MATFORD Alsace V8 berline 1936

MATFORD – Les Ford alsaciennes.

Si la création de la firme Matford a lieu au milieu des années 1930, dans l’intention de produire en France des modèles inspirés de ceux produits par Ford aux Etats-Unis, le constructeur américain n’a toutefois pas attendu la création de cette filiale, qui a son siège en Alsace, pour s’attaquer au marché hexagonal.

En la matière, Ford a même fait figure de pionnier par rapport aux autres constructeurs américains. Alors que la plupart de ceux-ci, dans une sorte de politique « autarcique » se cantonnent au seul marché de l’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada), estimant sans doute que le territoire américain offre des perspectives largement suffisantes sur le plan commercial pour qu’ils n’aient nul besoin d’aller voir ailleurs, Henry Ford, de son côté, nourrit très tôt des ambitions différentes mais aussi beaucoup plus grandes pour la marque qu’il a fondé et qui porte son nom. Dès 1907, alors que la Ford Motor Company n’existe que depuis quatre ans à peine, un premier agent de la marque ouvre déjà ses portes en France. Il s’agit de Henri Depasse, qui n’hésite pas à installer son magasin sur la plus prestigieuse avenue de la capitale, c’est-à-dire sur les Champs-Elysée (l’atelier qui assure l’entretien et la réparation des voitures étant situé, quant à lui, à Neuilly). Cinq ans plus tard, en 1912, il décide toutefois de déménager ses bureaux et ses ateliers à Levallois et ensuite, deux ans après, à Bordeaux.

Le déclenchement de la guerre, peu de temps après, n’empêche toutefois pas la société de poursuivre ses activités (sans doute aidé en cela par le fait que la ville de Bordeaux se trouve bien éloignée de la ligne de front, là où se déroulent les combats). Est-ce à cause des besoins énormes nécessités par l’effort de guerre qui laissent présager un formidable développement ainsi que de belles perspectives commerciales pour tous les secteurs de l’industrie ou les besoins, là aussi de plus en plus importants en matière d’automobiles et de véhicules utilitaires ? En tout cas, dès le mois de juillet 1916, le constructeur créé sa propre filiale, la Société des Automobiles Ford, qui reprend à son compte l’usine bordelaise (en installant toutefois son siège social à Paris).

En 1918, lorsque se termine la Première Guerre mondiale, la production des Ford T en France atteint, cette année-là, les 3 600 exemplaires. En ce qui concerne le développement de l’industrie comme la forte augmentation de la demande en matière d’automobiles, Ford avait vu juste. L’apparition sur le marché, juste après la fin de la guerre, de nouveaux constructeurs comme André Citroën (qui sera le premier à appliquer en France les principes de la production en grande série inaugurée par Ford aux Etats-Unis) le prouvent bien. En ce début des années 1920, la Ford T est déjà reconnue et appréciée d’une grande partie de la clientèle populaire, ses ventes sur le marché français dépassant même les 24 000 exemplaires en 1925. Une belle réussite commerciale, qui est d’autant plus remarquable pour une voiture d’origine étrangère, à une époque où, il faut le rappeler, le marché automobile français comptait un grand nombre de constructeurs de toutes tailles et de tous genres. Sans compter que les mentalités de l’époque étaient souvent assez « chauvinistes » et où, quels que soient ses moyens, il était presque « obligatoire » de rouler français. Celui qui avait l’audace de s’afficher au volant d’une voiture étrangère étant, en effet, souvent vu d’un fort mauvais oeil.

La filiale française de Ford, rebaptisée Ford S.A.F s’installe en 1925 à Asnières pour y poursuivre la production du Model T, auquel succédera la Ford A en 1928. Au début des années 1930, la gamme s’enrichit, avec l’apparition du Model Y, spécialement conçu pour le marché européen, mais qui n’obtiendra, en France, qu’un succès mitigé. A cette époque, la France, comme le reste de l’Europe occidentale, est ravagée par la crise économique, qui a éclatée aux Etats-Unis en 1929 et a fini par agiter le Vieux Continent. Avec pour effet, dans le monde de l’industrie automobile, que de nombreux constructeurs ne tardent pas à mettre la clé sous la porte. Si les grands constructeurs, comme Citroën, Peugeot et Renault ont les reins suffisamment solides pour résister à la tempête, beaucoup d’autres, de taille plus réduite, se retrouvent, eux, sévèrement malmenés et voient leurs ventes s’effondrer.

