DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

DELAHAYE VLR – La première Jeep française.

La genèse de celle qui peut revendiquer d’être le premier (ou, en tout cas, l’un des premiers) tout-terrains français remonte à la fin des années 1940, peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plus précisément en 1948, selon un cahier des charges défini un an auparavant par la Direction des Etudes et Fabrications d’Armement (DEFA). Les études menées par les membres du bureau d’études de la marque aboutissent, trois ans plus tard, à la création d’un premier prototype qui est présenté, à l’été 1950 à Saumur, à un groupe de techniciens de l’Armée française. Si ces derniers, après avoir effectué une inspection approfondie et minutieuse du véhicule en question, en effectuant (évidement) à son bord toute une série d’essais sur le terrain (c’est-à-dire hors des sentiers battus, puisque c’est bien là sa vocation première). Ils émettent certaines critiques, en réclamant plusieurs aménagements et autres modifications sur celui-ci, dans l’ensemble, le rapport qu’ils remettront aux responsables qui les ont mandaté sera assez positif. Suffisamment, en tout cas, pour que la firme Delahaye remporte l’appel d’ offre passée par l’Armée française et se voit octroyer un important et juteux contrat portant, dans un premier temps, sur une commande de 4 000 exemplaires de la VLR (pour Véhicule Léger de Reconnaissance, ainsi qu’il fut baptisé dès la genèse du projet).

Si les dirigeants de la marque peuvent afficher un grand sourire et se frotter les mains, les comptables de l’entreprise, eux, peuvent, en plus, pousser un soupir de satisfaction et de soulagement. Car cette fabuleuse commande va non seulement leur permettre de mettre un peu (et même une bonne dose) de beurre dans leurs épinards mais aussi (et plus encore) d’apporter aux finances de la marque un fabuleux d’oxygène, qui va leur permettre d’envisager l’avenir avec un peu plus de sérénité. Il est vrai que le nouveau contexte, économique et industriel, en France comme dans la plupart des autres pays de l’ouest de l’Europe, malgré la paix retrouvée, n’incite pas vraiment à l’optimisme et même, plutôt, à l’inquiétude. Surtout pour les constructeurs comme Delahaye qui, même si celui-ci est réputé pour la qualité ses véhicules utilitaires a surtout bâti une grande partie de son image de marque sur la production de voitures de luxe. Or, sur un marché où les matières premières (acier, caoutchouc, etc) et l’essence sont encore rationnées et où, bien qu’ils soient proposés en vente libre (c’est-à-dire qui peuvent être acquis sans devoir passer par une liste d’attente et sans devoir obtenir une licence d’achat délivrée par les pouvoirs publics, comme ceci est le cas depuis la Libération et jusqu’en 1949), ne sont payables qu’en devises, l’époque n’est donc guère propice pour des voitures vendues plus de 700 000 (anciens) francs (soit le prix d’une Citroën Traction 15 CV) rien qu’en châssis nu. Un prix auquel il faut rajouter celui de la carrosserie, réalisée à la main par un carrossier extérieur, et qui rallonge souvent l’addition de près d’un million. Inutile de dire que les Français ayant les moyens de s’offrir de tels joyaux sur quatre roues ne courent pas les rues. Et ce n’est pas vraiment sur les marchés d’exportation que la marque peut espérer trouver des débouchés pour ces superbes mais coûteuses 135 et 175, lesquelles n’ont guère de chances de parvenir à soutenir la comparaison avec les modèles des constructeurs anglais ou américains, lesquels proposent souvent un bien meilleur rapport prix/puissance. Face à cette nouvelle concurrence qui se montre de plus en plus féroce, la marque va alors progressivement se replier sur d’autres marchés plus lucratifs et où elles souffrent beaucoup moins de la concurrence étrangère.

DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

Notamment sur le marché des véhicules utilitaires, de toutes sortes, avec une gamme fort complète qui comprend non seulement des poids lourds pour le transport de marchandises mais aussi des véhicules d’incendies fort appréciés des pompiers. Figurant parmi les acteurs incontournables du marché des utilitaires en France, il n’est donc guère étonnant de voir Delahaye s’intéresser, au lendemain de la guerre, au marché, alors émergent mais néanmoins prometteur, des véhicules tout-terrains. D’autant qu’en plus des importantes commandes qu’elle espère pouvoir obtenir de l’Armée française, la marque espère aussi que ce nouveau véhicule tout-terrain intéressera aussi d’autres corps de métiers comme ceux des agriculteurs et des gardes-forestiers ainsi que les habitants des zones rurales et des villages isolés, qui, eux aussi, pourraient sans doute être intéressés par les capacités de franchissements et de tractage de la VLR. Pour l’heure en tout cas, avec cette première série 4 000 véhicules qui serviront sous les drapeaux, les dirigeants ainsi que le reste des cadres de la firme savent que cette commande leur permettra certainement d’engranger des bénéfices substantiels qui leur permettront de s’investir dans de nouveaux projets et d’envisager l’avenir (en tout cas proche) avec un minimum de sérénité. Il est vrai qu’à l’aube des années cinquante, les comptables de la marque Delahaye ne compte plus vraiment sur la vente de voitures de luxe pour faire tourner la maison. Certains, parmi ses dirigeants, face aux  marques étrangères qui commence, de plus en plus, à les supplanter ne croient d’ailleurs plus vraiment à un avenir et à un succès possible pour une remplaçante des 135 et 175 et commencent donc à se désintéresser de la branche automobile du constructeur. Si, en ce début des années 1950, l’abandon pur et simple de celle-ci n’est pas encore décidé, il est, en tout cas, déjà sérieusement envisagé.

A l’instar de la procédure en vigueur pour la construction de ses modèles de prestige, les usines de la marque, installées rue du Banquier, n’assurent que la construction du « châssis roulant » (c’est à dire du châssis équipé de tous ses organes mécaniques et de ses quatre roues et qui, en lui-même, est déjà, techniquement, en état de rouler) mais pas de la carrosserie, dont la fabrication et l’assemblage est, elle réalisée par une entreprise extérieure. Une pratique qui n’est pas seulement due à une tradition héritée de l’avant-guerre avec les modèles de haut de gamme de la marque et qui est aussi en application pour ses utilitaires (et qui restera en vigueur jusqu’à la fin jusqu’à la fin de la production de ceux-ci, en 1954) mais aussi, tout simplement, à des raisons pratiques. L’usine Delahaye étant, en effet, trop exiguë pour pouvoir accueillir des ateliers de carrosseries, le constructeur est donc obligé de faire appel à des sous-traitants pour celles-ci. En l’occurence, pour la VLR, c’est à l’entreprise Facel-Métallon (le futur constructeur des Facel-Vega) que revient cette tâche. L’assemblage sera effectué à Ivry-Port, dans les anciennes usines du constructeur Chaigneau-Brasier.

DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

Si le premier prototype, réalisé en 1948 et baptisé du nom de code de « Delta », est équipé, à l’ origine, d’un moteur Renault, il abandonnera toutefois rapidement celui-ci au profit d’ une mécanique « maison » en alliage léger. Comme sur ce que sera le modèle de série, la carrosserie présente des lignes aussi simples que fonctionnelles, où la notion d’esthétique n’est quasiment pas entrée en ligne de compte, et qui se étroitement inspirées de celles des Jeep contemporaines (à tel point que l’on pourrait greffer la cellule de l’habitacle de la VLR sur celle de la Jeep Willys quasiment sans qu’ on y voit la différence). Cependant, la face avant présente encore un dessin assez « grossier » et c’est probablement parce qu’elle rappelait un peu trop celle de la Jeep qu’il sera finalement modifiée. Autre différence, d’ordre plus pratique ici, le seuil de chargement pourr le conducteur et les passagers est assez haut placé, ce qui l’accès à bord peu commode. C’est pourquoi il sera rabaissé sur le modèle de production.

Le Véhicule Léger de Reconnaissance conçu par Delahaye est équipé d’un moteur quatre cylindres de 2 litres (1 995 cc exactement) développant une puissance de 63 chevaux, accouplé à une boîte de vitesses à quatre rapports entièrement synchronisée, lui permettant d’atteindre une vitesse de pointe de 110 km/h. En ce qui concerne les dimensions, il affiche 3,41 mètres de long pour 1,57 m de large et à un poids de 1 350 kg à vide. Grâce à un réducteur relié à la transmission, celle-ci développe huit combinaison pour la marche avant et deux pour la marche arrière. Ce qui lui permet de franchir des pentes de 60 à 70 % ainsi que des gués jusqu’à 60 cm de profondeur. Il peut transporter quatre personnes ou 400 kg de charge utile. Par rapport à la Jeep Willys, la Delahaye VLR peut se targuer d’être, sur plusieurs points majeurs, plus avancé, sur le plan technologique, que sa rivale américaine. Avec, notamment, le montage de quatre roues indépendantes. Le reste de la suspension, de son côté, est constitué de barres de torsion transversales à l’avant et de deux demi-essieux rigides, suspendus eux aussi par des barres de torsion à l’arrière.

