JAGUAR XJS (cabriolet et hors-série) – Comme un félin sans les dents ? (II)

Outre les deux crises pétrolières (celle de 1973, consécutive à la guerre du Kippour et celle de 1979, conséquence de la Révolution iranienne), les années 70 auront aussi été marquées, pour l’industrie automobile (en Europe comme aux Etats-Unis) par l’émergence ainsi que la généralisation rapide des nouvelles normes sécuritaires, lesquelles, outre le fait de déteindre, souvent assez fortement, sur l’esthétique des modèles (en imposant, notamment, le montage d’imposants pare-chocs rectangulaires qui dénatureront quelque peu leurs lignes et leur donneront parfois même une allure de chars d’assaut).

Des normes de plus en plus drastiques qui, outre une désaffection d’une grande partie du public pour les cabriolets, vont également avoir pour conséquence la disparition progressive des voitures décapotables des catalogues des constructeurs américains. (Chrysler et Ford étant les premiers à les supprimer de leurs gammes au début des années 70, suivis par General Motors en 1975, à l’exception de Cadillac qui maintiendra encore pour une dernière année la production de son cabriolet Eldorado). Des rumeurs se propagent d’ailleurs assez rapidement faisant état d’un projet de loi fédérale visant à interdire la production ainsi que la vente sur le territoire américain de toutes voitures qui soient dépourvues de toit.

Si cette mesure ne verra finalement (et heureusement, au final) jamais le jour, en cette seconde moitié des années 70, les Américains croient alors dirent un adieu définitif aux voitures décapotables. Ce qui ne manquera évidemment pas d’avoir également des répercussions sur certains constructeurs européens, en particulier parmi ceux dont l’Amérique représente le premier marché d’exportation. La menace que fera peser sur le marché américain ce projet de loi ainsi que l’effondrement assez rapide de la demande de la clientèle américaine pour les cabriolets n’étant sans doute pas étrangers à la décision de plusieurs d’entre-eux de supprimer, à leur tour, les versions décapotables de leurs gammes ou de ne plus proposer leurs nouveaux modèles de sport ou de grand tourisme qu’en coupés.

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JAGUAR XJ-S CABRIOLET (version américaine) 1988 – 91

Ce qui semble avoir été le cas de Jaguar lors de la conception de la XJ-S, ce qui (comme explique précédemment, n’est guère étonnant quand lorsque l’on sait combien l’Amérique représente un marché d’une importance vitale pour le constructeur britannique.

Si l’abandon du projet de loi fédérale interdisant sur les routes américaines toute voiture de toit va, peu à peu, « ranimer la flamme » put et donc la demande pour les cabriolets. Jaguar préférera toutefois attendre que la carrière de la XJ-S soit remise sur de bonnes voies et que celle-ci ait donc retrouvé le chemin du succès pour mettre à l’étude une version décapotable, ou, plutôt découvrable.

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JAGUAR XJ-SC

Sur cette première XJ-S « à ciel ouvert », recevant l’appellation SC, les montants autour des portières et des vitres arrière restant fixes, tout comme l’arceau de sécurité derrière les sièges (derrière lesquels il n’y a pas d’ailleurs plus de banquette arrière, la XJ-SC demeurant donc une stricte deux places). En fait de véritable capote, le système de toit découvrable est constitué, en réalité, de deux panneaux rigides séparés et amovibles au-dessus des sièges ainsi qu’une lunette pliable à l’arrière (laquelle peut toutefois être remplacée par un hard-top.

Sans doute parce qu’elle n’adresse à une clientèle qui préfère le cruising et donc les balades au soleil que la performance, la SC n’est proposée, lors de son lancement, en octobre 83, qu’avec le moteur six cylindres, la version équipée du V12 HE ne faisant son apparition qu’en juillet 1985. Réalisée au sein des ateliers du carrossier Tickford (alors filiale de la firme Aston Martin, laquelle sera rachetée par Ford, ainsi que Jaguar, en 1987), cette XJS découvrable disparaîtra du catalogue en février 1988 (pour le moteur V12, celui équipé du 6 cylindres ayant déjà quitté la scène en septembre de l’année précédente).

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JAGUAR XJ-SC

Ayant conscience , sans doute dès le lancement de la SC, que cette version ne pourrait répondre pleinement aux attentes de l’ensemble du public, par le fait qu’elle n’était pas un véritable cabriolet, le bureau d’études de Jaguar se remet rapidement au travail, pour aboutir finalement à une vraie XJS décapotable (sans montants fixes ni arceau et donc bien plus élégant) qui sera dévoilée à l’occasion du Salon automobile de Genève en mars 1988.