Parmi ces constructeurs qui tentent, tant bien que mal, de survivre à la crise figure Emile Mathis, qui est, avec Ettore Bugatti, le grand constructeur alsacien. Comprenant que l’une des solutions pour assurer l’avenir de son entreprise est de s’associer avec un autre constructeur (français ou étranger) afin de lui permettre d’augmenter son capital et de conforter son assise sur le marché. Emile Mathis décide alors d’entamer des négociations avec le géant américain en vue d’un partenariat. L’accord qui est finalement signé entre les représentants de Henry Ford et Emile Mathis prévoyant que les modèles de la filiale française de Ford soient construits aux côtés de ceux de la gamme Mathis sur les chaînes de production de la grande usine que le constructeur alsacien a fait édifier près de Strasbourg (et qui est alors l’une des plus grandes usines automobiles de France).

Malheureusement pour Emile Mathis, la production des modèles Ford supplantant, en quelques mois à peine, celle des Mathis, avant de les éliminer entièrement les dernières d’entre-elles sortant des chaînes d’assemblage au printemps 1935. S’ensuivra alors une longue bataille de procédures judiciaires, les deux parties adversaires faisant traîner l’affaire devant les tribunaux durant plusieurs années, celle-ci ne finissant par être jugée qu’à la fin de la décennie. Malgré ce conflit judiciaire qui éclate bientôt entre Mathis et son ancien partenaire américain, les modèles Ford continueront d’être produits dans l’usine alsacienne ainsi que commercialisés et vendus sous le nom de Matford (issu de la contraction entre les noms de Mathis et Ford) jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, à la fin de l’été 1939.

MATFORD V8 cabriolet 1936

Si, au départ, les modèles de la gamme Matford, en tout cas en ce qui concerne ceux de la gamme « supérieure », équipés du moteur V8, demeurent identiques, ou presque, à celles qui sont produites au sein des usines Ford de Detroit, peu de temps après la création de la nouvelle marque, une série de modifications plus ou moins importantes, qui concernent autant l’aspect technique qu’esthétique, vont y être apportées afin de les adapter aux attentes et au goût de la clientèle française. Ainsi, à l’occasion de la présentation des voitures de l’année-modèle 1936, lors du Salon automobile de Paris en octobre 1935, la gamme est réorganisée autour de deux modèles à moteur V8, d’une puissance fiscale de 13 et 21 CV. Le modèle d’entrée de gamme dispose d’une mécanique spécifique fabriquée au sein des ateliers de l’usine de Strasbourg (qui a cependant été conçue par les ingénieurs de la filiale britannique de Ford). Disponible en berline et en cabriolet, elle est aussi proposée en trois niveaux de finition : normale, Luxe ou Grand Tourisme. Les carrosseries qui habillent le modèle de haut de gamme, la V8-66, présentent des lignes quasiment identiques, sauf que leurs châssis profitent d’un empattement rallongé d’une dizaine de centimètres. Les deux modèles recevant, pour le millésime 1936, une nouvelle face avant avec une calandre et un capot en forme de « V ».

Si le fait que les deux modèles de la gamme Matford présentent maintenant, extérieurement, un aspect identique permet aux acheteurs qui doivent se « contenter » de la 13 CV d’entrée de gamme de ne pas se sentir « défavorisés » par rapport, à ceux qui ont les moyens de s’offrir la 21 CV, l’inconvénient est toutefois qu’il devient, dès lors, assez difficile pour les observateurs de les différencier. Même en les regardant de profil, en ayant des photos des deux voitures côte à côte, il faut avoir un oeil exercé pour distinguer l’empattement plus long de la 21 CV. Après l’éviction d’Emile Mathis en 1935, Maurice Dolfuss, l’administrateur-délégué de Ford S.A.F est placé par la direction américaine à la tête de la firme Matford.

Lors du millésime 1937, les modèles changent à nouveau d’appellation : la 13 CV est ainsi rebaptisée V8-72 et la 21 CV devient la V8-76. A cette occasion, elles voient aussi leurs lignes sensiblement remaniées, les phares étant désormais intégrés dans les ailes avant. Si ces deux modèles (sous leurs différentes appellations), recevaient tous deux une carrosserie entièrement métallique (construite selon le brevet développé par l’entreprise américaine Budd, qui a également collaboré avec Citroën pour la conception de celles de Traction Avant) qui a équipé tous les modèles de la marque depuis sa création en 1934.

MATFORD Alsace berline 1936

A partir du millésime 1938, la Matford 13 et 21 CV vont désormais avoir des destins séparés. Si la 13 CV conservait une carrosserie qui, comme celle de la 21 CV auparavant, était fabriquée par l’entreprise de carrosserie Chausson, et ne se différencie, sur le plan esthétique, des modèles précédents que par ses nouvelles ouïes d’aération du capot (de forme inclinée et non plus horizontale), en recevant également la nouvelle dénomination V8-F82, la 21 CV, quant à elle, bénéficie d’une carrosserie entièrement nouvelle qui ne doit plus rien ni aux modèles américains ni à la carrosserie développée par Chausson. (Cette dernière change, elle aussi, d’appellation et est rebaptisée V8-F81A).