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La Delahaye VLR fait sa première apparition officielle lors du début premier rallye automobile transafricain, dans les derniers jours du mois de décembre 1950. Les trois véhicules qui ont été engagés par la marque (sans compter trois pick-up 171) dans cette épreuve (qui se déroule jusqu’à la fin du mois de février de l’année suivante) diffèrent quelque peu des modèles de série, avec, notamment, une face avant retouchée et certains organes mécaniques qui ont été soit modifiés ou renforcés. Ceci, afin de pouvoir endurer le traitement qu’ils devront subir tout au long du rallye où, comme le reste du véhicule, ils ne seront pas ménagés, ni par les pilotes ni par les conditions qu’ils rencontreront sur le terrain.

La VLR participera d’ailleurs, en 1953, au second rallye Alger-Le Cap (soit un total de 16 250 kilomètres), qui sera organisé sur le même parcours. Des véhicules engagés par le constructeur dans l’épreuve, c’est celui piloté par le lieutenant Tane et l’adjudant Casanova (!) qui se comportera le plus brillamment et terminera le raid sans aucune pénalisation.

Bien que le constructeur ne se prive évidemment d’en faire état dans ses brochures et ses publicités et même si ces exploits sportifs sont aussi abondamment relayés par la presse, malheureusement pour Delahaye, ils n’auront pas d’impact direct (sur le plan commercial) sur la carrière de la VLR, qui, en dehors du milieu bien spécifique (et assez « fermé » ou restreint) de l’Armée française, à du mal à s’ imposer. Le modèle se trouvant notamment handicapé par sa mécanique trop sophistiquée qui, étant donné l’usage auquel est destiné un tout-terrain (Surtout à l’époque, où les 4×4 de haut de gamme, c’est-à-dire les SUV, n’ont pas encore été inventés) n’est guère un atout et, face aux conditions difficiles et la conduite parfois « brutale » d’un tel engin sur le terrain, finit rapidement par avouer ses limites (en particulier comparée à celles de ses principales concurrentes, la Jeep-Willys et la Land Rover, beaucoup plus robustes). Si la VLR peut se targuer d’afficher une puissance et donc des performances supérieurs à ces dernières, cela incite souvent certains utilisateurs (civils comme militaires) à dépasser la limite de leurs compétences, entraînant des accidents parfois graves. Si, lors des essais sur le terrain effectués à Saumur, les véhicules avaient fait preuve de belles prouesses et de leurs aptitudes en tout-terrain, ils étaient conduits par des conducteurs expérimentés, des employés de la firme qui avaient participé à la conception du VLR et qui connaissaient donc ce nouveau modèle quasiment sur le bout des doigts. Par contre, au sein des casernes, où les véhicules se retrouvent entre les mains de simples soldats ou de sous-officiers qui, pour certains, n’ont aucune notion de mécanique, cela va rapidement se révéler une autre paire de manches. D’autant que les responsables de la marque chargés de superviser les essais et, une fois décroché le contrat avec l’Armée, de négocier les termes de celui-ci, n’ont pas vraiment jugé nécessaire de mettre en place un programme de formation de la conduite et de l’entretien des véhicules ainsi que de fournir un manuel d’instruction détaillé pour cela. D’autant que, dans certaines régions reculées (que ce soit en France métropolitaine comme dans les colonies françaises d’Afrique et du Moyen-Orient) les garages sont parfois rares, surtout ceux qui disposent de mécaniciens qualifiés et de l’outillage adéquat pour l’entretien (même courant) et les réparations d’un engin équipé d’une mécanique assez sophistiquée. De plus, dans certains contextes troublés et étant la nature des missions qui incombent aux militaires, ceux-ci sont souvent effectués de manière superficielle et à la hâte. Or, à l’image des voitures de luxe produites par la marque, la VLR ne tolère, bien souvent, aucune négligence et aucune approximation et demande des soins aussi minutieux que réguliers effectués par des mains expertes. Manifestement, les dirigeants ainsi que le bureau d’études de Delahaye semblent avoir oublié que sur de nombreux points, à l’époque, entre une voiture de prestige et un tout-terrain, il y a autant de différences qu’entre le jour et la nuit ! La clientèle à laquelle s’adresse l’un et l’autre n’étant pas du tout la même. Parmi les points faibles de la VLR, le plus gros point noir est constitué par le différentiel, souvent sujets à des problèmes de blocage. La VLR finit donc, bien malgré elle, à acquérir une réputation de véhicule à la conduite dangereuse. En conséquence, les agriculteurs qui, dans un premier temps, avaient été intéressés par « l’alternative » représentée par la VLR, choisiront, assez rapidement, de revenir à leurs bons vieux tracteurs, beaucoup moins rapides, certes, mais, par contre, beaucoup plus sûrs et qui, eux, ont été spécifiquement conçus pour travailler dans les champs.

DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

Se rendant, évidemment, très vite compte que ces problèmes qui entachent l’image de son nouveau véhicule tout-terrain risquent fort, à terme et si rien n’est fait, de conduire les responsables de l’Armée a décidé, purement et simplement, de rompre le contrat qui la lie à la marque, la direction de Delahaye décide alors de réagir. Il est vrai qu’ils y ont tout intérêt, car, sans aller jusqu’à que la survie et l’avenir du constructeur dépendent de la VLR, lors de la signature du contrat avec l’Armée française, ses dirigeants escomptaient bien entendu que cette première de 4 000 exemplaires de la VLR ne serait qu’une première étape et que d’autres suivraient dans un avenir proche. C’est pourquoi il était important (voire vital) qu’ils apportent au plus vite un remède, rapide et efficace, aux « maladies de jeunesse » qui frappaient la VLR. A la fin de l’année, une série de changements et d’améliorations sont apportés au nouveau exemplaires, dont bénéficieront également ceux déjà produits et mis en circulation (tout du moins ceux utilisés par l’Armée). Des modifications qui touchent notamment les suspensions (avec le système de liaison au sol) ainsi que les commandes du différentiel. Cette refonte est aussi l’occasion d’améliorer d’autres points plus « secondaires » du véhicule, comme le confort avec l’installation de nouveaux sièges.

Néanmoins, les responsables et les membres du bureau d’études ont conscience que, bien que, bien qu’ayant bénéficié de toute une série d’améliorations, cette refonte, à elle seule, ne permettra pas d’éradiquer tous les problèmes que rencontre la VLR (sans compter que d’ autres pourraient encore survenir par la suite). Les uns comme les autres prennent rapidement conscience que, pour ne plus connaître aucun problème (en tout cas d’ennui majeur) avec ce modèle, il faudrait rien moins que revoir et reconstruire intégralement la VLR. Autrement dit, mettre en chantier une toute nouvelle série, pour ne pas dire un nouveau modèle. Le bureau d’études met alors bientôt en chantier un nouveau tout-terrain, baptisé du nom de code « COB ». Malheureusement pour Delahaye, l’étude de ce nouveau tout-terrain « made in France » va très vite se retrouver brisée dans l’oeuf lorsque l’Armée fait bientôt savoir à la firme, dans le courant de l’année 1954, que, en tout état de cause et quelle que soit les caractéristiques et les qualités de ce nouveau véhicule, elle a décidée de mettre fin au contrat avec le constructeur. En conséquence, toutes les nouvelles commandes d’exemplaires de la VLR qui étaient prévues sont alors annulées. Un couperet qui condamne, à court terme, la carrière de la VLR, puisque plus des trois quarts (voire des huit ou neuf dixièmes) de sa production était destinée à l’Armée.

Celle-ci s’apprêtant, au même moment, à lancer un nouvel appel d’offres pour remplacer la VLR, la firme Delahaye se met, logiquement et immédiatement, sur les rangs parmi les candidats potentiels. Le constructeur étant convaincu (ou, en tout cas, espère) que, en dépit de l’expérience peu concluante qu’à été, pour eux mais surtout pour l’Armée française, le VLR, celle-ci se laissera convaincre pour ce nouveau véhicule, conçu expressément pour le remplacer, et que celui-ci réussira là où la VLR avait échouée. L’échec n’en sera probablement que plus amer pour la marque, car, au final, le « COB » n’est pas retenu. Sans aller jusqu’à dire que ce refus de la part des militaires était prévisible couru d’ avance, quel que soit les qualités que pouvait avoir ce nouveau tout-terrain, il n’est toutefois guère surprenant. Au vu de tous les problèmes (petits et surtout grands) qu’ils ont rencontré avec ce véhicule, les membres de l’Etat-Major en a finalement conclu qu’un constructeur surtout spécialisé dans les voitures de luxe n’était sans doute pas le mieux placé et n’avait sans doute pas le savoir-faire adéquat pour la conception et la production d’un véhicule tout-terrain. La confiance des militaires français dans la firme Delahaye était bien définitivement rompue.

