DFP (DORIOT, FLANDRIN ET PARANT) – Dernière Ferraille Parisienne.
Après la première vague de pionniers qui ont posé les fondations de l’industrie automobile française, à partir de la fin des années 1880 et durant la décennie suivante, une « nouvelle vague » d’ingénieurs et d’industriels, comprenant rapidement que l’ère de la voiture à cheval était Désormais révolue et que l’avenir appartenait à celles que beaucoup appellent encore à l’époque les « voitures sans chevaux », apportèrent eux aussi « leurs pierres à la construction de l’édifice ».
Parmi lesquels figurent Auguste Doriot et Ludovic Flandrin. Ces derniers ne sont pas des novices dans le milieu de l’industrie automobile naissante, puisque le premier a fait ses classes chez Peugeot et le second au sein de la firme Clément-Bayard. Chacun d’eux possédant donc l’expérience nécessaire pour se lancer dans une telle aventure, évidemment, avec l’aide d’un groupe d’investisseurs qui ont rapidement compris le potentiel, industriel et financier, offertepar l’automobile. Comme la grande majorité des constructeurs automobiles de l’époque, le duo décide d’installer leur entreprise dans la région parisienne, plus précisément à Courbevoie, sur le boulevard Saint-Denis.
Alors que certains constructeurs se lancent, dès leurs débuts et parfois même exclusivement, dans la production de modèles de très haut de gamme, dont les moteurs atteignent parfois des cylindrées gigantesques – parfois plus de 10 litres -, la marque – qui s’appellent encore à l’époque, simplement, Doriot-Flandrin, propose à son catalogue des modèles de taille et de cylindrée fort modestes. Ceux-ci sont, en effet, des voitures de 6 ou 8 HP équipées de simples moteurs monocylindres. En 1907, la gamme s’élargi sensiblement d’une bicylindre de 10 CV fiscaux.
Si elles présentent une bonne qualité de construction, les modèles de la marque ne sortent toutefois guère du rang, au milieu d’une industrie automobile comprenant alors plusieurs dizaines de constructeurs, de tous genres et de toutes tailles, qui affichent déjà pour certains – comme Peugeot ou Renault – des gammes pléthoriques. Souffrant de ressources financières assez limitées, elle se retrouve alors en sérieuses difficultés lorsque la récession frappe l’industrie automobile en 1907 – même si celle-ci est bien moins importante que celle qu’elle connaîtra lors de la crise économique mondiale en 1929.
Le salut pour la firme viendra de l’arrivée dans l’affaire de deux nouveaux associés, Alexandre et Jules-René Parant. Ceux-ci renflouent alors les caisses de l’entreprise, qui remanie alors complètement sa gamme. C’est à cette époque que la marque prend son nom définitif : DFP, pour Doriot, Flandrin et Parant. Si les nouveaux modèles gagnent en cylindrée et en performances, on retrouve toutefois sous leur capot des moteurs de la marque Chapuis-Dornier.
Bien que profitant de capitaux plus importants qu’à ses débuts, la marque est, en effet, loin de figurer parmi les « poids lourds » de l’industrie automobile française et ne disposent pas des moyens suffisants pour lui permettre de produire ses propres moteurs. A défaut d’être très sophistiqués techniquement ou d’afficher des puissances « phénoménales », les moteurs Chapuis-Dornier – dont les voitures DFP ne sont d’ailleurs pas les seules à être équipés – font preuve d’une grande solidité et fiabilité, ce qui contribuera, en grande partie, à la réputation que la marque acquiert par la suite.
La marque gagnant alors en notoriété et augmentant progressivement ses ventes, celle-ci peut alors envisager d’élargir sa gamme vers le haut. En 1911, DFP présente alors la 25-30 HP, sous le capot de laquelle on retrouve une imposante mécanique à six cylindres. L’échec commercial cuisant que subira ce modèle haut de gamme – ni meilleure mais ni pire non plus que la plupart de ses rivales et sans doute, simplement, victime d’une concurrence trop rude, à la réputation mieux établie dans cette catégorie – sera – heureusement – amorti par le succès que rencontre le reste des modèles de la gamme auprès du public. Notamment la 10-12 HP, équipée d’un moteur de 1,6 l, qui consitue l’un des plus grands succès de la marque.
L’échec de la 25-30 HP ayant sans doute fait « jurisprudence », celle-ci se cantonne, au début des années 1910, dans la production de modèles de gamme « intermédiaire », notamment la 12-15 HP qui devient alors le nouveau « cheval de bataille » de la marque. Comme de nombreux constructeurs du même genre – en France comme à l’étranger -, les modèles du constructeur ne versent guère dans l’audace technique et font même preuve d’un « classicisme prudent ».