Comme mentionné, les Matford, comme tous les modèles (ou presque) qui ont été produits sous licence en France avant elles, sont étroitement dérivées de leurs « cousines » produites sur les chaînes de Ford à Detroit. Comme ces dernières, les Ford françaises restent fidèles à la plus grande orthodoxie mécanique. Outre un style qui ne cache guère ses origines américaines, les Matford produites en Alsace ont aussi hérité du V8 conçue pour le modèle Ford du même nom, présenté en 1932.

MATFORD F81A cabriolet 1938

Avec le lancement de cette première génération de la V8 en 1932, Ford va alors lancer, sans l’avoir voulu ni prévu au départ, une mode qui va rapidement se généraliser et devenir même l’une des caractéristiques essentielles et incontournables de l’industrie automobile américaine : la généralisation du moteur V8. Réservé auparavant aux voitures de sport et de prestige, ce type de motorisation va, très rapidement, convaincre la grande majorité des concurrents de Ford sur le marché américain ; A la fin des années 1930, et chez tous les grands constructeurs en tout cas, quasiment tous les modèles de la gamme « intermédiaire », seront équipés d’un moteur V8, le six cylindres en ligne étant désormais cantonné aux modèles les plus « populaires » ou « bon marché » des gammes des constructeurs américains.

« Orthodoxie mécanique », car ce moteur reste fidèle à une distribution à soupapes latérales. Si ce type d’architecture mécanique est encore très courante au sein de la production automobile (en Amérique comme en Europe) et restent même encore la norme (surtout pour les voitures populaires), les moteurs à soupapes en tête commencent alors (lentement mais sûrement) à gagner au terrain ceux-ci assurant un meilleur rendement pour une cylindrée plus réduite. Outre la motorisation, le reste de la fiche technique de la voiture présente aussi la motorisation, le reste de la fiche technique de la voiture présente aussi plusieurs autres caractéristiques qui, à l’époque déjà, commencent à apparaître quelque peu « anachroniques ». Comme la suspension qui fait toujours appel à des essieux rigides, à l’avant comme à l’arrière. Même si l’on rencontre encore de tels dispositifs sur certains modèles bien plus luxueux, comme la Bugatti 57, qui, elle aussi, fait toujours appel à deux essieux rigides pour guider sa suspension, à l’époque où les premières Matford arrivent sur le marché, un tel système commence déjà à apparaître démodé.

MATFORD Alsace V8 berline 1936

Le système de freinage, quant à lui, n’étant guère plus moderne, puisqu’il est toujours confié à de classiques tambours à commande mécanique à câbles. Si, en Europe, en dehors de quelques exceptions notables, les freins hydrauliques restent l’apanage des voitures de sport ou de grand tourisme les plus luxueuses, aux Etats-Unis, en revanche, il commence aussi, dès le milieu des années 1930, à équiper des modèles de plus grande diffusion. Henry Ford, lui, en revanche, demeure (en tout cas dans un premier temps) réfractaire à ce nouveau système. D’une part parce qu’il reste convaincu que les freins à câbles « maison » sont suffisamment fiables et puissants pour des modèles à vocation populaire comme les Ford mais aussi (et peut-être même surtout) parce qu’il rechigne à devoir payer des royalties à la firme Lockheed, dépositaire du brevet du freinage à commande hydraulique. Il faudra ainsi plusieurs années avant que Henry Ford finisse par se laisser convaincre, les freins hydrauliques ne faisant leur apparition sur les Ford américaines qu’à partir de l’année-modèle 1938. Ce conservatisme technique que le fondateur du groupe a quasiment érigé au rang de vertu cardinale n’empêche toutefois pas les Matford de connaître un succès fort appréciable sur le marché français, auquel la guerre viendra malheureusement mettre fin.

