis sa première apparition au sein du catalogue Lincoln lors du millésime 1949, la série haut de gamme de la marque, l’appellation se voit, à présent, rétrogradée au rôle de série d’entrée de gamme, celui de la série « supérieure » étant, quant à lui, assuré désormais par la nouvelle série Capri. Un nom qui n’est déjà pas inconnu pour les propriétaires de Lincoln, puisqu’il désignait jusqu’ici la version la plus cossue de la carrosserie coupé sur la série Cosmopolitan.

Par rapport à la marque Cadillac (qui reste son principal concurrent sur le marché américain, Chrysler, si elle propose sa série Imperial dont les modèles peuvent revendiquer un luxe égal à ces dernières, garde encore, toutefois, l’image d’un constructeur « généraliste », Packard, de son côté, amorce alors un lent déclin qui la conduira à disparaître, purement et simplement, du paysage automobile américain en 1958), la gamme Lincoln apparaît, au final, assez réduite, ne comportant, en effet, que deux séries et cinq modèles en tout, contre trois séries et sept modèles en tout pour Cadillac.

Il est vrai qu’en ce début des fifties, c’est bien la division de prestige de General Motors qui tient le haut du pavé sur le marché des voitures de haut de gamme, ne laissant, dès lors, qu’une faible part du gâteau à ses concurrents. Il n’y a qu’à observer les chiffres de production respectifs des deux constructeurs pour s’en rendre compte : alors que Cadillac produira, cette année-là près de 97 000 voitures (toutes séries confondues) contre un peu moins de 32 000 seulement pour Lincoln, soit trois fois moins. La marque n’ayant, en outre, même pas véritablement pu profiter de l’effet nouveauté (comme cela est, pourtant, généralement le cas pour la plupart lorsqu’ils présentent des modèles aux lignes entièrement renouvelées), puisque le constructeur n’est parvenu à produire que 6 600 voitures de plus que durant l’année-modèle 1951 (le dernier millésime de production de l’ancienne lignée inaugurée en 1949).

Un « désintérêt » ou une sorte de « désamour » de la part d’une grande partie du public qui est d’autant plus difficile à comprendre qu’objectivement, qu’il s’agisse de l’esthétique, des performances, de la tenue de route, des équipements et du confort, les Lincoln n’ont rien ou pas grand-chose à envier à leurs rivales (qu’il s’agisse des Cadillac ou des Chrysler Imperial).

Si le constructeur peut, néanmoins, s’enorgueillir d’être (depuis l’époque de Franklin Roosevelt) le fournisseur attitré de la Maison Blanche (la dernière voiture spécialement destinée aux déplacements officiels du président américain fut d’ailleurs réalisée peu de temps auparavant, à la demande de Harry Truman, sur la base d’un châssis rallongé de la Cosmopolitan du millésime 1950. Surnommée la « Bubbletop », à cause de son toit en verre, elle sera surtout utilisée par le successeur de ce dernier, Dwight Eisenhower, qui entrera en fonction en janvier 1953), cela ne suffira toutefois pas pour faire remonter ses volumes de vente. (La meilleure année pour la marque durant cette décennie sera le millésime 1956, où Lincoln produira près de 49 000 voitures, celle-ci reste toutefois, une fois encore, très loin derrière son éternelle rivale, puisque la production de cette dernière atteindra, cette année-là, plus de… 140 000 unités au total).

Alors qu’elle avait été, durant la période de l’entre-deux-guerres, l’un des acteurs incontournables du marché des voitures de haut de gamme aux Etats-Unis, grâce au Model K et ensuite à la Zephyr et à la Continental, Lincoln semble alors avoir perdu, après la disparition successive de ces dernières, une partie de son aura auprès de la clientèle d’élite, laquelle, à présent, semble ne plus jurer que par Cadillac. Dans les années suivantes, le constructeur tentera de suivre le même mouvement que celui opéré par les autres constructeurs américains, en jouant donc la carte de la surenchère esthétique, avec des modèles aux lignes de plus en plus tarabiscotées. Lesquelles ne réussiront toutefois pas plus que leurs devancières et auront, au contraire, pour effet de les dérouter et donc de les détourner encore davantage de la marque.

Ce n’est qu’avec le lancement de la nouvelle génération de la Continental apparue à l’occasion de l’année-modèle 1961 et rendue tristement célèbre par l’assassinat de Kennedy que Lincoln réussira finalement à revenir sur le devant de la scène. Les modèles de la série Capri, de leur côté, après s’être vus rétrogradés en entrée de gamme, la nouvelle série Première remplaçant désormais ces dernières au sommet du catalogue.

LINCOLN CAPRI - Comme un parfum d'Italie.
LINCOLN CAPRI HARDTOP COUPE 1957

Son existence au sein du constructeur aura, finalement, été assez courte puisqu’au terme de l’année-modèle 1959, le nom de Capri disparaît alors définitivement de la marque et ne sera donc plus jamais utilisé par la suite. Même si Ford le réutilisera, à la fin des années soixante, sur le coupé populaire, produit en Angleterre et en Allemagne, qui se présentera comme l’alter ego européen de la Mustang.

Maxime DUBREUiL

Photos Wheelsage

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