Elle présente toutefois la particularité d’être animée par un quatre cylindres de deux litres offrant d’excellentes prestations en matière de performances et dont la conception comme la production est intégralement assurée par DFP. Salué par les spécialistes de la presse automobile pour sa vitesse et sa tenue de route, ce modèle va, à la fois, permettre à la firme, non seulement, de se faire une place parmi les constructeurs les plus réputés dans cette catégorie mais aussi de se faire connaître à l’étranger. Notamment au Royaume-Uni, où la marque est présente à partir de 1912 et où le représentant de celle-ci pour le marché britannique est un certain… Walter Owen Bentley !
Ce dernier est rapidement convaincu qu’avec leurs bonnes performances ainsi que leur très bonne tenue de route, les DFP pourraient tout à fait avoir leurs chances en compétition. Il ne tarde alors pas à les engager dans certaines des épreuves les plus en vue de l’époque, notamment dans les courses de côte ainsi que sur le circuit de l’autodrome de Brooklands, où elles ne tarderont d’ailleurs pas à remporter un certain nombre de trophées. Des victoires qui, en plus d’asseoir la notoriété du constructeur français auprès de la clientèle anglaise, auront aussi une influence aussi forte que positive sur ses ventes sur le marché français, la marque ne se privant évidemment pas de faire la publicité de ses lauriers remportés outre-Manche.
En 1913 – qui sera la dernière année intégrale pour la production des voitures DFP -, les ventes dépassent les 600 voitures – ce qui, pour l’époque et pour un constructeur qui, sur le plan des capacités de production, a toujours fait figure de « second couteau », est un très beau score. L’année suivante, la marque présente celle qui est destinée à devenir le nouveau fer de lance de la gamme, la 12-40 HP.
Encore plus convaincu du potentiel de ce nouveau modèle, Walter Bentley est également persuadé qu’il peut encore en augmenter les performances, en l’équipant, notamment, de nouveaux pistons en aluminium. Ainsi optimisé par les soins de l’importateur britannique, le moteur DFP voit ses performances faire un bon significatif. Une optimisation mécanique qui portera rapidement ses fruits sur les circuits, puisque, cette même année 1914, au volant d’une DFP ainsi modifiée par ses soins, il remporte la sixième place du Tourist Trophy, une victoire d’autant plus méritoire pour une voiture de seulement deux litres de cylindrée.
Malheureusement pour DFP, le déclenchement du Premier conflit mondial va, subitement, briser ce succès et la carrière des modèles de la marque sur le marché britannique. Lorsque celui-ci prend finalement fin, après quatre années d’un conflit sanglant, les temps ont changé, pour un grand nombre de constructeurs automobiles, en France comme en Angleterre.
Walter Owen Bentley ayant décidé – comme d’autres avant lui ou à la même époque – de franchir le pas en devenant constructeur automobile – avec le succès que l’on sait, sur routes comme sur circuit, en tout cas jusqu’à l’éclatement de la crise économique de 1929. Avec pour conséquence la fin de l’importation des modèles DFP, ce qui représente, évidemment, un coup dur pour celle-ci, qui se voit alors fermer les portes du marché britannique, qui représentait alors son principal débouché à l’exportation.
En France, la situation va aussi rapidement s’assombrir, car – comme beaucoup d’autres constructeurs traditionnels – c’est-à-dire restant fidèles aux méthodes de production artisanales -, DFP va se retrouver menacé par l’arrivée de nouveaux venus – Citroën en premier lieu – ainsi que par l’ascendant que prennent d’autres grands constructeurs à la réputation déjà bien ancrée, avant-guerre, sur le marché automobile, comme Renault et Peugeot, qui vont rapidement se reconvertir dans la production en grande série de voitures populaires. Du côté du marché des voitures de prestige – au sens large du terme -, la situation n’est guère meilleur, avec, là aussi, l’arrivée de nouveaux constructeurs comme Farman et Voisin ainsi que l’ascension de marques comme Bugatti ou Hispano-Suiza – qui, durant les années 1920, vont connaître leur âge d’or.
« Pris entre deux feux », les constructeurs comme DFP rencontrent de plus en plus de mal à survivre et à trouver leur place au sein d’un marché automobile en plein bouleversement. La firme n’ayant pas les moyens de reconvertir son outil de production pour la fabrication en grande série – du fait de sa notoriété, somme toute , limitée sur le marché français ainsi qu’à cause du coût de revient élevé des méthodes de production manuelles, avec pour conséquence une marge bénéficiaire fort réduite.
Au sortir de la guerre, seule la production des Types EM 8/10 HP ainsi que l’A 2000 12-‘0 HP est relancée. Ils restent toutefois, dans leurs grandes lignes, identiques à leurs versions d’avant-guerre. Ce dernier ne pouvant d’ailleurs plus guère compter sur ses victoires en course remportées en Angleterre avant la guerre, celles-ci n’étant plus, dans l’esprit du public, qu’un lointain souvenir.