Le style des Matford se retrouvera aussi au sein de la production automobile française contemporaine sur les derniers modèles de la marque Chenard et Walcker. Ce qui n’est d’ailleurs pas étonnant puisque l’entreprise de carrosserie Chausson avait racheté en 1936, le constructeur, alors en grandes difficultés. D’autre part, étant donné comme il a été mentionné précédemment, Chausson assurait aussi la fabrication de la plupart des carrosseries des Matford, il n’est guère étonnant que, au moment où il apparut nécessaire de renouveler le style des modèles de la gamme Chenard et Walcker, la direction de Chausson (même s’il s’était agi là de recourir à une solution de facilité en « recyclant » les carrosseries déjà employées sur les Matford sur les Chenard et Walcker. La similitude et la parenté esthétique entre les modèles des deux marques étant donc tout sauf le fruit du hasard. Les Chenard ne se différenciant guère des Matford que par le dessin de leur capot et de leur calandre. Là aussi, la production de ces dernières cessera avec la guerre. Une fois celle-ci terminée, Chenard et Walcker décidera de se concentrer sur la production des véhicules utilitaires, avant d’être racheté par Peugeot au début des années cinquante.

MATFORD cabriolet 1939

Pour sa dernière année de production, le millésime 1939 (présenté en octobre 1938), la Matford 13 CV ne recevra qu’un léger remaniement esthétique à l’avant avec un nouveau capot aux lignes sensiblement modifiées, dépourvu de fentes d’aérations et avec de nouvelles moulures chromées redessinées. A la fin des années 1930, Ford décide de faire construire une nouvelle usine, à Poissy, dans les Yvelines. Débutée au mois de novembre 1938, l’édification de celle-ci se voit interrompue par l’occupation du territoire français par les troupes allemandes en mai 1940. Ce n’est donc qu’à la fin de la Guerre, en 1945, que sa construction peut reprendre sa mise en service ayant lieu dès l’année suivante.

Si, comme la plupart des constructeurs français ou européens, Ford reprend (en France comme aux Etats-Unis) presque sans aucun changement, la production de ses modèles d’avant-guerre, toujours avec Maurice Dolfuss à la tête de la filiale française, la firme Matford, en revanche, appartient désormais au passé. Les anciens modèles de 13 et 21 CV étant maintenant produits sous le seul nom de Ford. Au Salon d’Octobre 1948 est dévoilé un modèle inédit, la première Ford française qui ne soit pas directement (ou trop) inspirée, esthétiquement, parlant, des modèles américains. Ce nouveau modèle en question, baptisé du nom de Vedette, sera produit sur les chaînes de l’usine de Poissy jusqu’en 1954. A cette date, une nouvelle génération de modèles prend alors la relève.

Au moment où celle-ci est commercialisée, au printemps 1954, la cession et donc la revente de la filiale française est toutefois déjà programmée. La direction américaine du groupe Ford ayant, en effet, décidé de se défaire de cette filiale qui n’est plus suffisamment rentable à ses yeux (la Vedette, malgré un succès d’estime, n’ayant pas obtenue les résultats escomptés sur le plan commercial). Sans compter que la situation politique en France (avec la présence de ministres communistes au sein du gouvernement, sans compter la crise politique née de la guerre d’Algérie, qui vient alors d’éclater) n’est pas vraiment faite pour les rassurer.

Dès le début des années cinquante, les dirigeants de Ford se mettent donc à la recherche d’un repreneur éventuel pour leur filiale française. Toutefois, la plupart des constructeurs automobiles en France déclinent la proposition et, au final, seul Simca se montre réellement intéressé. C’est ainsi qu’au cours de l’année 1954, Henri-Théodore Pigozzi, le « président-fondateur » de Simca devient propriétaire d’une usine dotée d’une importante capacité de production, moderne et même quasi neuve (pour rappel, elle n’est entrée en service que huit ans auparavant). C’est sans doute d’ailleurs cette perspective de pouvoir ainsi, avec ce rachat, doubler ses capacités de production qui a convaincu Pigozzi d’accepter la proposition du géant américain (d’autant que le site historique de Nanterre qu’il avait racheté en 1934 au constructeur Jérôme Donnet après que ce dernier, victime de la crise, ait dû déposer le bilan, commence à apparaître à la fois trop exigu et trop vétuste). Ainsi que de pouvoir, à peu de frais, élargir sa gamme vers le haut (la licence et les droits de fabrication de la nouvelle gamme Vedette de nouvelle génération étant compris dans le rachat de l’usine de Poissy).

Si, au Salon de Paris d’octobre 1954, les modèles sont encore présentés et vendus sous le nom de Ford et si elles sont encore exposées au Grand-Palais sur le stand de la filiale Ford S.A.F, cette situation ne durera plus guère longtemps : avant la fin de l’année, le nom de Ford aura été remplacé par celui de Simca sur le fronton de l’usine de Poissy et c’est sous ce nouveau nom que les anciennes et dernières Ford françaises seront désormais produites jusqu’au début des années soixante.

Maxime DUBREUIL

Photos Wikimedia

D’autres anciennes https://www.retropassionautomobiles.fr/2023/02/deutsch-bonnet-hbr-grand-tourisme-populaire/

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