Cette fois-ci, c’est le carrossier allemand Karmann (partenaire privilégié de Volkswagen, notamment, à l’époque, pour la réalisation des carrosseries des coupés Scirocco et Corrado) qui a été sollicité. Celui-ci s’étant également occupé de renforcer profondément la structure afin d’apporter une rigidité optimale malgré l’absence de toit. Présentée par le constructeur comme la version trônant au sommet de la gamme XJS (au-dessus même, sur certains points, du coupé), il bénéficie donc, naturellement, d’une présentation ainsi que d’un équipement encore plus cossu (comprenant, notamment, la capote électrique, l’air conditionné ainsi qu’une sellerie entièrement réalisée en cuir Autolux). Le fait qu’elle figure au sommet de l’échelle au sein du catalogue Jaguar explique sans doute le fait qu’elle ne soit proposée à son lancement, en mai 1991, qu’avec le moteur V12, le cabriolet n’étant disponible avec le 6 cylindres qu’à la fin du printemps 1992.

A l’image de sa devancière, la XJS décapotable n’est encore, à ses débuts, qu’une stricte deux places. Ce n’est qu’au printemps 93 qu’une modification de la carrosserie ainsi que de la structure permettra d’installer deux sièges d’appoint supplémentaires à l’arrière, lesquels, bien qu’habillés du même cuir de haute qualité que les deux sièges à l’avant, ne peuvent toutefois accueillir que des enfants ou de jeunes adolescents. (Le client conservant toutefois la possibilité de ne le commander qu’en version à deux places).

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JAGUAR XJ-S CABRIOLET (version européenne) 1988 – 91

A l’image du coupé, la XJS 6 cylindres cabriolet abandonnera l’ancienne version AJ6 contre le nouveau moteur AJ16 en juin 1994. Bien que considéré, à certains égards, comme se situant un cran au-dessus du coupé (tout au moins si l’on se fie à ce que mentionne ou laisse entendre les brochures d’époque), ce qui était d’ailleurs bien le cas si l’on se base sur leurs prix de vente, sensiblement, voire nettement supérieur, à celui de la version « fermée », le cabriolet n’en gardait pas moins une vocation plus grande tourisme que sportive.

Ce qui explique sans doute la raison pour laquelle les XJR-S, qui resteront dans l’histoire comme les variantes les plus puissantes de la lignée des coupés Jaguar produits entre 1975 et 96 (en tout cas, s’agissant des versions de série), demeureront toujours vendues uniquement en coupés, à l’exception d’une série limitée de cinquante exemplaires réalisés à la fin de l’année 92, uniquement pour le marché américain.

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JAGUAR XJ-S CABRIOLET (version anglaise) 1988 – 91

Si, à l’image de la XJ sur le segment des berlines de prestige, les coupés et cabriolets XJS ne figurèrent jamais parmi les plus chers de leur catégorie, il n’en reste pas moins qu’ils s’adressaient, l’un comme l’autre, à une clientèle assez aisée. C’est pourquoi il ne faudra pas longtemps après le lancement du coupé XJS, en 1975, pour qu’une partie de la clientèle de la marque (se trouvant, assez logiquement, parmi les clients les plus excentriques, exigeants et, surtout, les plus fortunés) souhaitent avoir le privilège de rouler au volant d’une voiture entièrement personnalisée afin de mieux se différencier du coupé ou cabriolet XJS de leur voisin.

C’est pourquoi un certain nombre de carrossiers et de préparateurs (non seulement en Angleterre mais aussi à l’étranger), voyant également dans le nouveau coupé Jaguar une base de travail idéale, se chargèrent alors de répondre à leurs attentes. Les réalisations hors-série réalisées sur la Jaguar XJS (principalement sur la version V12, mais aussi, dans certains cas, sur celle équipée du 6 cylindres « d’entrée de gamme ») sont même plus nombreuses qu’on ne le croit, à tel point qu’il est assez difficile, même pour un spécialiste de la marque, d’en faire la liste complète.

Depuis la présentation des réalisations du carrossier Harold Radford sur la base des Aston Martin DB5 et DB6 dans les années 60, le break de chasse (ou Shooting Brake, comme le disent nos amis d’outre-Manche) est considéré comme une tradition typiquement britannique. Ces dernières (ainsi que la version réalisée, par la suite, par Aston Martin lui-même sur le coupé Virage dans les années 90) faisant aujourd’hui figures de référence dans cette catégorie très spécifique et élitiste.