Ce que l’Armée veut (et ce qu’ elle a toujours voulue) pour un tout-terrain destiné à servir de véhicule de liaison et de transport de troupes léger est un engin simple et robuste, capable d’être entretenu et réparé par n’importe quel mécanicien amateur qui sache se débrouiller avec une clé anglaise. C’est pourquoi les membres de l’Etat-major se laisseront rapidement et facilement séduire par la Jeep Hotchkiss, même si celle-ci n’est, en réalité, rien d’autre qu’une Willys MB construite sous licence. C’est justement le fait qu’elle soit étroitement dérivée de la Jeep créée durant la Seconde Guerre mondiale qui convaincra les hauts gradés comme les simples soldats de l’adopter, car il s’agissait d’un engin éprouvé qui avait largement fait ses preuves et dont la fiabilité et l’endurance n’étaient donc plus à démontrer. Celles qui vont, dès lors, remplacer la Delahaye VLR seront produites par les usines Hotchkiss de Saint-Denis jusqu à la fin des années soixante.

Malgré tous les efforts entrepris par Delahaye, la VLR ne parviendra donc malheureusement pas à redresser durablement les finances de la marque ni à lui offrir une place de choix sur le nouveau marché, encore embryonnaire mais prometteur, des véhicules tout-terrains. Si les commandes émanant de l’Armée lui ont permis, dans un premier temps, de se maintenir la tête hors de l’ eau et de compenser la chute des ventes de voitures de luxe. La 235, présentée en 1951, ne réussira pas à faire retrouver à la marque l’âge d’or qu’ elle avait connue avant la guerre et, malgré tout le talent des plus grands carrossiers français comme Chapron, Letourneur & Marchand, Antem, Saoutchik ou Figoni à habiller cette superbe voiture, cette dernière n’est plus vraiment en mesure de soutenir la comparaison avec les modèles des marques étrangères, plus modernes, plus performants et, en même temps, moins coûteux). Elle ne sera d’ailleurs produite, en tout et pour tout, qu’à un peu plus de 80 exemplaires en trois ans, avant qu’au printemps 1954, Delahaye ne fusionne avec Hotchkiss et que la nouvelle direction ne décide alors de mettre un terme à la production automobile.

DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

Le Salon de Paris d’octobre 1954, où les deux marques partageront d’ailleurs un stand commun (illustrant ainsi aux yeux du public la fusion des deux constructeurs), sera le dernier pour Delahaye (ainsi que pour Delage, un autre constructeur français de prestige, racheté par Delahaye en 1935), où elle expose ses dernières 235. Hotchkiss, de son côté, y présente, elle aussi, ses ultimes automobiles de tourisme, sous la forme d’une berline et d’un coach, qui reçoivent, respectivement, les appellations Monceau et Agay. L’une des premières décisions prises par Paul Richard, nommé PDG de la nouvelle société Hotchkiss-Delahaye est alors de tourner, entièrement et définitivement, la page de l’ère des voitures de luxe et reconvertir dès à présent les usines de la firme (en particulier celles de Hotchkiss, situés à Saint-Denis, au nord de Paris) dans la production exclusive de camions légers ainsi que de l’assemblage des Jeep Willys MB, dont la firme vient d’acquérir la licence de fabrication pour la France. Bien que sachant qu il n’y a plus guère d’avenir en France (ou, en tout cas, pour Hotchkiss), Richard veut éviter de rompre trop brutalement avec le passé, ayant bien conscience qu’ il lui faut aussi sauvegarder l’image de la marque, acquise en grande partie justement grâce aux voitures de luxe. D’où la raison de la présence au Grand-Palais lors du Salon de ces nouveaux modèles, même si, dès le départ, la perspective d’une carrière commerciale pour ceux-ci paraît assez hypothétique, voire peu probable, étant donné le nouveau futur déjà programmé par la nouvelle direction. Basées sur le châssis de la Anjou 20 CV à six cylindres, les tarifs exorbitants auxquels elles sont affichées (près de trois millions de francs) font qu’elles n’ont guère de chance de séduire une large clientèle. Seuls trois exemplaires de ces ultimes Hotchkiss seront construites et les usines de Saint-Denis ne produiront plus jamais de voitures de tourisme.