Se voyant alors réduit, en grande partie, à un rôle de « figuration », DFP doit alors se serrer la ceinture et abandonner, en 1920, la production de ses propres moteurs afin d’économiser sa trésorerie. Le Type A 2000 devant alors se contenter de reçevoir, sous son capot, un quatre cylindres de fabrication Altos, le modèle EM adoptant, de son côté, une mécanique d’origine Sergant & Cie. A l’exemple de DFP, de nombreux constructeurs de taille moyenne se voient alors contraint, faute de moyens, d’utiliser les moteurs disponibles chez les « équipementiers » de l’époque. Il est vrai que la clientèle visée, appartenant le plus souvent à la partie la plus « conservatrice » des classes populaires ou moyennes, n’attache guère une importance particulière à l’origine de la mécanique et se focalise avant-tout sur la solidité ainsi que la simplicité d’utilisation et d’entretien de leurs voitures.
Si les modèles DFP d’après-guerre répondent tout-à-fait à ces critères, en comparaison avec les modèles de la concurrence, le rapport qualité/prix ne leur est toutefois guère favorable. En 1922, une Citroën ou Renault 10 HP avec une carrosserie torpédo sont vendus, respectivement, aux prix de 13 000 et 15 000 F, quand une DFP Type A 2000, de puissance fiscale équivalente, habillée d’une carrosserie torpédo 2 places, est affichée au tarif de 19 000 Francs – soit environ 50 % de plus que la Citroën. En plus de sa puissance assez limitée – 15 ch, alors qu’une Ford T développe 20 ch et sa rivale de Javel entre 18 et 22 chevaux -, certaines des caractéristiques du moteur Altos, comme les bouchons purgeurs placés au-dessus des soupapes, la culasse non détachable, le système de refroidissement par thermosiphon ou encore celui de l’embrayage à cône trahissent que sa conception remonte à l’avant-guerre.
Conscient qu’il leur faut rajeunir l’image de ses modèles, à l’occasion du Salon de l’automobile de Paris qui ouvre ses portes en octobre 1923, les dirigeants de la marque font appel, pour concevoir les illustrations de ses brochures et affiches publicitaires, un jeune styliste d’origine russe, de vingt-deux ans à peine mais dont le talent est déjà prometteur : Alexis Kow. Si ce dernier saura en faire la preuve de la virtuosité de son coup de crayon et de pinceau, les travaux qu’il réalisera pour la firme DFP et qui font de ces publicités d’époque de véritables chefs d’oeuvres n’auront toutefois, malheureusement, que fort peu d’impact sur les ventes.
Trop lourdes, trop chères et trop peu performantes, les « nouvelles » DFP – qui, malgré les quelques perfectionnements techniques qui leur seront apportées au cours des années, restaient étroitement inspirées de leurs devancières d’avant-guerre – ne font, clairement, plus le poids face à leurs nouvelles rivales. D’autant que, en plus d’être tout aussi – voire parfois plus – puissantes, plus rapides et plus légères, ces dernières, même lorsqu’elles étaient produites à la chaîne, présentaient souvent une meilleure qualité de construction !
Dans un dernier sursaut, DFP tentera de séduire la nouvelle clientèle populaire avec un modèle plus accessible, une 6/8 HP équipée d’un moteur Cime de 1 100 cc, qui, malgré des atouts indéniables ainsi que plusieurs succès en course – notamment au Bol d’Or, au volant d’un agent de la marque – n’avait, dès le départ, guère de chances face à des concurrentes comme la Citroën « Trèfle » ou la Renault NN.
La cause était donc entendue et, en 1926, DFP se voit contraint de vendre son usine de Courbevoie au constructeur de cyclecars Lafitte. Lequel n’aura toutefois guère plus de chance et cessera, à son tour, ses activités à peine deux ans plus tard. Les derniers châssis portant le nom de DFP étant produits – avec, semble-t-il, des stocks de pièces restantes – à la même époque, bien que certaines sources mentionnent que quelques exemplaires aient été assemblés jusqu’en 1933.
Bien que d’aucuns – notamment à cause de l’échec commercial de la 25-30 HP et ensuite du déclin que connu la marque après la guerre – n’hésitèrent pas à parodier les initiales de la marque en la surnommant la « Dernière Ferraille Parisienne ». Un surnom qui était toutefois, en grande partie, immérité car, sans être véritablement remarquables – que ce soit par leur qualité de construction ou leur fiche technique -, les DFP n’étaient, certes, ni meilleures mais ni plus mauvaises non plus que la plupart de leurs concurrentes.
Alexandre LAGARDE
Photos DR
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