En ce qui concerne les coupés britanniques, l’autre réalisation la plus célèbre dans ce domaine reste la Lynx Eventer réalisée sur la base du coupé XJS. Présentée en 1982, Guy Black, le co-fondateur de la firme Lynx espérait pouvoir convaincre John Egan de l’intégrer au catalogue de la marque mais dire que ce dernier, en découvrant l’Eventer, ne se montra guère enthousiasme relève de l’euphémisme ! Le patron de Jaguar de l’époque n’hésitant d’ailleurs pas à la comparer à une fourgonnette, voire même à un corbillard, en répliquant à Guy Black que Jaguar n’était pas un constructeur d’utilitaires !… La douche froide (voire même « glaciale ») qu’il lui fut lancé à la figure ne découragera pourtant pas le créateur de Lynx de la produire au sein de ses propres ateliers (même si ce sera, évidemment, à une échelle bien plus réduite que si elle avait été assemblée sur les chaînes de l’usine de Browns Lane).

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JAGUAR XJS – LYNX EVENTER

Outre le fait qu’Egan ne fut pas (du tout) séduit par le projet, ce qui limitera aussi la diffusion de l’Eventer sera un prix de vente, pour le moins, assez « dissuasif », le coût de la transformation à elle seule équivalait à plus de 40 % de celui d’un coupé XJ-S. Celles-ci résultant des méthodes entièrement artisanales employées par Lynx ainsi que de la haute qualité des matériaux utilisés, pas moins de quatorze semaines de travail étant ainsi nécessaires pour transformer un coupé XJS en break de chasse Eventer. Même s’il est vrai que les breaks de chasse (quel que soit le carrossier qui les réalisait ainsi le modèle sur la base duquel ils étaient réalisés), par leur caractère assez élitiste, étaient destinés à une clientèle fort aisée, il n’en reste pas moins que le prix de vente de l’Eventer refroidira les ardeurs de plus d’un amateur potentiel.

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JAGUAR XJS – LYNX EVENTER

Si elle connue, certes, une production plus importante que celles des breaks de chasse réalisés sur base des Aston Martin et si elle peut même se vanter d’être l’un des modèles les plus connus ainsi que les plus produits de sa catégorie, la production de l’Eventer n’en restera pas moins assez marginale, se limitant à moins de 70 exemplaires, en tout et pour tout (modèles de « série » et prototypes compris). L’arrêt de la production de la XJS par Jaguar en 1996 n’empêchera toutefois pas Lynx de continuer à la maintenir à son catalogue. L’ultime exemplaire de l’Eventer ne quittant d’ailleurs ses ateliers qu’en 2002, soit six ans plus tard.

La plupart des exemplaires de l’Eventer ayant été réalisé sur la base de la version V12 de la XJS et (assez logiquement) en conduite à droite. Si la Lynx Eventer est surtout connue des amateurs dans sa version « post-facelift », c’est-à-dire postérieures au lifting que connue la XJS après 1991, on sait que la plupart des exemplaires furent réalisés sur les versions antérieures à celui-ci mais repassèrent plus tard au sein des ateliers de Lynx afin de les faire moderniser.

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JAGUAR XJS – LYNX EVENTER

Un nombre assez important de clients (surtout aux Etats-Unis) commençant, assez rapidement après le lancement de la XJS, à réclamer une version décapotable du coupé Jaguar et se retrouvant assez frustrés (comme l’on peut aisément l’imaginer) que le constructeur britannique (pour les raisons mentionnées précédemment) reste « sourd » à leur demande, plusieurs carrossiers américains vont alors se charger d’y répondre en « décapsulant » le coupé XJS et en lui enlevant le haut, la transformeront en cabriolet de grand tourisme.

Parmi ces derniers, le plus connu (à l’époque et aujourd’hui encore) et le plus productif fut certainement le carrossier Hess & Eisenhardt (dont la réalisation la plus célèbre n’est autre que la Lincoln Continental présidentielle réalisée pour Kennedy et à bord de laquelle ce dernier fut assassiné à Dallas en 1963). Entre 828 et 838 exemplaires (selon les sources, quasi uniquement avec le moteur V12) passèrent ainsi par les ateliers de celui-ci entre 1987 et 88, dans le cadre d’un contrat avec l’importateur américain (avec, donc, l’accord officiel de Jaguar).