En plus des camions légers à moteurs quatre et six cylindres, très appréciés des professionnels. A partir du mois d’août 1954, les usines de Saint-Denis commencent aussi la production de la Jeep Willys, dont les 70 premiers exemplaires sortent de celles-ci à la fin de la même année. Les 557 autres qui seront produites l’année suivante seront toutes achetées par des civils. En 1956, Hotchkiss doublera toutefois sa production car, en plus des 868 exemplaires de la version civile, tomberont aussi des chaînes les 882 premières des premières Jeep militaires qui seront fournies à l’Armée française. Si cela fait alors deux ans déjà que la production de la Delahaye VLR a cessée, celle-ci était, de toute manière, déjà condamnée, non seulement par sa mécanique trop complexe et trop sophistiquée, mais aussi par la fusion de son constructeur avec Hotchkiss. Il n’y avait, tout simplement, pas assez de place et de clientèle pour deux véhicules tout-terrains officiant dans la même catégorie, ce qui risquait très vite d’engendrer un problème de concurrence interne.

Au total, la Delahaye VLR aura été produite à un peu moins de 10 000 exemplaires (9 623 selon les sources les plus précises), dont la plus grande partie fut évidemment destinée à l’Armée française. Néanmoins, comme mentionné plus haut, une poignée d’exemplaires furent aussi vendus à des utilisateurs « civils ». Cette version reçue l’appellation VLR C-12, en raison de son système d’électricité, qui utilise un circuit alimenté en 12 volts (au lieu de 24 sur la version militaire) et se distingue également par sa carrosserie peinte en beige et non en kaki comme les VLR de l’Armée.

DELAHAYE VLR - La première Jeep française.

Au final, sur le plan technique mais surtout sur le plan commercial, l’étude et la commercialisation de la VLR aura été pour la marque Delahaye une « fausse bonne idée ». Sa production s’arrêtant quasiment au même moment que celle des voitures de luxe. Après cela, le constructeur ira rejoindre, en même temps que Delage, le cimetière (pourtant déjà bien encombré) des marques françaises disparues. D’autres firmes hexagonales, elles aussi autrefois réputée pour leurs voitures de luxe, comme Talbot, les rejoindront à peine quelques années plus tard.

Tout comme le secteur de la voiture de prestige, celui des tout-terrains a été toujours incarné, depuis lors, l’autre « malédiction » de l’automobile française. Depuis l’époque de la Delahaye VLR (soit près de 70 ans, tout de même !), presque tous les constructeurs français (grands comme petits) s’y sont essayés mais (en dehors de quelques exceptions notables, qui n’ont d’ailleurs souvent été que des succès d’estime ou éphémères), tous s’y sont, peu ou prou, cassés les dents. Outre Delahaye avec la VLR, les autres constructeurs qui, à la même époque, ont tenté l’aventure n’ont pas eu plus de chances. L’Alsacien Emile Mathis, qui, après ses tentatives avortées avec les prototypes 333 et 666 (pourtant fort innovants et prometteurs) de faire son retour sur le marché automobile (après s’être fait quasiment « arnaqué » par l’américain Ford lors de son alliance avec ce dernier, qui avait été à l’origine de la marque Matford) échouera lui aussi avec sa VLR-86, qui, malheureusement pour lui, sera finalisée alors que l’état-major de l’Armée française venait de signer le contrat avec Delahaye. Même des « géants » de l’ industrie automobile française connaîtront la même mésaventure, à l’exemple de Peugeot, dont la 203 RA (équipée du moteur de la berline éponyme) arrivera, elle aussi, après la bataille (seulement une semaine à peine après que les militaires aient porté leur choix sur la VLR).

Maxime DUBREUIL

Photos Wikimedia

D’autres autos https://www.retropassionautomobiles.fr/2022/06/pajero/

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=FBDRDffTyNY&ab_channel=skyiller

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