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JAGUAR XJ-S CABRIOLET HESS & EISENHARDT

En dehors des transformations en cabriolet et en break de chasse, les réalisations hors-série les plus nombreuses qui furent réalisées sur la XJS sont les préparations sportives, lesquelles ne concernèrent d’ailleurs pas uniquement la version V12 mais également celle équipée du moteur six cylindres. Entre autres celles du préparateur-carrossier Lynx (lequel réussit à sortir jusqu’à 450 chevaux du 6 cylindres de 4 litres, notamment grâce au montage d’un turbo) ou de Paul Bailey (laquelle, en plus d’un V12 développant pas moins de 600 chevaux, reçue également une carrosserie entièrement reliftée) ainsi que de Lister (proposant différentes transformations, aussi bien sur le moteur que sur la carrosserie, lesquelles, pour les plus abouties, pouvaient coûter jusqu’à trois fois le prix d’une XJS V12 neuve).

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JAGUAR XJS – LISTER MARK III CABRIOLET 1990

Si la plupart de ces transformations (qu’elles concernent uniquement la carrosserie ou la mécanique, voire les deux) furent le fruit de carrossiers et préparateurs britanniques, certaines officines étrangères s’intéressèrent elles aussi au cas de la XJS. A l’image du préparateur allemand Arden (auquel on doit aussi une série de transformations mécaniques de haut niveau mais aussi plusieurs transformations en cabriolet, avec ou sans hard-top).

Certains clients souhaitant une XJS « personnalisée » ne désirant, simplement, qu’une silhouette plus agressive (ou n’ayant pas les moyens suffisants pour s’offrir une préparation moteur), certaines de ces XJS transformées (ou « tunées », pour reprendre une appellation « familière ») n’ont donc que les apparences d’une « bête fauve », même si d’autres le sont réellement.

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JAGUAR XJS – LISTER LEMANS (1988 – 93)

Une autre réalisation hors-série réalisée sur base de la XJS qui mérité d’être mentionnée est le Spider réalisé par le célèbre carrossier italien Pininfarina et exposé à l’occasion du Salon de Birmingham (au Royaume-Uni) en 1978. Se présentant comme une réinterprétation moderne des lignes de la Type E (que l’on pourrait même qualifier, à certains égards, de « néo-rétro avant l’heure »), elle n’intéressera pourtant guère la direction de Jaguar. (Laquelle, à l’image du groupe British Leyland, ainsi que d’une grande partie de l’industrie automobile britannique, se trouvait alors en plein marasme. Ce qui explique sans doute aisément que le constructeur n’ait pas donné suite à ce projet). Aujourd’hui encore, 45 ans après sa création, celle que l’on peut considérer comme l’une des réalisations les plus remarquables du carrossier italien n’a pas pris une ride, à tel point que l’on pourrait bien imaginer ou espérer la voir, un jour, figurer au sein de la gamme actuelle (ou future) de la marque.

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JAGUAR XJ SPIDER PININFARINA 1978

Pour en revenir à la XJS de série, lorsque celui des félins anglais qui pourra revendiquer le record de longévité dans l’histoire de la firme de Browns Lane quitte finalement la scène après vingt-et-un ans de bons et loyaux services, elle aura été produite, en tout et pour tout, à plus de 112 000 exemplaires (toutes versions confondues, coupés et cabriolets, 6 cylindres et V12). Ce qui, pour un modèle de sa catégorie, n’a rien de négligeable et est même fort méritoire, surtout en comparaison avec les chiffres de production de sa devancière, la Type E : environ 72 500 exemplaires entre 1961 et 1975 (même s’il est vrai que la XJS affiche une carrière moitié plus logue, ceci expliquant sans doute, en partie, cela).

Si le Spider réalisé par Pininfarina à la fin des années 70 n’a, malheureusement, pas connu de suite en série, on peut néanmoins penser que les designers s’en sont inspirés pour concevoir les lignes de sa remplaçante, la XK8. Laquelle, si elle ne sacrifie rien et prit même toujours soin de préserver le confort de ses occupants, renouera néanmoins avec ce qui avait fait (en partie, tout du moins) défaut à la XJS : la sportivité.

Maxime DUBREUIL

Photos WHEELSAGE

Le premier épisode sur la XJ-S https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/03/jaguar-xjs-coupe-comme-un-felin-sans-les-dents/

En vidéo https://www.youtube.com/watch?v=gAqC7G7nrDo&ab_channel=PetitesObservationsAutomobiles

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